Archives de catégorie : Musique

72 saisons en enfer

Le célèbre groupe californien de heavy metal, Metallica, a donné deux concerts exceptionnels au stade de France

Dans les travées du stade de France, on pouvait croiser en ce mois de mai soixantenaires arborant fièrement leurs T-shirts élimés et déteints des premiers albums et adolescents à la barbe duveteuse venant d’acquérir celui de 72 Seasons. Un père venu d’Aix-en-Provence partageant sa passion avec son fils de neuf ans qui demande « Avec Metallica, y aura des flammes ? » ou un ado de 14 ans arborant le blouson en jean sans manches d’une mère ayant fait quelques infidélités aux Guns ou à Megadeth. Lars, James et Kirk sauront lui pardonner… Ainsi presque quatre ans jour pour jour après son unique concert en France, ici même au stade de France en 2019, le groupe californien aux dix Grammy Awards était de retour. Et il n’est pas venu seul puisqu’il était accompagné de son petit dernier, 72 Seasons, son onzième album studio.


Les fans français étaient donc aux anges ou plutôt avec les démons du groupe notamment dans ce dernier album qui évoque ces années de construction adolescente parfois difficiles de tout être humain. Pour ce 27e concert parisien, le deuxième au stade de France avec une setlist différente du premier, les hostilités débutèrent avec le traditionnel Ecstasy of gold tiré du Bon, la Brute et le Truand avant d’enchaîner sur Creeping death, deuxième chanson la plus jouée du groupe après Master of Puppets donné en final lors du premier concert. Le ton était ainsi donné : offrir la parfaite alchimie entre les succès d’hier et ceux du nouvel album même si ce 11e se résuma à 72 Seasons, If Darkness Had a Son et You must Burn ! Les spectateurs embarqués dans une scénographie à couper le souffle à grands renforts de pyrotechnie et de show à l’américaine avec une batterie disparaissant régulièrement sous terre et un Kirk Hammett en Elvis revenu d’entre les morts avec sa guitare tatouée d’un « It comes to life », ont pu grâce au snakepit, cette scène serpentant dans les spectateurs et qui a fait la marque de fabrique du groupe, presque toucher leurs idoles lors de moments uniques et inoubliables.

Les tubes du groupe ont ainsi ravi anciens et nouveaux fans : Cyanide jouée pour la première fois dans cette tournée avec la basse d’un Robert Trujillo transformé en sceptre des ténèbres, Whiskey in the jar et Battery portés par un Hetfield très en forme s’armant de sa petite dernière ESP Vulture frappée des couleurs de 72 seasons pour Welcome Home (Sanitarium). Sans parler des solos magistraux d’Hammett sur King Nothing et surtout Moth into Flame que les four horsemen adorent jouer en concert.

Et puis la nuit est tombée au son du Call of Ktulu, un appel des ténèbres dans cette nuit noire, lovecraftienne bien évidemment comme ce black album qui fut celui de la consécration. Comme un hymne sorti de ces enfers musicaux, le stade entonna The Unforgiven puis Wherever I may roam avant que One – fallait-il y voir une allusion à la guerre en Ukraine ? – et la batterie d’Ulrich transformée en danse macabre pour Enter Sandman ne viennent sonner le glas d’un concert mémorable.

Au final, plus de deux heures d’un concert spectaculaire et tonitruant où Metallica a une fois de plus fait honneur à sa réputation live et a réuni dans un même élan infernal et de communion, les différentes générations qui suivent le groupe depuis près de quarante ans. L’enfer était ainsi pavé des tubes enflammés de ce groupe désormais mythique. Et oui mon petit gars, il y avait des flammes, dans les yeux et dans les cœurs.

Par Laurent Pfaadt

Metallica poursuivra sa tournée européenne en Angleterre et en Suède avant de revenir en Allemagne, en Pologne et au Danemark notamment en 2024.

A écouter : 72 seasons, Blackened Recordings/Universal Music mon article : http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/72-seasons/

Des bougies et des étoiles

Pour son quarante-cinquième anniversaire, le festival Jazz in Marciac a invité une pléiade de stars

Du chemin a été parcouru depuis cette idée folle d’organiser en 1978 la première édition d’un festival de jazz en plein milieu de la campagne gersoise. Et quel chemin ! Quarante-cinq ans plus tard, les plus grandes stars du jazz, du blues, de la folk et du rock se croisent sur la scène du chapiteau. Des légendes qui ont marqué de leurs empreintes indélébiles ce festival devenu incontournable tant pour les artistes que pour les passionnés ou simplement ceux qui veulent vivre une expérience musicale et humaine unique. 


