L’étoile bleue de l’Asie

Cité mythique, la fascination pour Samarcande reste entière

Le sultan Ulugh Beg, ce souverain féru d’astronomie qui commanda au savant Abd al-Rahmân al-Sûfi le fameux Catalogue des étoiles fixes se doutait-il qu’il léguerait à l’humanité une étoile patrimoniale qui, huit cents ans plus tard, serait encore admirée, contemplée ? 


Ces richesses patrimoniales, ces beautés architecturales ont ainsi façonné une ville dont on tombe immédiatement sous le charme. Une ville qui, comme dans les contes des Mille et Une nuits, conduisit les souverains à construire des mosquées parmi les plus belles du monde pour les yeux d’une princesse comme ceux, éblouissants, de Bibi Khanoum, épouse de Tamerlan. « L’amour qui n’est pas sincère est sans valeur; Comme un feu presque éteint, il ne réchauffe pas » écrivit le poète Omar Khayyam qui résida dans la cité. Et au vue de la beauté de l’édifice, il semblerait bien que cet amour brûla d’un feu inextinguible y compris dans le cœur de…l’architecte qui selon la légende fut tellement amoureux de la princesse qu’il retarda la construction de l’édifice s’il n’obtenait pas un baiser. Est-ce cet amour inassouvi qui donne à l’ensemble, encore aujourd’hui, une atmosphère unique ? Car à Bibi Khanoum, il y a autre chose, « une énergie incroyable qui invite à la méditation » selon Charlotte Kramer, présidente de la maison d’édition Faksimile Verlag qui reproduisit à l’identique le fameux Catalogue des étoiles fixes d’Ulugh Beg.

Esplanade du Registan
Copyright Sanaa Rachiq

Alors que dire du Registan, cette esplanade de trois mosquées aux dômes turquoises qui allient yeux du tigre et lumière d’un créateur expert en nuances usant ici du soleil comme d’une palette chromatique et dont les pishtak, ces portails en forme d’arc, invitent les visiteurs à pénétrer dans les édifices. S’il est devenu une sorte de carte postale de l’Asie centrale et de l’Ouzbékistan, rien ne vaut de se trouver entouré des medersa d’Ulugh Beg, de Cher-Dor et de Till-Qari avec son fameux dôme turquoise. D’entrer dans le mihrab de la mosquée Tilla-Qori pour être submergé par la puissance et la précision de cet art islamique fait d’or et de mauve. De se trouver dans la cour intérieure de Cher-Dor au milieu de ses arbres verts orangers qui viennent caresser les bleus des façades s’assombrissant dans le crépuscule. Jusqu’au moment où le Registan se met à briller de mille feux, ceux de la modernité rejoignant les soleils à visage humain de Cher-Dor pour donner aux visiteurs un spectacle inoubliable.

Mausolée Gour-Emir
Copyright Sanaa Rachiq

Même la mort, dans cette ville de poètes et de savants, entoure la ville de son linceul bleuté. Dans les mausolées de Gour-Emir, dernière demeure de Tamerlan ou au Chah Zideh, enfilade de mosquées et de mausolées aux gammes de verts et de bleus où touristes croisent jeunes générations, Cette mort voyage dans une barque de jade et de lapis lazuli pour convoyer les vivants au pays des rêves. De son regard bleu cobalt, Shadi Mulk Aga regarde, depuis son mausolée, fidèles venus à la prière et chrétiens admiratifs avec la même bienveillance. Il croise les yeux de mosaïque de Tuman Aka imprégnés des souvenirs d’Ibn Abbas, cousin de Mahomet, d’Ibn Battuta, le grand voyageur expert en bleus des mers mais également ceux des Mongols, des Tatars et bien évidemment d’Ulugh Beg qui les changea en étoiles.

Femmes priant à la mosquée Gour-Emir
Copyright Sanaa Rachiq

Si un astéroïde porte aujourd’hui le nom de Samarcande, la ville reste assurément l’astre majeur de cette civilisation timouride qui a légué à l’humanité quelques-uns de ses plus beaux chefs d’œuvre. Un soleil aux reflets de Venus autour duquel tournent mosquées et palais de cette partie du monde. Des chefs d’œuvre sur lesquels brille toujours cette lumière bleue que capta, à coups sûrs, le sultan Ulugh Beg dans l’observatoire qu’il fit construire ici et qui se reflète sur le cratère de cette lune lunaire portant son nom. Une lune que le grand conquérant décrocha pour Bibi Khanoum.

Par Laurent Pfaadt

Quelques conseils de lecture pour s’imprégner de l’atmosphère de Samarcande :

Le désormais cultissime Samarcande d’Amin Maalouf (Grasset et Livre de poche). Pour connaître la vie d’Ulugh Beg, petit fils de Tamerlan on lira Ulugh Beg, L’astronome de Samarcande de Jean Pierre Luminet (JC Lattes & Le livre de poche).

Ceux qui veulent explorer la Samarcande soviétique devront absolument se plonger dans le dernier roman de Gouzel Iakhina, Convoi pour Samarcande (Noir sur Blanc, 2023) à retrouver ici :

Enfin, une merveilleuse découverte avec l’un des classiques de la littérature ouzbèke et d’Asie centrale, Nuit d’Abd al-Hamid Su­laymân, dit Tchul­pân (vers 1897-1938), (Bleu autour, 2009), roman longtemps interdit sous le communisme pour sa critique du stalinisme – son auteur a été envoyé au goulag et exécuté – et qui conte en 1916-1917, les aventures de deux personnages, une belle adolescente et un voyou, embarqués dans une sorte de conte des Mille et Une nuits moderne. Dans un style résolument cinématographique, cette grande fresque sociale et politique est assurément le « grand » roman ouzbèke à lire ! 

Pour admirer les magnifiques mosquées et trésors de la ville, rien de mieux que de se plonger dans le livre Mosquées de Leyla Ululhani (Citadelles & Mazenod, 304 p. 2018) à retrouver ici : http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/dieu-chez-lui/ ainsi que dans le hors-série du magazine Beaux Arts relatif à l’exposition de l’Institut du monde arabe au printemps 2023, Sur les routes de Samarcande. Merveilles de soie et d’or (décembre 2022).