Archives de catégorie : Voyage

Zamosc, le rêve d’un homme devenu celui de tous

Celle que l’on surnomme la « Padoue du Nord » ou la « perle de la Renaissance » en raison de la symétrie de ses rues n’a rien à envier à sa cousine italienne tant la beauté de ses rues et de sa grande place est manifeste. Elle invite ainsi à se perdre sans se perdre. Fondée en 1580 par Jan Zamoyski, chancelier du roi Sigismond II de Pologne, qui la conçut comme son bien privé et la voulut, sur cette terre inhospitalière de l’est de la Pologne, comme la matérialisation de la cité idéale imaginée par les savants d’une Renaissance que Zamoyski observa en Italie durant ses études.  


La grande place du marché, un carré de cent mètres de côté abritant de magnifiques immeubles colorés de style arménien, est considérée à juste titre comme l’une des plus belles de Pologne. Sur cette dernière se trouve l’hôtel de ville et sa tour de l’horloge haute de 52 mètres qui complète un centre-ville où il possible d’admirer le Palais Zamoyski et les vestiges de l’ancienne synagogue. Le chancelier Zamoyski installa également, non loin de la forteresse, une académie militaire qui, aujourd’hui, permet aux apprentis chevaliers et autres barons de Münchhausen en herbe de s’exercer au tir à canon, rien que cela !

L’esprit Renaissance que Jan Zamoyski insuffla à la ville ne se retrouve pas uniquement dans sa conception urbanistique résolument moderne mais également dans l’esprit de tolérance qui imprégna la ville jusqu’à la seconde guerre mondiale et où vécut et prospéra la seule communauté juive sépharade de Pologne. D’ailleurs, Jan Zamoyski édifia, alors que l’Europe était ravagée par les guerres de religion, des lieux de culte pour catholiques, protestants et juifs.

D’ailleurs quelques enfants juifs de la ville demeurèrent célèbres notamment Rosa Luxembourg, symbole de la révolution spartakiste en Allemagne en 1919, Joseph Epstein, résistant communiste à Paris, arrêté en compagnie de Missak Manouchian et fusillé au mont Valérien le 11 avril 1944 et Czslawa Rowka, la jeune fille de 14 ans photographiée par Wilhelm Brasse et qui orne la couverture du livre de Luca Crippa et Maurizio Onnis, Le photographe d’Auschwitz (Alisio Histoire) paru ces jours-ci.

Par Laurent Pfaadt

Inscrite depuis 1992 sur la liste du World Cultural Heritage de l’UNESCO, Zamosc vaut donc assurément plus qu’un détour.

Pour plus d’informations sur la ville : http://www.turystyka.zamosc.pl/en/ et https://www.pologne.travel/fr/quoi-visiter/patrimoine/sites-unesco/zamosc-la-cite-renaissance

La culture à Abu Dhabi, une histoire sans fin

Création littéraire, quartier des musées, musique, la capitale des Emirats Arabes Unis a investi tous les fronts culturels

La réalité a fini par se confondre avec la fiction. Si la récente foire internationale du livre d’Abu Dhabi a pris comme slogan le titre du célèbre film de Wolfgang Petersen, celui-ci n’a jamais été aussi actuel qu’à Abu Dhabi tant la capitale des Emirats Arabes Unis a fait de la culture son soft power sur la scène internationale. Plusieurs raisons ont présidé à ce choix : la volonté originelle du père fondateur du pays, le Sheikh Zayed Bin Sultan Al Nahyan (1918-2004) qui a très tôt compris que savoir et éducation constitueraient les moteurs du développement de son jeune pays – les UAE sont officiellement nés en 1971 – mais également la position stratégique de ce dernier, entre Occident et Asie, et placé au carrefour des religions et des cultures. Comme le rappelle le Dr Ali bin Tamim, Secrétaire Général du Sheikh Zayed Book Award et président de l’Arabic Center Language « ce soft power est une bonne chose tant qu’il amène les gens et les cultures à dialoguer, tant qu’il ouvre la voie au rapprochement entre les gens. Les Emirats Arabes Unis constituent l’exemple même de cette vision. Regardez tous ces monuments comme la Grande mosquée Sheikh Zayed, la Maison abrahamique, le Louvre Abu Dhabi, les universités de la Sorbonne et de New York qui ont ainsi construit des ponts culturels ».


Le livre constitue bien évidemment l’un des axes forts de ce développement. L’Abu Dhabi International Book Fair a ainsi réunit pendant près d’une semaine en mai dernier tout ce que le monde arabe compte d’éditeurs, du Maroc à l’Irak en passant par l’Arabie Saoudite et l’Egypte. C’est d’ailleurs une maison d’édition égyptienne, El Aïn, qui édita entre autres plusieurs vainqueurs de International Prize for Arabic Fiction qui fut sacrée cette année par le Sheikh Zayed Book Award devenu au fil de ses dix-sept éditions, à la fois la consécration littéraire de tout intellectuel du monde arabe et un formidable vecteur de diffusion de la langue arabe. Saïd Khatibi, vainqueur du prix dans la catégorie jeune auteur abonde dans ce sens : « je suis très fier d’obtenir ce prix et d’inscrire mon nom à côté de celui d’Amin Maalouf et d’écrivains arabes renommés. Mais ce prix n’est pas que pour moi mais également pour la jeune génération d’écrivains algériens ».

Si ce prix traduit une volonté de défendre la langue arabe face à l’anglais, il souhaite également « encourager les jeunes auteurs, notamment les femmes » assure de son côté Jürgen Boss, président de la foire internationale de Francfort où tout se décide dans l’industrie mondiale du livre et dont la présence à Abu Dhabi et au sein du comité scientifique du Zayed Book Award, légitime à la fois la place prise par une foire qui, chaque année, prend de l’ampleur mais également vient conforter la capitale des Emirats Arabes Unis comme l’un des hauts lieux du livre sur la scène internationale et plus particulièrement dans cette partie du monde.

Pour se convaincre définitivement de l’importance accordée à la culture, il suffit de prendre un taxi et de se rendre dans le quartier des musées dans le district d’Al Saadiyat traversé par une avenue…Jacques Chirac. Ici, à côté de l’extraordinaire réussite du Louvre Abu Dhabi qui a comptabilisé fin 2022, 3,7 millions de visiteurs en cinq ans, se dressent d’innombrables grues qui bâtissent les institutions culturelles de demain : le musée d’histoire naturelle, le Zayed National Museum épousant les ailes d’un faucon et doté d’un système de ventilation révolutionnaire – les Emirats arabes Unis qui accueilleront la COP 28 fin novembre 2023 ont très tôt inscrits leurs actions créatrices dans le développement durable – ou le Guggenheim Museum signés par les plus grands noms de l’architecture comme Norman Foster ou Frank Gehry. Et à l’image de cette salle du Louvre réunissant les textes sacrés des trois religions monothéistes, les Emirats Arabes Unis, signataires des accords d’Abraham avec Israël en 2020, ont inauguré en février 2023 la Maison abrahamique, lieu syncrétique qui voit se côtoyer église, synagogue et mosquée.