Nombreux sont les festivals qui s’estimeraient heureux d’avoir comme tête d’affiche l’un des nombreux artistes qui, une nouvelle fois, monteront sur scène. Or, pour cette 45e édition, chaque soirée aura sa star internationale : Norah Jones, Ben Harper, Gilberto Gil, Gregory Porter, Goran Bregovic et d’autres. Et c’est un Français et pas n’importe lequel qui ouvrira cette nouvelle édition : Mc Solaar, la légende du rap français qui précèdera Sofiane Pamart. Du rap pour ouvrir un festival jazz. Avec cet anniversaire, le festival rappelle qu’il a toujours voulu croiser les esthétiques et les styles musicaux. Le blues avec Poppa Chuby et le « King » Joe Bonamassa, en tournée dans toute la France. La pop et la folk avec Suzanne Vega qui, avec Luka et Tom’s Diner nous ramènera dans les années 80 avant que le génial Ben Harper dont les lives constituent toujours des moments inoubliables, ne monte sur scène avec sa désormais légendaire Weissenborn pour nous interpréter les titres de son nouvel album, Wide open light. Les musiques du monde avec un chassé-croisé entre l’Afrique de Fatoumata Diawara et Femi Kuti, la Cuba d’un Roberto Fonseca, fidèle parmi les fidèles du festival, le oud tunisien de Dhafer Youssef et les Balkans d’un Goran Bregovic qui mettra à coup sûr le chapiteau sens dessus-dessous.

Les grandes voix féminines seront également au rendez-vous. Ils auront pour noms Norah Jones, Robin Mc Kelle et Selah Sue. Parmi ces tourbillons musicaux incessants, il faudra vous préparer à quelques tempêtes. Le cyclone brésilien de Gilberto Gil, l’incendie d’un Gregory Porter ou l’éclipse musicale d’un Pat Metheny toujours aussi fascinant. On prêtera aussi attention à ces nouvelles voix en devenir, les étoiles montantes d’Endea Owens, de Laura Prince, de Sarah Lenka ou de Samara Joy qui illumineront les scènes du chapiteau ou de l’Astrada. Car ici à Marciac révéler les talents et acclamer les légendes vont de pair.

Tout cette galaxie musicale sera placée sous la figure tutélaire d’un Wynton Marsalis, « meilleur trompettiste de jazz vivant » et parrain du festival depuis une trentaine d’années qui conduira une cohorte plus jazzy que jamais où l’on retrouvera notamment Brad Mehldau, Kenny Barron et Abudllah Ibrahim. Etoiles, galaxies ou éclipses, préparez-vous donc à une nouvelle révolution musicale.

Pour vous accompagner dans ces nuits magiques, rien de mieux, à l’ombre d’un arbre ou entre amis que quelques lectures. Hebdoscope vous conseille notamment Fatal tempo (Albin Michel, 2023) de l’autrice de polars norvégiens à succès, Randi Fuglehaug. Après La Fille de l’air, cette nouvelle enquête de la journaliste Agnès Tveit nous emmène en plein festival de jazz de Voss sur la piste d’une diva empoisonnée qui réservera au lecteur bien des surprises. Pour ceux qui sont plutôt blues, on leur conseillera Delta Blues de Julien Delmaire (Grasset, 2021), une merveilleuse histoire d’amour dans le delta du Mississippi entre thriller, Klux Klux Klan, culte vaudou et surtout musique de ces années 30 avec des bluesmen inoubliables qui vous hanteront longtemps, surtout après avoir entendu Joe Bonamassa !

Par Laurent Pfaadt

Pour retrouver toute la programmation de Jazz in Marciac : https://www.jazzinmarciac.com/

OPS – Brahms

Pour son dernier concert de la saison consacré à Brahms, Saint-Saëns et Nina Senk, l’OPS affichait un casting de luxe, avec la violoniste Isabelle Faust et le violoncelliste Jean-Guihen Queyras. L’orchestre jouait sous la conduite de son directeur musical, Aziz Shokhakimov.


