Lecteurs d’alerte

FranzenLe nouveau roman de Jonathan Franzen explore avec brio le pouvoir des nouveaux médias 

Le mensonge partout et la quête utopique de la vérité. Voilà les deux piliers sur lesquels repose Purity, le
nouveau roman déjà appelé à devenir culte de Jonathan Franzen, l’auteur des Corrections (2001) et de Freedom (2010).

Comme un symbole, Purity, c’est le prénom de l’héroïne, cette
jeune femme un peu pommée mais non dénuée d’intelligence et
vivant dans un squat d’Oakland. Flanquée d’une mère un peu
barrée et s’ennuyant ferme dans son travail d’opératrice
téléphonique, Pip – elle se fait appelée ainsi car elle a honte de son
prénom – se retrouve très vite embrigadée dans l’univers du
Sunlight Project piloté un certain Andreas Wolf, avatar de Julian
Assange – naturellement en mieux – qui a grandi à Berlin Est. En
poursuivant la quête de l’identité de son père que lui refuse sa
mère, Pip plonge très vite dans cette aventure aussi bien
personnelle que professionnelle.

Dans Purity, tout le monde ment à tout le monde, c’est ce qui fait
au demeurant le charme de l’ouvrage puisqu’il rythme sa lecture
et incite le lecteur à toujours vouloir en savoir davantage. Cette
prison mentale entraînerales différents personnages dans une
course à l’abîme grâce à une arme de destruction massive :
internet dont Franzen démontre ici avec brio la puissance à la fois
salvatrice et destructrice.

Franzen poursuit également son exploration des rapports
familiaux et notamment de la filiation. Il analyse ainsi la
construction identitaire des deux héros principaux, marquée par
leurs rapports à la mère. Cette soif de reconnaissance maternelle
passe par une forme de mépris qui n’est au final que le reflet du
mépris qu’ils éprouvent pour eux-mêmes (c’est le fameux
solipsisme du malheur) et les conduisent sur le chemin de la
transgression. L’ouvrage pose également une autre question : Les
enfants sont-ils responsables des erreurs et des
dysfonctionnements de leurs géniteurs ? A toutes ces questions
on songe, en lisant Franzen, aux mots de Khalil Gibran : « ils sont les
fils et les filles de l’appel de la vie à elle-même. Ils viennent à travers
vous mais non de vous. »

Cette omniprésence de la mère est aussi rendu possible par une
quasi absence du père et une quête des origines qui les pousse à
travers leur engagement à faire de la vérité bien plus qu’une
obsession, une véritable idéologie. Ainsi Wolf, tout en méprisant la
RDA et sa terrible Stasi dont il fut un enfant gâté, a repris cette
idée totalisante du régime est-allemand qui voulait bannir toute
vie privée.

Et pour couronner le tout, l’ouvrage est admirablement servi par
l’écriture de Franzen. Tout en reprenant un procédé narratif sur
plusieurs dizaines d’années déjà expérimenté avec succès dans ses
romans précédents, Franzen construit une intrigue dont les
ramifications passent aisément les époques et les lieux avec de
nombreux passages magnifiques comme par exemple cet amour
scellé dans le meurtre entre Wolf et Annagret à la fin des années
1980 . Au final, ce livre est non seulement un grand roman mais
surtout une pierre supplémentaire à la constitution d’une œuvre
singulière appelée  faire date.

Laurent Pfaadt

Jonathan Franzen, Purity,
Editions de l’Olivier, 2016