Les Emirats Arabes Unis n’en oublient pas pour autant les autres champs de la culture et notamment la musique. Lieu d’un festival de musique renommé et présidée par Huda Alkhamis-Kanoo qui accueillit cet année Juan Diego Florez ou le compositeur Tan Dun et d’une salle de concert, l’Etihad Arena, désormais passage obligé des tournées internationales d’artistes du monde entier comme les Guns and Roses ou la star égyptienne Amr Diab, Abu Dhabi voit ainsi se croiser sur son sol les cultures et les esthétiques de l’Ouest et du monde arabe. La célébration, cette année, du compositeur et pianiste égyptien Omar Khairat en tant que personnalité culturelle de l’année du Zayed Book Award est ainsi emblématique de cette volonté de construire des ponts culturels entre Occident et monde arabe. L’artiste égyptien élabora ainsi une œuvre où se mêlent musique orchestrale classique et mélodies orientales composant ainsi la bande originale d’une histoire qui non seulement n’est pas prête de s’arrêter mais est en marche.

Par Laurent Pfaadt

Lublin, mystères et magie d’un joyau polonais

L’ancien épicentre de la déportation des juifs de Pologne est devenu capitale européenne de la jeunesse en 2023

La vie reprend toujours ses droits. Qui aurait pu croire il y a quatre-vingts ans qu’à quelques centaines de mètres du quartier général de l’Aktion Reinhard chargé de l’extermination des juifs de Pologne, on rirait devant des clowns et on applaudirait des acrobates ?


Centre-ville Lublin
© Le bureau du maire – Marketing de la ville de Lublin

C’est pourtant le spectacle qu’offrit la ville de Lublin en ce mois de juillet à l’occasion du festival des arts de la rue, celle d’une vie ouverte sur l’Europe et le monde, jumelée notamment avec une Vilnius que les habitants peuvent, à travers un écran, saluer. Une ville qui tel un phénix, a su grâce à sa jeunesse, renaître de ses cendres.

Rynek, centre-ville Lublin
© Le bureau du maire – Marketing de la ville de Lublin

Malgré leurs crimes notamment dans le camp de concentration de Majdanek situé aux portes de la ville, les nazis n’ont pas réussi à éradiquer la dimension juive de cette ville multiculturelle. Ici, des portraits des anciens habitants juifs au théâtre NN qui perpétue la mémoire des ces derniers en passant par l’œuvre littéraire du Prix Nobel Isaac Bashevis Singer et son fameux Magicien de Lublin et l’excellent restaurant Mandragora dans la vieille ville où il est possible de déguster de la carpe frite ou le canard à la juive avec tzimmes sur orge perlé, la spécialité de la maison le tout au son de musique klezmer et arrosé d’un Teperberg israélien, il est impossible d’échapper à la culture juive qui possède même son festival dont la quatrième édition s’est tenue mi-août.

Chapelle de la Sainte-Trinité
© Le bureau du maire – Marketing de la ville de Lublin

Pour autant, réduire Lublin à sa seule dimension juive serait injuste tant la ville foisonne d’une culture portée notamment par une jeunesse qui investit de nombreux lieux de la ville et s’implique dans des manifestations telles que des rencontres littéraires, un festival international de graffiti ou un Carnaval de magiciens de toute beauté. Fondée en 1317 et forte d’une histoire de plus de sept cents ans, la ville se développa autour de son magnifique château qui domine la cité et absorba avec intelligence des styles différents : baroque avec la magnifique Basilique des Dominicains, néo-classique et contemporain avec par exemple la reconversion réussie de cette ancienne brasserie Perla devenue un restaurant à la mode ou le centre de rencontre des cultures. Mais c’est peut-être dans son château que la cohabitation entre passé et présent s’exprime le mieux. Ainsi à quelques dizaines de mètres de la chapelle de la Sainte-Trinité, chef d’œuvre mêlant motifs gothiques et peintures polychromes orientales, s’expose de manière permanente, une des plus belles collections d’œuvres de Tamara Lempicka que l’Etat a acquis en mai 2023. Cette richesse patrimoniale lui a d’ailleurs valu d’obtenir en 2015 le label European Heritage conféré par la Commission européenne rejoignant ainsi l’abbaye de Cluny ou les sites du patrimoine musical de Leipzig en Allemagne.

Et puis, on ne va vous mentir, il y a ici un côté Mitteleuropa très agréable qui plonge immédiatement le visiteur dans une magie indescriptible, magie qu’enfants comme adultes pourront découvrir dans le théâtre Imaginarium ou en se promenant dans le Rynek, la vieille ville où se croisent influences polonaises, russes, austro-hongroises et ukrainienne. Magie qui a très vite séduit les producteurs de cinéma puisqu’en vous promenant dans ces rues, vous retrouverez celles de la Neustadt de The Reader, le film tiré du livre de Bernhard Schlink avec Kate Winslet. Et si l’atmosphère de la ville vous oppresse, il vous suffira de parcourir quelques centaines de mètres et de plonger dans l’Open Air Village Museum, un écomusée de 27 ha qui, le temps d’une balade bucolique entre moulins et maisons à toits de chaume, vous offrira un havre de paix et de méditation. Après il sera temps de vous arrêter dans le restaurant Karczma Kocanka pour vous rafraîchir avec une limonade au goût de bubble gum ou pour vous rassasier avec le fameux Forshmak, ce plat typique d’Europe de l’Est préparé avec du hareng ou de la viande salée et dont la variété de Lublin, le Forszmak lubelski est un ragoût de viande que l’on vous conseille vivement en hiver pour reprendre des forces nécessaires à la poursuite de la découverte de la ville.

Ainsi ni les incendies de l’histoire, nazi et communiste, ni celui bien réel de 1575 n’ont eu raison de cette ville qui a toujours réussi à renaître de ses cendres pour devenir aujourd’hui, l’une des plus magiques de Pologne.

Par Laurent Pfaadt

Vols Paris-Varsovie Radom à partir de 90 euros AR avec la compagnie nationale polonaise Lot Polish Airlines : https://www.lot.com/fr/fr

Où dormir

L’Arche Hôtel offre une position centrale qui permet de rayonner sur la ville https://archehotellublin.pl/en/

Où manger

Le restaurant Perłowa Pijalnia Piwa dans l’ancienne brasserie Perla où l’on vous conseille vivement l’esturgeon grillé sauce tartare et ses salicornes. https://perlowapijalniapiwa.pl/?lang=en

A lire avant de partir

Isaac Bashevis Singer, Le Magicien de Lublin, Le Livre de poche, 336 p.