Tous droits réservés © Nicolas Roses

La soirée débutait par une courte pièce de la slovène Nina Senk, Elements, composé en 2013 sur une thématique de la haute montagne. La version pour grand orchestre était donnée, ce soir du 24 mai, en première audition française. Dans une écriture moderne devenue aujourd’hui classique, la pièce débuta dans une belle rutilance sonore qui alla en s’épurant, telle la transcription musicale d’une ascension alpestre.

Dès le début du double concerto de Johannes Brahms, le violoncelle de Jean-Guihen Queyras et le violon d’Isabelle Faust donnèrent le ton : beauté de timbre et éloquence de phrasé dans une conception de grande tenue dont la sobre vitalité prit le pas sur un lyrisme mélancolique, parfois exagérément souligné chez les interprètes de cette œuvre fin de siècle (1887). Cette approche svelte et lumineuse fut, de toute évidence, partagée par Aziz Shokhakimov, qui tira de l’orchestre un jeu remarquable de couleurs et de transparence. Après un Allegro initial à la rythmique entrainante, le mouvement lent fit entendre un cantabile d’une étonnante spontanéité, presque schubertienne, en tout cas bien préférable à la solennité un peu compassée souvent de mise ici. La même fraîcheur se retrouva dans un finale n’évoluant pas, pour une fois, de façon claudicante mais sonnant comme une véritable invitation à la danse,soutenue par un orchestre aérien et ponctuée par la timbale d’une finesse et d’une musicalité remarquées.

Tous droits réservés © Nicolas Roses

Depuis qu’il est en poste à Strasbourg, les quelques incursions d’Aziz Shokhakimov dans la musique française ne m’ont guère convaincu : que ce soit dans Bizet, Debussy ou Ravel, le phrasé m’a paru quelque peu lesté et manquer de respiration. On n’y retrouvit pas l’aisance et le talent dont le jeune chef fait preuve dans le répertoire germanique et slave. Avec la troisième symphonie avec orgue de Camille Saint-Saëns qui clôturait cette belle soirée, le ton sembla cette fois trouvé et le jeu orchestral fut proprement extraordinaire, d’une virtuosité et d’un éclat sonore emportant les quelques réticences que l’œuvre parfois inspire. Avec un jeu d’une telle conviction, même le pompeux dernier mouvement soutint l’intérêt jusqu’au bout.

Michel Le Gris 

La mémoire et la mer

Sous-titré La mémoire et la mer, le concert de l’OPS donné les 20 et 21 avril derniers débutait par une création de Bruno Mantovani, suivie d’œuvres de Prokoviev et de Debussy. Alexei Volodin tenait la partie piano et l’orchestre était dirigé par Aziz Shokhakimov.


Aziz Shokhakimov
©Jean-Baptiste Millot

Inspiré par l’invasion, en septembre 2020,  du Haut-Karabagh par un Azerbaïdjan soutenu par l’armée turque, évènement politique vite enterré par le virus Sarcov-2, Mémoria pour orchestre à cordes est le fruit d’une commande passée au compositeur Bruno Mantovani dans le cadre de sa résidence à Strasbourg. Dédiée à la mémoire de quatre étudiants de l’Université française d’Erevan, morts durant les combats, l’œuvre se déploie en un seul mouvement dont le long crescendo initialet le diminuendo finalencadrent une impressionnante cadence pour violon solo, vaillamment soutenue par Charlotte Juillard. Rassemblées au grand complet (64 musiciens), les cordes de l’OPS exécutent une musique insolite, jouant de la division entre les différents pupitres et distillant une atmosphère assez envoutante, à la fois tendue et contemplative.

Net changement d’atmosphère avec le troisième concerto pour piano de Prokoviev, qui s’inscrit dans l’exaltation  futuriste des années 1920. Le piano de Prokoviev – grand pianiste lui-même – est toujours une épreuve pour ses interprètes : Rachmaninov lui-même s’avouait en difficulté dans ce troisième concerto ! Dès l’entrée du premier mouvement allegro, Alexei Volodin et Aziz Shokhakimov ne font pas dans la demi-mesure. Ce caractère de combat entre piano et orchestre ne les empêchent pourtant pas de faire sonner les cinq belles variations du mouvement lent avec toute l’éloquence qui sied. Dans le dernier mouvement, d’une énergie roborative, Volodin fait preuve d’une aisance confondante pendant que Shokhakimov allume un feu d’artifice orchestral. 