Pour plus d’informations, consulter l’office de tourisme de Lublin :
http://www.lublininfo.com/en

Des châteaux en rouge et blanc

La région de Lublin recèle de multiples châteaux à découvrir

Des forêts de pins tapies de mousse luxuriante, des vignes à perte de vue, des clairières percées de rayons de lumière. Ces paysages enchanteurs dans la voïvodie de Lublin, à quelques 80 kilomètres de l’Ukraine offrent de merveilleux décors à quiconque rêvent de contes de fées, de princes et princesses, et de châteaux qui, chacun dans leur style, invitent le visiteur à un voyage dans le passé.  


Palais de Kozlowka

A Kozlowka, le blanc éclatant du château des Zamoyski donne un petit côté pavillon de chasse tiré de Guerre et Paix. On a l’impression qu’Andrei Bolkonski va arriver, juché sur son cheval ou qu’Anna Mikhaïlovna Droubetskoï va sortir de cette chapelle construite sur le modèle versaillais où elle a prié pour son fils Boris avant de se promener dans le jardin à la française attenant au château. Petit bijou perdu au milieu de ce cadre bucolique qui attire tout de même 300 000 visiteurs par an, le palais qui aligne copies de tableaux de grands maîtres et objets insolites comme ce piano girafe ou cet aspirateur du 19e siècle à manivelle, dévoile son charme à des visiteurs majoritairement polonais et allemands qui viennent ici à la rencontre, le temps d’un week-end ou à l’occasion de séminaires d’entreprises, de leur histoire nationale tumultueuse où les paons ont aujourd’hui remplacé les aigles allemands. Et si ces derniers commettaient les pires exactions à quelques kilomètres de là, Dieu ne quitta cependant jamais l’auguste demeure, cachant le futur primat de Pologne, le cardinal Stefan Wyszyński que le pape François béatifia en 2021.

Galerie réaliste socialiste, Koslowka

Pour autant, il réserva quelques facéties, rouges, aux propriétaires qui, de retour vendirent le château à l’Etat polonais qui y installa une très belle collection d’œuvres réalistes soviétiques où se côtoient Bierut, le héros communiste local et héraut stalinien qui contrôla la Pologne après la seconde guerre mondiale, Jean Jaurès mais également le miracle de l’industrialisation polonaise et des avertissements au poison capitaliste représenté par Coca Cola. Pas rancunier pour autant, le jardin aligne de magnifiques rosiers rouge carmin.

Chateau de  Zamek

A Janowiec, fini les amours contrariés tolstoïens et place aux catapultes et aux monstres de The Witcher. Ici se dressent fièrement les ruines romantiques du château de Zamek. Surplombant un paysage à couper le souffle, l’édifice bâti au XVIe siècle puis ravagé par les Suédois dont on imagine aisément, la nuit tombant, les combats à l’épée et autres pouvoirs du Sorceleur, accueille familles venues se reposer dans le parc aux arbres centenaires et visiteurs embrassant les flancs de ces collines, prolongement des hanches d’une Vistule qui a déposé voilà quelques millénaires son limon formant ainsi un terroir argilo-calcaire propice à développer un riesling plus que prometteur grâce à la persévérance de quelques vignerons. Ainsi, si la magie est restée intacte entre ces murs, les seuls sortilèges à l’œuvre aujourd’hui sont ces filtres d’amour rouges et blancs tirés des vignes en contrebas. Près de 350 ans après la mise à sac du château, les Polonais tiennent enfin leur revanche sur des Scandinaves qui aujourd’hui viennent déguster les cépages de Janowiec. Et à l’image de son drapeau national, cette très belle région de la Pologne offre le plus parfait mariage du rouge et du blanc qui s’exprime à merveille tant sur les coteaux de Janowiec que dans les jardins de Koslowka.

Par Laurent Pfaadt

Pour plus de renseignements sur les châteaux de région de Lublin :

https://www.pologne.travel/fr/les-sites-d-epingle-dor-en-pologne/palace-et-musee-zamoyski-kozlowka
https://zamek-lublin.pl/en/

Une histoire allemande

Entrer dans le musée Porsche, c’est voir bien plus que des voitures

Dès le parking souterrain le visiteur a l’impression d’être dans le musée tant les Porsche des visiteurs s’y alignent, modèles et couleurs variés. De l’une d’elle, une 911 GT3 RS verte pomme sortent Christian et Marco, deux frères suisses. « Je suis un amoureux de Porsche depuis toujours et je suis venu ici plusieurs fois. Mon frère Marco ne connaissait pas le musée. Alors je l’ai accompagné » dit-il en souriant, visiblement heureux de revenir.


Porsche
©Porschemuseum

Qui n’a jamais voulu tourner la clé de contact d’une Panamera ou entendre rugir sous son pied une 911 ? Ici dans ce temple monumental de modernité Porsche se vit, se touche. On y croise toutes les générations, petits comme grands et tout type de visiteurs. Ici un prêtre en soutane se renseignant sur Porsche pendant la seconde guerre mondiale. Là un touriste indien se faisant photographier dans la 718 Boxter. Dans le musée, l’histoire de la saga est bien évidemment relatée, de sa fondation par Ferdinand Porsche en 1931 jusqu’à aujourd’hui, mais le visiteur côtoie aussi des modèles qui changent au gré des envies alliant ainsi pédagogie et plaisir.

Ce dernier est comme un enfant. Il peut toucher les carrosseries comme s’il s’agissait de reliques, les pneus des F1, le volant qu’à dû tenir James Dean dans sa 550 ou s’assoir dans les nouveaux modèles. Les enfants se prennent en photo devant la Sally Carrera de Cars. La 911 trône bien évidemment en majesté avec ses modèles de course ou de tourisme et toise un peu sa petite sœur 928 qui suscita tant de controverses avant de rappeler avec les autres membres de la famille, de la mythique 914 S de 1969 à la fière 718 Cayman T 2019 et sa couleur rouge – petit pied de nez à sa rivale italienne – que Porsche c’est en 2023, une histoire faîte de 75 ans de rêves et de passion.

Cette passion, la marque la brandit dans les plus grandes courses du monde, notamment aux 24h du Mans, de la 917 de Steve McQueen barrée du logo orange Gulf en 1971 à la 919 hybride, victorieuse en 2015 avec ses airs de vaisseau spatial en passant bien évidemment par la mythique 962C qui réalisa un doublé en 1986-1987. Pénétrant dans la salle des trophées, le visiteur a le choix, via un écran tactile, de revivre ces grandes courses.

En Formule 1, la McLaren d’Alain Prost est là pour nous rappeler que Porsche en tant que motoriste remporta deux titres de champion du monde avec TAG. D’ailleurs, le visiteur aguerri peut ausculter la mythique mécanique. Chacun y va de son commentaire sur tel cylindre ou sur le système de freins. Ou tout simplement s’imprégner de l’esprit Porsche. « J’ai voulu voir ce musée parce que j’adore les voitures et je préfère les musées spécifiques que les grands musées. Pour m’imprégner du style Porsche » confie Iouri, un réfugié ukrainien qui se prend en photo devant la Carrera GT de 2006.

Car Porsche raconte cela. Cet esprit qu’il a insufflé, dans la course, au cinéma et dans la société occidentale moderne. Au terme d’une balade de plusieurs heures, le temps est venu de redescendre sur et sous terre pour retrouver sa voiture dans le parking souterrain. Et en tournant la clé de contact, le visiteur, encore imprégné d’un rêve qui tarde à se dissiper, s’attend toujours à entendre le moteur d’une 911.

Par Laurent Pfaadt

Pour obtenir toutes les informations sur le musée : https://www.porsche.com/international/aboutporsche/porschemuseum/

A noter que la nouvelle application du musée sera disponible dès
le 9 juin 2023

A lire :

Pour tous ceux qui souhaiteraient se replonger dans l’univers Porsche et découvrir leur modèle favori, on ne saurait trop leur conseiller le livre de Brian Laban Quintessence Porsche (Glénat)

Bibliothèque ukrainienne, épisode 5

Témoigner, voilà le maître-mot de ce nouvel épisode de bibliothèque ukrainienne. Témoigner de la réalité des bibliothèques détruites ou endommagées par l’armée russe et ses supplétifs, témoigner de la mobilisation des acteurs locaux mais également pour rendre hommage à la mémoire des écrivains morts durant le conflit. Témoigner enfin de la réalité de la guerre.


Le 17 novembre 2022 s’est ainsi réunit un forum international sur les destructions de bibliothèques ukrainiennes. Piloté par Lyusyena Shum, Executive Director Charitable Foundation Library Country, il a été l’occasion de dresser un état des lieux des destructions opérées par l’armée russe à l’encontre du patrimoine ukrainien. En matière de lecture publique et de livres, une entreprise systématique de purge des bibliothèques des villes passées sous contrôle russe a été opérée. Considérés comme « extrémistes », de nombreux livres traitant de la révolution de Maidan en 2013-2014, des mouvements de libération ukrainiens ou des opérations militaires contre les régimes séparatistes dans les régions de Donetsk et Louhansk ont été saisis ou détruits. Dans certaines écoles de la région de Kharkov, les livres saisis ont été remplacés par des livres de propagande russe.

A Marioupol, l’armée russe a ainsi brûlé la bibliothèque ukrainienne Vasyl Stus, bibliothèque publique située dans l’église de la ville. Vasyl Stus était un poète qui durant l’époque soviétique, célébra la langue et la nation ukrainienne. Envoyé au goulag, il y décéda en 1985.

Ce forum a aussi été l’occasion de mettre en lumière la formidable mobilisation de la population ukrainienne, militaires comme civils pour sauvegarder les livres et les bibliothèques de leur pays. Une immense chaîne de solidarité s’est ainsi mise en place et a permis de collecter près de 10 000 euros qui ont été redistribués à 200 bibliothèques. Cette chaîne de solidarité a également été entretenue par tous ces intellectuels, femmes et hommes de lettres engagés sur le front qui ont produit œuvres littéraires ou ont continué depuis leurs postes de combat à faire vivre la littérature ukrainienne.

Bibliothèque Karazin

Nous commençons ce nouvel épisode de bibliothèque ukrainienne par le discours de l’écrivain ukrainien Serhiy Jadan, à l’occasion de la remise du prix de la paix des libraires allemands le 23 octobre 2022 et traduit par Iryna Dmytrychyn. Serhiy Jadan a fait un don de 12 500 dollars afin de reconstruire la bibliothèque Karazin de Kharkov (photo). Il a publié son nouveau roman L’Internat aux Éditions Noir sur Blanc, dans une traduction d’Iryna Dmytrychyn que nous avons chroniqué dans notre épisode 4 : http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/bibliotheque-ukrainienne-episode-4/

« Qu’est-ce que la guerre change en premier lieu ? La perception du temps, la perception de l’espace. Ils changent très vite, les contours de la perspective, les contours du temps. L’homme dans l’espace de la guerre s’efforce de ne pas bâtir des projets d’avenir, tente de ne pas trop penser à comment sera le monde de demain. Ce qui compte, c’est ce qui t’arrive ici et maintenant ; ce qui a du sens, ce sont les choses et les gens qui resteront avec toi jusqu’au lendemain matin, tout au plus, dans le cas où tu survis et que tu te réveilles. L’objectif principal est de rester entier, d’avancer une demi-journée de plus. Après, plus tard, on verra, on saura comment agir, comment se comporter, sur quoi s’appuyer dans cette vie, quel en sera le nouveau point de départ. »

« C’est une question de langage. De l’usage précis et justifié de tel ou tel mot, de l’exactitude de notre intonation, lorsque nous parlons de l’existence à la limite entre la vie et la mort. À quel point notre vocabulaire d’avant, ce lexique qui hier encore nous permettait parfaitement d’appréhender le monde, à quel point est-il donc opérant aujourd’hui, pour exprimer ce qui nous fait mal ou, au contraire, nous donner de la force ? Car nous nous sommes tous retrouvés dans ce lieu du langage que nous ne connaissions pas auparavant et, par conséquent, notre système de valeurs et de perception est déplacé, le sens a changé de grille de lecture, le besoin a redessiné ses limites. Ce qui de l’extérieur, vu de côté, peut s’apparenter à des conversations sur la mort, en vérité représente très souvent une tentative désespérée de s’accrocher à la vie, à sa possibilité, à sa pérennité. De manière générale, où dans cette réalité nouvelle, brisée et déplacée, se termine le thème de la guerre et où commence la zone de la paix ? »

Pour lire l’intégralité du discours :

https://www.leseditionsnoirsurblanc.fr/prix-de-la-paix-des-libraires-allemands-2022-pour-serhiy-jadan-discours-de-reception-du-prix/

Témoigner, c’est aussi ce qu’entreprend Lasha Otkhmezuri, ancien diplomate et historien géorgien. Délaissant un temps le front russe de la seconde guerre mondiale qu’il a raconté avec Jean Lopez dans quelques livres devenus aujourd’hui des références (Barbarossa 1941, la guerre absolue, Passés composés, 2019 ou Joukov, Perrin, 2013), il est allé à la rencontre d’acteurs de la guerre en Ukraine pour recueillir leurs témoignages qu’il a consigné de ce livre simplement appelé Combattre pour l’Ukraine, dix soldats racontent (Passés composés, 224 p). Pour Hebdoscope, il nous en dit plus :

1.Comment est née l’idée de ce livre ?