Après l’entracte, il s’est levé un grand vent, le soir de ce 20 avril, sur La Mer de Debussy. Dans la langue de la météo marine, on eût parlé d’une ‘’houle très forte, voire grosse’’. Moyennant un orchestre au brio irréprochable, la traversée ne fut toutefois pas désagréable. Reste cependant qu’à l’écoute d’accords aux accents implacables et d’une lumière très blanche, on s’est bien souvent cru dans le Poème de l’extase d’Alexandre Scriabine plutôt que dans La Mer de Claude Debussy.

Michel Le Gris  

Omar Khairat, Sheikh Zayed Book Award 2023

Le musicien et compositeur égyptien a été désigné personnalité culturelle de l’année 2023 par le principal prix littéraire du monde arabe

Son nom ne vous dit peut-être pas grand-chose et pourtant, de l’autre côté de la Méditerranée, Omar Khairat, 75 ans, est l’un des musiciens et compositeurs les plus célébrés du monde arabe. Du Maroc à Oman, en passant par Tunis ou Abu Dhabi, nombreux sont les habitants de ces pays à se souvenir de ses notes composées pour le film Le Sixième jour (1984) ou la série télévisée Le Jugement de l’Islam plus récemment. C’est également lui qui composa la musique de l’inauguration de l’opéra de Dubaï où il se produisit à nombreuses reprises en compagnie des plus grandes voix de la planète notamment José Carreras en 2016.

Le Sheikh Zayed Book Award vient aujourd’hui récompenser cette personnalité culturelle majeure du monde arabe, succédant notamment à l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf, à l’UNESCO, à l’Emir de Dubaï, Son Altesse le Sheikh Mohammed Bin Rashed Al Maktoum ou au Dr Abdullah Al-Ghathami, récompensé l’an passé.

Omar Khairat est né en 1948 au Caire. Après des études au conservatoire de la capitale égyptienne, il débute en tant que batteur du groupe populaire de rock égyptien Les Petits Chats à la fin des années 1960 avant de mettre ses talents de compositeur au service du cinéma et de la télévision.

Les œuvres de Khairat font désormais parties du répertoire de la musique égyptienne contemporaine et mêlent dans une subtile alchimie musique orchestrale et mélodies orientales qu’il a interprété, en tant que pianiste, lors de concerts restés dans toutes les mémoires. « Au Sheikh Zayed Book Award, nous nous engageons à mettre en lumière chaque année d’éminentes personnalités culturelles, artistiques ou créatives, qui ont apporté une contribution remarquable au mouvement culturel qui sera transmise aux générations futures. Nous sommes fiers de témoigner notre reconnaissance à l’une des figures de proue de la musique et de la culture arabes, et le musicien Omar Khairat est certainement l’une de ces figures ; sa musique suscitera toujours du sens et de profondes émotions, portant dans ses notes les marqueurs de notre culture, qu’il a su brillamment mélanger avec d’autres cultures, créant des chefs-d’œuvre intemporels qui resteront gravés dans notre mémoire et dans notre identité » a ainsi déclaré Son Excellence Dr Ali Bin Tamim, secrétaire général du Sheikh Zayed Book Award.

La désignation de ce compositeur qui a su, dans ses œuvres, tracer des ponts musicaux entre l’Orient arabe et l’Occident vient un peu plus conforter la démarche d’une capitale des Emirats Arabes Unis souhaitant apparaître comme l’un des carrefours culturels majeurs de la planète. Après avoir été désigné ville de la musique en 2021 par l’UNESCO et lieu d’un important festival de musique qui essaime dans le monde entier, Abu Dhabi affirme ainsi son soutien à la musique, instrument de rapprochement du monde arabe et des autres cultures, tout en suscitant le développement d’échanges culturels afin de rapprocher sociétés et générations. Ce prix constitue également une nouvelle étape pour la capitale des Émirats arabes unis dans ses efforts visant à mettre en évidence la richesse de la composition arabe et de l’histoire de la musique et à ainsi réitérer son dévouement aux arts et à la culture sous toutes leurs formes.

Par Laurent Pfaadt

The Unreleased Masters

Ces fameux enregistrements de la célèbre soprano américaine disparue le 30 septembre 2019 ont agité pendant longtemps le petit monde de la musique classique. Les fans commençaient à se demander s’ils les écouteraient un jour. Car Jessye Norman, perfectionniste tatillonne, a longtemps refusé d’autoriser ces merveilleux bijoux.


Les trois CDs qui composent ce coffret sont chacun, à leur manière, indispensables. Il y a ce Wagner qu’elle n’appréciait pas en tant que personne, elle qui possédait des convictions humanistes chevillées au corps, mais dont la voix de bronze était taillée pour les opéras du génie allemand. Ils furent nombreux à lui proposer d’alléchants contrats pour interpréter Tristan et Isolde, ce « fruit défendu » qu’elle s’est toujours refusé à goûter. En compagnie de Kurt Masur et du Gewandhaus de Leipzig, l’expérience fut amère puisque les relations entre eux restèrent marquées par des tensions. Mais l’amertume de cet unique enregistrement studio donne cependant une dimension de puissance incarnée et libérée de toute divination. Jessye Norman y est profondément bouleversante. 

Dans cet autre CD en compagnie du Boston Symphony orchestra et de son emblématique chef japonais, Seiji Osawa, elle campe des reines qui laissent transparaître une incroyable fragilité. Si la Phaedra de Britten est péremptoire, sa Cléopâtre est d’une beauté à couper le souffle. Jessye Norman donne ici la pleine mesure de son timbre unique et exceptionnel, plein de solennité. Et par la magie de la voix, elle devient le personnage qu’elle incarne. 

L’apothéose de ces enregistrements est atteinte avec les quatre dernier Lieder de Strauss sous la conduite d’un James Levine à la tête des Berliner Philharmoniker au sommet de leur art qui semblent ne faire qu’un avec la soprano dans cet enregistrement de mai 1989. Trois grands orchestres dirigés par trois grands chefs au service de l’une des plus belles voix de cette fin de 20e siècle. Une voix désormais gravée un peu plus dans la légende grâce à ces trois merveilleux disques.

Par Laurent Pfaadt

Jessye Norman, The Unreleased Masters, 3 CDs, Decca

Claus Peter Flor

Anton Bruckner et Max Bruch étaient au programme du concert que donnait, le vendredi 3 mars, le chef allemand Claus Peter Flor, invité de longue date à  l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg. La violoniste néerlandaise Liza Ferschtman tenait la partie soliste.


Claus Peter Flor

Bien qu’auteur d’une œuvre importante, comprenant plusieurs opéras, oratorios, symphonies et autres compositions, Max Bruch n’est aujourd’hui connu que pour l’un de ses trois concertos pour violon, au demeurant fort réussi. Il a aussi écrit, durant les années 1879-80, une Fantaisie écossaise pour violon et orchestre. A l’instar de l’autre ‘’écossaise’’, la symphonie de son mentor Mendelssohn, la pièce de Bruch emprunte elle aussi son matériau thématique à la musique traditionnelle du pays. Mais elle est bien loin d’offrir l’élégance, la finesse d’inspiration et l’originalité d’écriture du chef d’œuvre de son ainé. Après une introduction plutôt avenante, les quatre mouvements qui suivent, aux couleurs conventionnelles et à l’harmonie naïve, peinent à retenir l’intérêt malgré les qualités de rythme et de timbre qu’y déploie la violoniste Liza Ferschtman, attentivement épaulée par Flor et l’orchestre. En bis, Liza Ferschtman nous a proposé sa conception particulièrement méditative de l’andante de la seconde sonate pour violon de Jean-Sébastien Bach.

Certains musicologues et chefs d’orchestre considèrent la troisième symphonie d’Anton Bruckner comme vraiment inaugurale de sa musique. Elle ne lui en a pas moins donné du fil à retordre, comme en témoignent les trois révisions et éditions successives (1873, 1878, 1889). Œuvre ambitieuse, d’une grande originalité d’écriture, d’une orchestration particulièrement cuivrée, la qualification de ‘’génial chaos harmonique’’ proposée par Pierre Boulez à propos de la tardive huitième symphonie convient également à sa cadette. Entre l’édition de 1873 et celle de 1878, on remarque d’importantes différences : dans la seconde, les deux mouvements extrêmes se trouvent raccourcis et, pour le premier, dépouillé de quasi toutes les citations wagnériennes ; en revanche, le déjà remarquable scherzo voit son caractère méphistophélique accru par une étonnante coda. Si beaucoup d’arguments plaident en faveur de l’unité supérieure de la seconde édition, la première, de 1873, garde pour elle son caractère envoutant et la puissance de son étrangeté, en dépit d’un final un peu répétitif. Quoi qu’il en soit, c’est cette version originelle de 1873 qui figurait, le soir du 3 mars, au programme de l’OPS.