Contrairement à mes livres précédents, il s’agit d’un livre très personnel. J’ai longtemps hésité avant de me lancer dans son écriture. J’avais peur de ressembler à un journaliste « vautour ». Quand la guerre a débuté, j’ai voulu aider l’Ukraine autrement que par mes écrits. C’est après la multiplication d’imprécisions et d’inexactitudes notamment des déclarations faisant référence à Yalta et à Munich que j’ai décidé d’écrire. La déclaration d’Henry Kissinger du 23 mai 2022 disant que l’Ukraine devait consentir à des concessions territoriales m’a définitivement convaincu.

2. Votre livre regroupe les témoignages de différentes personnes impliquées dans la guerre. Qu’ont-elles en commun ?

Je pense que ce que les unit renvoie à des termes comme la liberté, la paix et la sécurité. Des mots que certains en Occident considèrent depuis quelques décennies comme acquis. Maksym Lutsyk, un étudiant âgé de 20 ans, est sûrement le plus explicite lorsqu’il explique être allé à la guerre pour défendre la vie paisible, le droit des habitants de Kiev à pouvoir prendre un verre en terrasse. Il ne faut jamais oublier que la liberté et la paix renvoient à la nécessité de les défendre. Dans le livre, je cite Romain Rolland qui, en juillet 1938, a déclaré que « la paix ne se donne qu’à ceux qui ont le courage de la vouloir et de la défendre ». Mais je pourrais également citer Périclès qui, il y a 2500 ans, a prononcé exactement les mêmes mots. C’est pourquoi Maksym Lutsyk, Maria Chashka, des Russes, des Géorgiens ou encore le Letton Gundars Kalve ont raison quand ils déclarent que ce n’est pas seulement une guerre pour la liberté de l’Ukraine, mais également une guerre pour la paix et la démocratie en Ukraine.

3. Les propos des témoins non ukrainiens, notamment cet ancien officier du FSB, sont particulièrement édifiants

Je voulais avoir le témoignage de Russes pour démontrer qu’il n’y a pas de fatalité à voir la démocratie disparaître de Russie pour des décennies. En voyant les crimes à Boutcha et dans d’autres villes d’Ukraine, beaucoup ont conclu que tous les Russes sont des impérialistes, que la Russie ne sera jamais une démocratie. Rappelons-nous comment les citoyens russes ont réagi à l’invasion de la Lituanie le 13 janvier 1991 : des foules de moscovites sont descendues dans les rues de Moscou dès le lendemain et ont stoppé la possibilité d’un accroissement de la violence. Ce fut la plus grande manifestation de l’histoire de la Russie moderne. Ces manifestants tenaient des pancartes « pour votre et notre liberté».

L’Europe doit parler avec le peuple russe et non avec Poutine pour lui rappeler ces pages de l’histoire dont ils peuvent être fier comme ce 14 janvier 1991. L’Europe doit assurer aux Russes qu’après Poutine, au lieu du cauchemar impérialiste, ils auront la possibilité de vivre une vie meilleure et que l’Europe les aidera à réaliser cet objectif.

4. Vous, l’historien, le diplomate qui a écrit sur les batailles du front de l’Est pendant la seconde guerre mondiale, comment avez-vous perçu ces témoignages sur celles d’Irpin ou de Marioupol ?

En général, je préfère éviter ce type de parallèles, surtout quand ils sont faits par des historiens. Comme l’écrit Nietzsche, « l’histoire monumentale trompe par analogie ». 

5. Votre pays a également été envahi par la Russie (en 2008). Quel regard portez-vous sur la différence de réactions par apport à l’Ukraine ?

En 2008, je fus l’un des premiers à pointer dans la presse française la responsabilité géorgienne dans ce conflit. Comme je l’écris dans l’introduction de mon livre, il y a une grande différence entre ces deux guerres : en 2008, rien n’était noir ou blanc alors que dans la guerre actuelle nous avons une partie – l’Ukraine – qui, alors même qu’elle était déjà à moitié occupée, a tout fait pour éviter la guerre et que de l’autre côté, il y a un agresseur qu’aucun compromis n’a arrêté.

Un autre point très important pour moi : j’ai une aversion profonde pour toute sorte « d’exhibitionnisme littéraire ». Si dans l’introduction du livre je parle de mon expérience personnelle, je l’ai fait pour que le lecteur ne se méprenne pas sur mes intentions qui n’ont rien à voir avec mes origines.

Henry Lion Oldie, Invasion, journal d’Ukrainiens pacifiques, Les Belles Lettres, 180 p.

Henry Lion Oldie est un pseudonyme regroupant deux célèbres auteurs d’heroic fantasy et de littérature imaginaire (publiés chez Mnémos), Oleg Ladyjenski et Dmitri Gromov. Délaissant leurs mondes merveilleux, c’est dans le chaos et les ténèbres de l’occupation russe qu’ils nous convient dans ce livre. Vivant dans le même immeuble de Kharkov, ils sont certainement passés par cette bibliothèque Karazin qui illustre aujourd’hui notre épisode.

L’attaque du 24 février 2022 les a projetés dans le réel, dans le quotidien d’une nation en armes, d’une population qui combat et qui survit. Leurs témoignages qui s’étalent de février à l’automne 2022 parlent des attaques quotidiennes de missiles russes, de ces astuces pour éviter que volent en éclats les vitres des appartements, de ces séjours prolongés dans la cave avec les autres résidents. Et puis l’exil. Début mars 2022, les deux hommes accompagnés de leurs familles sont contraints de quitter Kharkov pour Lviv. Leur notoriété leur permet, grâce au réseau de leurs lecteurs et fans, de trouver des points de chute. Un chronique ordinaire d’une guerre extraordinaire.

Etienne de Poncins, Au cœur de la guerre, XO éditions, 352 p.

La guerre, il l’a vu à de nombreuses reprises. Mais peut-être pas d’aussi près. Etienne de Poncins est un diplomate chevronné. Passé par l’ENA, il a été en poste en Bulgarie, au Kenya et en Somalie. Arrivé à Kiev en 2019, il ne s’attendait certainement pas, malgré les menaces russes, à voir les chars de Vladimir Poutine, envahir l’Ukraine aux premières heures du 24 février 2022. « Comment expliquer et comprendre ce qui vous paraît proprement incompréhensible et irrationnel ? » écrit alors que les fantômes de la seconde guerre mondiale et de Staline se bousculent dans son esprit.

Vient alors l’évacuation de l’ambassade pour Lviv, à l’ouest du pays, la photo brisée – comme cette relation franco-russe qui avait survécut à deux guerres mondiales – du président de la République sous le bras, l’évacuation des ressortissants français, l’aide apportée à l’Ukraine, les visites à Boutcha, lieu de crimes de guerre qui semblaient appartenir au passé ou à la bibliothèque de Tchernihiv que nous avons évoqué dans notre épisode 2.

Puis vient le moment de coucher ses souvenirs sur le papier, conscient d’être engagé dans quelque chose qui le dépasse et s’appelle l’Histoire avec un grand H. Avec ce récit, le lecteur a l’impression de faire un bon dans le passé. Le livre d’Etienne de Poncins n’est pas un livre d’histoire mais un témoignage, celui d’un diplomate en guerre qui constate avec amertume que l’essence même de son action a échoué. Ce n’est pas un livre d’histoire. Pas encore.