A la tête d’une formation resserrée d’environ soixante-quinze musiciens, Claus Peter Flor en aura donné une interprétation particulièrement vibrante et fébrile, sans négliger pour autant l’indispensable homogénéité de la texture orchestrale. Vu la durée de l’œuvre, on a apprécié la vivacité du tempo adopté ; et aussi le jeu expressionniste de tous les pupitres de l’orchestre dans cet univers quasi-abstrait où ‘’faire joli’’ n’a guère de sens. L’OPS a  montré une fois encore l’excellente forme qu’il affiche depuis le début de saison.

                                                                                              Michel Le Gris

au cœur de Vienne

L’Orchestre National de Lille était l’invité de la saison de l’OPS lors du concert du vendredi 10 février. Intitulé ‘’au cœur de Vienne’’, le programme allait du classicisme viennois de Mozart à l’avant-gardisme de Berg et Webern, en passant par le romantisme schubertien.


Fondé dans les années 1970 à partir du défunt orchestre de la radio lilloise et à l’initiative de Jean-Claude Casadessus qui demeurera son directeur musical durant quarante ans, l’ONL a désormais atteint un niveau de qualité sonore et de maturité musicale qui le classe parmi les bonnes formations nationales. Il est venu à Strasbourg, en formation resserrée d’une soixantaine de musiciens, non avec son actuel directeur, Alexandre Bloch, mais dirigé par le jeune chef hongrois Gergely Madaras, titulaire quant à lui de l’Orchestre Philharmonique de Liège.

Orchestre National de Lille
© Jean-Batiste Millot

Composée de deux mouvements et dite en conséquence ‘’inachevée’’, la huitième symphonie de Schubert n’en forme pas moins un tout d’une remarquable homogénéité. Autrefois objet d’interprétations romantiques avec de grands effectifs orchestraux, elle fait désormais partie des œuvres conquises par le courant historiquement informé, jouant sans vibrato, avec des attaques nerveuses et sèches. Autant cette approche s’avère souvent convaincante dans les premières symphonies de Schubert, d’inspiration encore classique, autant les deux dernières, foncièrement romantiques, semblent davantage en pâtir qu’y gagner. L’atmosphère tour à tour frémissante, rêveuse, mélancolique ou puissamment dramatique des grandes interprétations d’antan laisse alors la place à des mouvements tectoniques et à des secousses telluriques d’une froide abstraction, dont on se demande quel rapport historique elle peut bien avoir avec le romantisme inaugural de cette musique. Avec application et non sans quelque raideur, les musiciens de Lille suivent le jeune Gergely Madaras dans cette conception au goût du jour de l’inachevée de Schubert.

Amour, nature et univers onirique forment les motifs poétiques des Sieben frühe lieder d’Alban Berg, écrits d’abord pour le piano et orchestrés ultérieurement dans sa période avant-gardiste de grande maturité. Ils ont bénéficié d’une belle incarnation, due à la voix profonde et ample de la soprano Judith van Wanroij et à un bon soutien orchestral, doté d’une riche palette de timbres. Qualités sonores que l’on ne retrouve malheureusement pas complètement dans les Variations pour orchestre d’Anton Webern, certes d’une grande énergie rythmique mais dont l’exécution un peu grise manque précisément de variétés et de couleurs.

Le meilleur moment de la soirée restera celui de la quarantième symphonie de Mozart, jouée dans une approche historiquement informée parfaitement judicieuse, sur un rythme haletant mais sachant néanmoins faire place à des moments de belle gravité. Le quatuor à cordes de l’Orchestre National de Lille aura montré le haut niveau de virtuosité et de musicalité qu’il est capable d’atteindre.

                                                                                              Michel Le Gris   

Mahler, Symphonie nᵒ 3 en ré mineur

Avant sa nomination au poste de directeur musical de l’orchestre, Aziz Shokhakimov avait donné, pendant l’hiver 2020, une cinquième symphonie de Mahler des plus convaincantes. Allait-il, durant cette saison, renouveler la prouesse avec la troisième, qu’il dirigeait pour la première fois ? Nous eûmes, en fin de compte,  une interprétation d’une intelligence musicale exceptionnelle, servie par un orchestre éblouissant.


Aziz Shokhakimov
©Jean-Baptiste Millot

Dans une de ses conférences sur Gustav Mahler donnée à Vienne dans les années 1960, le philosophe allemand Adorno parlait ‘’du fond d’enfance qu’il avait conservé, pour son bonheur et pour son malheur, dans son existence d’adulte et l’ayant empêché de souscrire à ce qui définit le contrat social officiel de toute musique : l’obligation de se fixer des limites’’. Cette esthétique de la démesure imprègne particulièrement la troisième symphonie, longue d’environ 1h30, composée de six mouvements dont le premier, à lui tout seul, dure le temps de la cinquième de Beethoven, mobilisant un orchestre gigantesque, une mezzo-soprano, une maîtrise de garçons et un chœur de femmes. Commençant sous l’aspect d’un chaos musical chargé d’inquiétude, l’œuvre se termine dans l’utopie d’une fusion totale, clamée dans un accord monumental et ponctué par les deux timbaliers, mettant les cuivres de l’orchestre au bord de l’apoplexie.

Dans la vaste introduction de l’œuvre, certains chefs installent un climat d’inquiétude mélancolique, d’autres soulignent davantage la dimension chaotique et agitée. A vrai dire, les deux options se défendent, l’essentiel résidant dans la qualité du jeu orchestral. Dès les premières mesures, Shokhakimov installe une ambiance tourmentée et fébrile, mais d’une manière très rigoureuse, dépourvue d’emphases et de grossissements inutiles. D’emblée, l’orchestre, avec une mention spéciale pour les cors, fait preuve d’une tenue et d’une concentration saisissantes. Tous les changements d’atmosphère qui traversent cet immense premier mouvement, partagé entre épisodes de marches exultantes et retour du chaos initial, sont vraiment restitués avec un art consommé. Comme souvent, le jeune directeur de l’OPS opte pour des tempi soutenus, mais sans précipitations ni bousculades, fignolant au contraire une polyphonie scintillante d’une grande richesse de timbre, que des enregistrements pourtant bardés de micros indiscrets ne font pas toujours entendre. Toute cette évidence de la musique se retrouve dans sa vision du second mouvement, d’une grande poésie sonore, et du troisième, avec un dialogue entre orchestre et cor de postillon fort réussi.

Alle Lust will Ewigkeit (Toute joie aspire à l’éternité), telles sont les paroles tirées du Zarathoustra de Nietzsche, chantées d’une voix profonde et grave par la mezzo Anna Kissjudit, avant le bim/bam, mouvement choral entonné par la maîtrise de l’Opéra du Rhin et le Chœur de femmes de l’OPS, sur un de ces textes de religiosité populaire tiré du recueil du Knaben Wunderhorn qu’affectionnait Mahler. Quant au long adagio final, il laisse souvent insatisfait, même sous la houlette de chefs de renom, tant certains l’amoindrissent pendant que d’autres font dans l’enflure ou dans l’alambiqué. Décidemment très inspiré par la musique de Mahler, Shokakhimov subjugue par l’intensité et la justesse du propos, obtenue avec des phrasés judicieusement épurés et des tempi plutôt allants. Moyennant de très subtils ralentis et juste ce qu’il faut d’emphase, toutes les convulsions orchestrales précédant le gigantesque accord final sont magnifiquement restituées par un orchestre qui jamais n’a paru autant en accord avec son chef. Programmée avant la crise sanitaire, cette intégrale Mahler en voie d’achèvement avait connu des débuts incertains avec notamment une fort décevante sixième symphonie sous la conduite du chef Josef Pons. Avec la récente neuvième dirigée par Vassili  Sinaïski et cette troisième de Shokakhimov, le niveau atteint soutient toutes les comparaisons.