Sylvie Bermann, Madame l’Ambassadeur, De Pékin à Moscou, une vie d’ambassadeur, Tallandier, 352 p.

De l’autre côté du Donbass, un autre diplomate français a vu cette guerre se dessiner. Première femme à avoir occupé un poste d’ambassadeur dans trois pays du Conseil de sécurité des Nations-Unies (Chine, Royaume-Uni, Russie), Sylvie Bermann arrive à Moscou en 2017. Pendant un peu plus de deux ans (jusqu’en décembre 2019), elle est la voix de la France et côtoie le maître du Kremlin dont elle perçoit vite sa volonté de renouer avec un passé sanglant : « À la recherche de l’avenir dans le passé, empreints de nostalgie de la puissance, des hommes forts rêvent du retour d’empires et s’inscrivent dans la lignée des empereurs de Chine et des tsars de toutes les Russies » estime celle qui a également côtoyé Xi Jinping.

Aux premières loges d’une situation qu’elle voit se dégrader malgré la signature des accords Minsk en 2014-2015 qui prévoyaient notamment un cessez-le-feu bilatéral et le retrait des unités armées, Sylvie Bermann a aujourd’hui un jugement sévère sur l’action du maître du Kremlin : « Cette guerre absurde est tragique pour l’Ukraine, d’abord en raison du sang versé, mais également pour la Russie et le peuple russe » écrit-elle avant de conclure  « La guerre, dont le premier objectif était de décapiter le gouvernement en installant un homme de main à Kiev, est d’ores et déjà perdue. »

Pavel Filatiev, ZOV, l’homme qui a dit non à la guerre, Albin Michel, 224 p.

ZOV, trois lettres peintes sur les blindés russes. Trois lettres qui résument l’occupation de l’armée russe. Trois lettres, titre du témoignage de l’un de ses soldats, Pavel Filatiev. Engagé dans le 56e régiment d’assaut aéroporté, ce dernier est très vite blessé à l’œil. Son témoignage, édifiant, révèle une prise de conscience parmi les militaires. Filatiev décrit une armée russe mal préparée, désorganisée, mal équipée. Mais surtout une profonde désillusion sur son pays, sur le sens que lui, et à travers lui, des milliers de jeunes russes, peinent à trouver dans cette guerre absurde. Aux épisodes de la guerre qu’il vit, succèdent ceux de sa vie d’avant, celle-là même qu’il a consacré, en vain, à son pays. « J’ai un pressentiment très net de fiasco total » écrit-il dès le 24 février 2022. Son témoignage dont l’intégralité des droits d’auteurs sera reversée à des ONG venant en aide aux victimes de la guerre en Ukraine traduit ce doute désormais présent, tel un poison, dans la société et l’armée russes. Mais ce poison est-il devenu mortel ? Personne ne le sait pour l’instant.

Hommage à Valeriya Karpylenko

Valerija Karpylenko (Nava) Asow-Kämpferin

Avant de clore ce nouvel épisode, Hebdoscope souhaite citer ce poème de Valeriya Karpylenko dont le sort a ému le monde entier au printemps 2022. L’universitaire et poétesse faisait partie des défenseurs de l’usine Azovstal à Marioupol. Elle s’était mariée avec l’amour de sa vie, Andrei, 3 jours avant la mort de ce dernier. Aujourd’hui, Valeriya Karpylenko est depuis plusieurs mois, prisonnière des Russes dans la colonie pénitentiaire d’Olevnika. Nous pensons à elle et à tous les prisonniers et demandons sa libération.

VIS !

Tire ! Peu importe le nombre de balles volées en réponse !

Peu importe le nombre de visières d’ennemis pour lesquelles tu es une cible !

Tire ! N’aies peur de rien, même de la mort !

Ne meurs pas ! En ayant une âme tachée de peur, laisse mourir tes ennemis – unités, dizaines, centaines, milliers – de toi seul !

Car ils n’ont pas ce que tu as. Un but suprême ayant pour noms honneur et dignité !

Ne meurs pas ! Il faut vivre. Toujours.

Vis jusqu’à ce que les ennemis de la terre ukrainienne soient obligés de se mettre à genoux !

Ou qu’ils soient profondément enterrés dans ses profondeurs !

Vis, car la noblesse de l’homme réside dans l’amour et la fidélité à sa terre natale

Ce dégueulasse n’a ni sa terre, ni sa maison. Ils n’ont rien. Rien à défendre.

Vis et tue ! Peu importe le nombre de balles volées en réponse !

Vis car tu n’as pas le droit de mourir !

Traduction Olha Demidas

L’Archipel du Goulache

Rien que le titre et sa couverture rouge éclatante valent le coup. Internationale du goût, marmitage communiste, tous les jeux de mots sont bons pour qualifier ce livre passionnant qui vous fait voyager à travers la cuisine des diverses contrées de l’ex-empire soviétique, de l’Arctique au Caucase et de Moscou à l’Asie centrale.


Florian Pinel, ingénieur informaticien devenu chef à mi-temps est parti avec son compère Jean Valnoir Simoulin, sur les traces des recettes de l’ex-empire soviétique et propose une réinterprétation de ces dernières. Récit de voyages autant que guide gastronomique, réalisé non sans une pointe d’humour « au péril de notre santé intestinale », les deux auteurs nous convient à déguster de la perche, du steak de cheval à Almaty au Kazakhstan, du renne, de la nouvelle cuisine moscovite, des raviolis qu’ils soient pelmenis (russes) ou varenikis (ukrainiens) et du kebab caucasien. La partie dédiée au Caucase est particulièrement intéressante. Si elle fait la part belle à l’Azerbaïdjan, terre de baklava et à la Géorgie et son fromage, Florent Pinel n’en oublie pas le lavash arménien, ce pain plat inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. L’ouvrage de Nathalie Baravian sur La cuisine arménienne (Actes Sud, 2007) offrira un formidable complément à ces aventures. Dans la préface de ce dernier, l’écrivain égyptien Alaa Al-Aswany, rappelait d’ailleurs que « ce livre n’est pas seulement un livre de recettes : à travers les plats délicieux qu’il nous présente, il nous rend plus proches de l’âme arménienne. » On pourrait dire la même chose du livre de Florent Pinel et de Jean Valnoir Simoulin. A travers leurs plats, leurs façons de les concevoir, les ingrédients choisis, le lecteur pénètre l’âme des peuples qui composèrent l’URSS, leurs savoirs-faires, leurs coutumes, leurs rapports aux autres. La gastronomie devient ainsi dans ces pages une littérature du sensible.