Michel LE GRIS

Orchestre philharmonique de Strasbourg

https://philharmonique.strasbourg.eu

Jonas Kaufmann & Ludovic Tézier

Das Festspielhaus Baden-Baden feiert dieses Jahr, sein 25. Jubilaeum, wie es Intendant Benedikt Stampa in seiner herzlichen Ansprache an das Publikum, verkündete.


Als Auftakt des grossartigen Spielplans 2023, erklang ein Opernabend zweier wunderbaren Stimmem, des strahlende Tenors Jonas Kaufmann und des gefeierten Bariton Ludovic Tézier. Das Programm wurde auschliesslich dem italienischen Fach gewidmet. 

Als Erstes, vier Auschnitte aus « La Forza del Destino ». Schon die Ouvertüre, bewies das die feurig spielende Deusche Radio Philharmonie unter Jochen Rieder, eine erstklassige Wahl für den Abend war.

Das Duett « Solenne in quest’ora » wurde von den beiden Protagonisten nicht nur mit Schönklang und Stil vorgetragen, aber auch mit Gefühl und dramatischem Können.

Die Arie des Don Carlos de Vargas die auch im Werk sofort nach dem Duett erklingt, wurde von Ludovic Tézier und seiner grossartigen, typisch  verdischen Baritonstimme, meisterhaft vorgetragen.

Die Arie des Alvaro « la vita e inferno all’infelice », mit seinem melancholischen fabelhaft vorgertragenem Klarinettensolo, wurde zu einem der Höhepunkte des Abends. Jonas Kaufmann gelang es alle Regungen der Gefühlen des unglücklichen Helden mitzuleben. Rein gesanglich, war man verblüfft von dem Nuancenreichtums des Vortrags, vom Hauchdünnen Pianissimo bis zum strahlenden Forte ! 

Das Duett « Invano Alvaro » aus dem vierten Akt blieb auf derselben Höhe. Die beiden Sänger konnten hier ihr Können erweisen, so gut gesanglich wie theatralisch. Die beiden Stimmen passen auch vom Timbre her, herrlich zusammen.

Der zweite Teil des Abends begann mit der Ouvertüre zu Verdis « Les vêpres siciliennes » die unter der Leitung von Jochen Rieder zur Tondichtung geedelt wurde.

Ponchiellis Oper « La Gioconda »ist das einzige Werk des Musiklehrers von Puccini und Mascagni die immer noch auf dem Spielplan der grossen Haüser anzutreffen ist, wenn auch « I Lituani » oder « I promessi sposi » nach Manzoni, viele Schönheiten enthalten.

Das Duett « Enzo Grimaldo » zeigt wieder die beiden Sänger, auf der Höhe ihres Könnens.

Der Tanz der Stunden, aus derselben Oper, wurde vor Allem als Parodie in Walt Disneys « Fantasia »gekannt ! Und doch enthält dieses Ballett schöne, feine Musik, die von dem Orchester völlig ausgekostet wurde.

Die Romanze des Enzo « Cielo e mar », ein Glanzstück aller grossen Tenöre, wurde von Jonas Kaufmann elegant vorgetragen, liess aber eine kaum perzeptible Ermüdung erscheinen.

Otello, Giuseppe Verdis  Alterswerk, ist eines der Meisterwerke der Gattung Oper überhaupt. 

Das « Credo »von Iago, eine nihilistiche Bekennung wurde von Ludovic Tézier mit so viel Feuer und Bosheit vorgetragen, das einem kalt im Rücken wurde. Einer der vielen Höhepunkte des Abends . 

Das Duett Otello Iago « Tu indietro », eigentlich beinahe die Hälfte des zweiten Aktes, erlaubte beiden Sängern nochmals ihr Können zu zeigen. Sie spielten nicht, nein, sie lebten diese schreckliche Szene wo die ganze Verzweiflung von Otello und seine Rachezucht keimt und die Heuchlerei Iagos triumphiert.

Vor dem tosenden Applaus des begeisterten Publikums, gaben die Sänger noch das Duett Rodolfo/Marcello aus dem vierten Aufzug von Puccinis « La Bohème »und ein leider sehr verstümmeltes Duett Carlos/Posa aus Verdis Don Carlos.

Jean-Claude HURSTEL

FESTSPIELHAUS BADEN-BADEN    8. JANUAR 2023
Jonas Kaufmann & Ludovic Tézier
Deutsche Radio Philharmonie Jochen Rieder