Au-delà des recettes présentées et qui sont presque toujours complétées par des notices fort utiles, le lecteur est surtout embarqué dans l’histoire de cet empire qui a agrégé mille et une histoires car si Staline a annexé les provinces et les hommes, il en a fait de même avec les frigidaires !  Dans ces pages se racontent donc les histoires du goulag pour y montrer l’importance du thé, de la seconde guerre mondiale et de l’éclatement de l’URSS en nous emmenant dans ces conflits « gelés » comme le Haut-Karabakh pour y déguster une truite à la grenade (le fruit bien évidemment), l’Abkhazie ou la Transnistrie où Florent Pinel rebaptise des paupiettes de porc en cornichons de Tiraspol. Jusqu’au Moyen-Age pour nous expliquer que le plov ouzbek à base de riz n’est rien de moins que l’ancêtre de la paella espagnole et du biryani indien ! 

Chacun trouvera donc un intérêt à ce livre : cuisinier, voyageur, historien en herbe ou simple curieux. On en oublierait presque l’essentiel : manger. Il est donc grand temps de passer à table, non pas devant les sbires du KGB mais devant un bon qurutob tadjik ou une soupe pomore des rives de la Mer Blanche.

Par Laurent Pfaadt

Florian Pinel, Jean Valnoir Simoulin, L’Archipel du Goulache
Aux Editions Noir sur Blanc, 264 p.

A lire également :

Nathalie Baravian, La cuisine arménienne, Actes Sud, 2007.

La ville aux mille et une cultures

Qu’elle soit royale, juive, combattante ou post-soviétique, la capitale polonaise offre une diversité culturelle remarquable

On ne sait où donner de la tête tant la culture est, ici, omniprésente. Qui aurait pu imaginer une renaissance aussi éclatante alors que la ville n’était, au lendemain de la seconde guerre mondiale, qu’un champ de ruines ? Quelques quatre-vingts ans plus tard, sa reconstruction l’a inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, au côté des plus grandes cités européennes. Et quoi de mieux que de monter sur la terrasse du 30e étage du palais de la culture et de la science édifié par les communistes qui exigèrent qu’aucune construction ne le dépassa – toujours cette idée de prouver la supériorité du socialisme mais bon – pour avoir une vue imprenable de la ville et embrasser du regard cette culture multidimensionnelle incroyable.

Alors oui, on ne le niera pas, Varsovie a un petit côté « frenchy » avec Fréderic Chopin, Jozef Poniatowski et Marie Curie. Le célèbre pianiste et compositeur est omniprésent, de l’aéroport qui porte son nom au musée qui lui est consacré dans le palais Ostrogski en passant par ces merveilleux bancs musicaux sur lesquels on s’assoit en admirant la statue de Jozef Poniatowski, cet autre héros de la nation polonaise qui se dresse fièrement devant le palais présidentiel et s’illustra au côté d’un Napoléon qui le nomma maréchal d’Empire – il est le seul étranger à avoir obtenu cet honneur – et qui possède à juste titre sa place.

On sifflotera quelques airs célèbres sur ces bancs en arrivant dans le centre-ville tout en comparant les tableaux de Bernardo Belotto qui servirent à reconstruire les différents édifices de la ville, avec leurs réalisations. Et oui, on a peine à y croire et pourtant c’est vrai : Varsovie a son Canaletto. Pas celui des canaux vénitiens et du Rialto, quoique la Vistule et ses belvédères soutiennent la comparaison. Mais celui que l’on peut admirer dans les collections d’art du musée national en compagnie d’autres grands noms de la peinture polonaise : Jan Matejko évidemment dont La bataille de Grunwald fait office de Sacre de Napoléon, mais également Piotr Michalowski ou Henryk Siemiradzki. Ces grands noms côtoient ainsi ceux de quelques grands maîtres de la peinture européenne (Jacob Jordaens, Philippe de Champaigne et son portrait du cardinal de Richelieu, Sir Lawrence Alma-Tadema dont on admirera le portrait du président et pianiste Ignacy Jan Paderewski – il faut également pénétrer dans l’hôtel Bristol pour voir le buste de ce dernier – ou la très belle collection de primitifs flamands) sauvés en partie grâce à l’intrépidité des conservateurs du musée pendant l’invasion allemande.

Alors oui, il nous faut parler de la guerre. L’invasion allemande et la lutte acharnée que lui opposa une ville par deux fois, en mai 1943 lors de la révolte du ghetto et en août 1944 lors de l’insurrection, ont inscrit dans la mémoire de l’humanité puis dans deux musées – celui de l’histoire des juifs polonais Polin et celui de l’insurrection – un état d’esprit de courage encore manifesté ces dernières semaines à l’attention de son voisin ukrainien, et une volonté de transformer les armes en culture.

Quant à notre chère Marie Curie, on l’aurait presque oublié. Après avoir traversé le centre-ville, voilà qu’apparaît sa maison natale, rue Freta dans laquelle un musée interactif permet au visiteur de découvrir l’histoire incroyable de cette femme qui reçut deux Prix Nobel.

Sur le chemin, on s’est au préalable arrêté sur la place du marché pour écouter le joueur d’orgue de barbarie – une institution – après avoir donné une pièce à la peluche qui a remplacé le singe d’antan. La ville tourne comme un tourbillon de couleurs, de cultures, mêlant passé, présent et futur.

Une ville qui avance, ne se repose pas et surtout ne reste pas figée dans un passé certes glorieux. Il faut pour cela aller admirer les sculptures modernes et fascinantes du sculpteur postmoderniste polonais Igor Mitoraj qui vécut en partie à Paris. Une ville qui se lance aussi de nouveaux défis culturels et urbanistiques en réhabilitant par exemple des anciennes usines pour en faire de lieux branchés comme l’ancienne usine de métaux non-ferreux Norblina Fabrika où les petites cuillères et les chandeliers ont cédé la place aux foodtrucks et aux marchés bios ou le Praga, ce quartier de la rive droite de la Vistule qui allie magnifiquement street art et monuments du XIXe, ambiance postindustrielle et authenticité. Autant dire qu’ici, à Varsovie, le vertige culturel vous guette.

Par Laurent Pfaadt

Où dormir : Le Chopin B&B avec ses chambres au charme suranné très années 50, situé près du Musée national et du Musée Chopin, à partir de 70 euros. Chaque soir, un récital dédié au maître des lieux est organisé.

Où manger : Le Bursztynowa Bistro sur l’avenue Nowy Swiat qui propose d’excellents pierogis, la spécialité nationale, ces succulents raviolis fourrés au fromage et à la truffe issus de leur propre production fromagère.

Quelques lectures pour vous accompagner :

Jillian Cantor, Marie et Marya (Préludes) très beau roman qui revient sur le destin incroyable de Marie Curie, jeune femme polonaise pauvre et dresse le magnifique portrait d’une combattante qui n’a jamais renoncé et a vaincu la fatalité

Zygmunt Miłoszewski, les Impliqués (Pocket), un thriller qui emmène le lecteur dans les Varsovie d’hier et d’aujourd’hui à la poursuite d’un tueur

Jean-Pierre Pécau, Dragan Paunovic, L’insurgée de Varsovie (coll. Histoire et destins, éditions Delcourt) Magnifique BD relatant l’histoire de la résistante Maria-Sabina Devrim durant l’insurrection d’août 1944

Pour préparer votre voyage, consultez le site de l’office de tourisme polonais sur :https://www.pologne.travel/fr

Une passion marocaine

Le Musée Mohammed VI d’Art Moderne et Contemporain de Rabat présentait une exposition dédiée au voyage marocain d’Eugène Delacroix

Eugène Delacroix
© Musée des beaux-arts de Dijon

Ses chevaux, ses cavaliers, sa touche orientaliste sont connus de
tous et restent à jamais attachés à son art. C’est ici, dans le royaume
du Maroc, entre mer et désert que la peinture d’Eugène Delacroix
prit forme. L’’exposition du Musée Mohammed VI d’Art Moderne et
Contemporain, élaborée en coopération avec les musées du Louvre
et Eugène Delacroix de Paris, revient ainsi sur le voyage qu’effectua
le peintre entre janvier et juin 1832 à l’occasion de l’ambassade
diplomatique du comte de Mornay, auprès du sultan Moulay-Abd-
Er-Rahman.

Si le fameux tableau du sultan est resté au musée des Augustins de
Toulouse, le visiteur reste fasciné par le travail préparatoire du
peintre, de l’esquisse venue du musée de Dijon (1832) aux eaux-
fortes et lithographies qui montrent son exceptionnel génie. Ces
dessins qui s’inscrivent dans la tradition des Daumier et Doré,
dévoilent un sens aigu de l’observation que le trait du peintre
restitue à merveille comme dans cette étude du bournous où chaque
fil se compte et s’admire. La lithographie de La Noce juive (1849),
certainement l’une des plus belles pièces de l’exposition, qui servit
de base au tableau du Louvre, se contemple sans fin, tant le trait, les
expressions des personnages et la composition appartiennent à la
fois à son temps et tracent une modernité artistique à venir.
D’ailleurs, les chevaux de Delacroix observés lors de fantasias et si
emblématiques de son art, impulsent dans les tableaux du Louvre
(Passage d’un gué, 1858) et Bordeaux (Cavalier de la garde du sultan,
1845), une sensation de mouvement qui inspira tant de peintres à
venir.

Car le musée Mohammed VI est avant tout une institution
consacrée à l’art moderne et contemporain et les commissaires ont
voulu inscrire Delacroix dans cette modernité qu’il a induit, tant
dans son alchimie picturale que dans ses compositions et dans
l’impact de l’expérience marocaine. Les œuvres d’Odilon Redon ou
d’Henri Matisse en témoignent assurément. Preuve que les voyages
continuent et continueront d’alimenter l’inconscient des artistes et
de visiteurs séduits par la beauté des coutumes et des paysages du
Maroc.

Par Laurent Pfaadt

« Delacroix, souvenirs d’un voyage au Maroc », Musée Mohammed VI d’Art Moderne et Contemporain de Rabat, jusqu’au 9 octobre 2021

Rencontre/interview Dominique de Rivaz

« Kaliningrad et ses
huit cents ans
d’existence révèle à
chaque pas un tesson
d’Histoire »

Avec Dmitri
Leltschuk, la cinéaste
suisse Dominique de Rivaz est partie à la découverte de l’enclave russe de Kaliningrad.
Elle en est revenue avec un certain nombre de clichés qui se
retrouvent dans ce très beau livre. Pour Hebdoscope, elle revient
sur cette expérience.

Dans votre ouvrage, vous dites avoir arpenté longuement
Kaliningrad 

Oui, nous avons arpenté l’enclave de Kaliningrad, et sa capitale,
Kaliningrad, caméra en bandoulière, à chaque saison, le photographe
biélorusse Dmitri Leltschuk en 2012, et moi-même entre 2017 et
2019. Le livre, Kaliningrad, la petite Russie d’Europe, offre d’ailleurs un
reportage pédestre et joyeux le long de la côte balte par le reporter
allemand, Maik Brandenburg, ainsi qu’un texte passionnant de
Cédric Gras sur cet « Extrême-Ouest » russe, qui permet de mieux
comprendre comment la (P)russe a perdu son « P ».

Avez-vous eu le sentiment que l’histoire aussi bien allemande que
soviétique s’y est dédoublée, figée, cristallisée ? 

Kaliningrad est tiraillée entre le passé et le présent, elle est marquée
par l’architecture gothique prussienne et la démesure, voire la
décadence, soviétique. Tant de choses rendent l’enclave de
Kaliningrad singulière… Son passé allemand hante les lieux, par ses
grandeurs (on pense à Kant, par exemple, qui y vécut et y enseigna)
et ses abjections (le massacre de Palmnicken où en janvier 1945
trois mille femmes juives chassées des camps furent mitraillées).
Mais au temps arrêté se tisse également le temps en marche. Si
Kaliningrad et ses huit cents ans d’existence révèle à chaque pas un
tesson d’Histoire, elle subit jour après jour l’influence de l’Europe
qui l’encercle.

Comment avez-vous ressenti ce dédoublement chez les gens que
vous avez rencontré ?

Pour les intellectuels, ce dédoublement Prusse / Allemagne / Russie
reste fascinant, ils s’y intéressent, en étudient l’histoire, en parlent,
supputent de futurs changements. Les gens plus simples, sont
profondément russes, certains parfois hélas, très nationalistes.

Le livre propose un effet de miroir très intéressant au niveau
iconographique, entre les photos en noir/blanc de Dimitri
Leltschuk et les vôtres, en couleurs. Quels sentiments avez-vous
voulu provoquer chez le lecteur ? 

Nos démarches et nos photos se complètent. Dmitri a exploré les
côtes de l’enclave le long de la mer Baltique. Moi-même j’ai
davantage exploré l’intérieur des terres, de la frontière lituanienne à
la frontière polonaise. Le choix de ces deux méthodes de travail n’a
pas pour but de provoquer des réactions, mais d’offrir plutôt un
ressenti différent.

À y regarder de près, paradoxalement, les images noir/blanc
semblent plus vivantes, plus tournées vers l’avenir, plus en
mouvements, alors que plusieurs de vos clichés veulent semblent
capter une Histoire arrêtée…

Les photos de Dmitri, à une ou deux exceptions près, ont toutes pour
motif des personnes en activité, c’est exact. Les miennes, outre de
nombreux moments de vie quotidienne, donnent aussi à voir des
lieux pour eux-mêmes, des lieux uniques en Europe. J’invite
d’ailleurs vivement chacun à aller les découvrir… dès que les
frontières rouvriront après la pandémie.

Par Laurent Pfaadt