Archives de catégorie : Voyage

L’Archipel du Goulache

Rien que le titre et sa couverture rouge éclatante valent le coup. Internationale du goût, marmitage communiste, tous les jeux de mots sont bons pour qualifier ce livre passionnant qui vous fait voyager à travers la cuisine des diverses contrées de l’ex-empire soviétique, de l’Arctique au Caucase et de Moscou à l’Asie centrale.


Florian Pinel, ingénieur informaticien devenu chef à mi-temps est parti avec son compère Jean Valnoir Simoulin, sur les traces des recettes de l’ex-empire soviétique et propose une réinterprétation de ces dernières. Récit de voyages autant que guide gastronomique, réalisé non sans une pointe d’humour « au péril de notre santé intestinale », les deux auteurs nous convient à déguster de la perche, du steak de cheval à Almaty au Kazakhstan, du renne, de la nouvelle cuisine moscovite, des raviolis qu’ils soient pelmenis (russes) ou varenikis (ukrainiens) et du kebab caucasien. La partie dédiée au Caucase est particulièrement intéressante. Si elle fait la part belle à l’Azerbaïdjan, terre de baklava et à la Géorgie et son fromage, Florent Pinel n’en oublie pas le lavash arménien, ce pain plat inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. L’ouvrage de Nathalie Baravian sur La cuisine arménienne (Actes Sud, 2007) offrira un formidable complément à ces aventures. Dans la préface de ce dernier, l’écrivain égyptien Alaa Al-Aswany, rappelait d’ailleurs que « ce livre n’est pas seulement un livre de recettes : à travers les plats délicieux qu’il nous présente, il nous rend plus proches de l’âme arménienne. » On pourrait dire la même chose du livre de Florent Pinel et de Jean Valnoir Simoulin. A travers leurs plats, leurs façons de les concevoir, les ingrédients choisis, le lecteur pénètre l’âme des peuples qui composèrent l’URSS, leurs savoirs-faires, leurs coutumes, leurs rapports aux autres. La gastronomie devient ainsi dans ces pages une littérature du sensible.

Au-delà des recettes présentées et qui sont presque toujours complétées par des notices fort utiles, le lecteur est surtout embarqué dans l’histoire de cet empire qui a agrégé mille et une histoires car si Staline a annexé les provinces et les hommes, il en a fait de même avec les frigidaires !  Dans ces pages se racontent donc les histoires du goulag pour y montrer l’importance du thé, de la seconde guerre mondiale et de l’éclatement de l’URSS en nous emmenant dans ces conflits « gelés » comme le Haut-Karabakh pour y déguster une truite à la grenade (le fruit bien évidemment), l’Abkhazie ou la Transnistrie où Florent Pinel rebaptise des paupiettes de porc en cornichons de Tiraspol. Jusqu’au Moyen-Age pour nous expliquer que le plov ouzbek à base de riz n’est rien de moins que l’ancêtre de la paella espagnole et du biryani indien ! 

Chacun trouvera donc un intérêt à ce livre : cuisinier, voyageur, historien en herbe ou simple curieux. On en oublierait presque l’essentiel : manger. Il est donc grand temps de passer à table, non pas devant les sbires du KGB mais devant un bon qurutob tadjik ou une soupe pomore des rives de la Mer Blanche.

Par Laurent Pfaadt

Florian Pinel, Jean Valnoir Simoulin, L’Archipel du Goulache
Aux Editions Noir sur Blanc, 264 p.

A lire également :

Nathalie Baravian, La cuisine arménienne, Actes Sud, 2007.

La ville aux mille et une cultures

Qu’elle soit royale, juive, combattante ou post-soviétique, la capitale polonaise offre une diversité culturelle remarquable

On ne sait où donner de la tête tant la culture est, ici, omniprésente. Qui aurait pu imaginer une renaissance aussi éclatante alors que la ville n’était, au lendemain de la seconde guerre mondiale, qu’un champ de ruines ? Quelques quatre-vingts ans plus tard, sa reconstruction l’a inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, au côté des plus grandes cités européennes. Et quoi de mieux que de monter sur la terrasse du 30e étage du palais de la culture et de la science édifié par les communistes qui exigèrent qu’aucune construction ne le dépassa – toujours cette idée de prouver la supériorité du socialisme mais bon – pour avoir une vue imprenable de la ville et embrasser du regard cette culture multidimensionnelle incroyable.

Alors oui, on ne le niera pas, Varsovie a un petit côté « frenchy » avec Fréderic Chopin, Jozef Poniatowski et Marie Curie. Le célèbre pianiste et compositeur est omniprésent, de l’aéroport qui porte son nom au musée qui lui est consacré dans le palais Ostrogski en passant par ces merveilleux bancs musicaux sur lesquels on s’assoit en admirant la statue de Jozef Poniatowski, cet autre héros de la nation polonaise qui se dresse fièrement devant le palais présidentiel et s’illustra au côté d’un Napoléon qui le nomma maréchal d’Empire – il est le seul étranger à avoir obtenu cet honneur – et qui possède à juste titre sa place.

On sifflotera quelques airs célèbres sur ces bancs en arrivant dans le centre-ville tout en comparant les tableaux de Bernardo Belotto qui servirent à reconstruire les différents édifices de la ville, avec leurs réalisations. Et oui, on a peine à y croire et pourtant c’est vrai : Varsovie a son Canaletto. Pas celui des canaux vénitiens et du Rialto, quoique la Vistule et ses belvédères soutiennent la comparaison. Mais celui que l’on peut admirer dans les collections d’art du musée national en compagnie d’autres grands noms de la peinture polonaise : Jan Matejko évidemment dont La bataille de Grunwald fait office de Sacre de Napoléon, mais également Piotr Michalowski ou Henryk Siemiradzki. Ces grands noms côtoient ainsi ceux de quelques grands maîtres de la peinture européenne (Jacob Jordaens, Philippe de Champaigne et son portrait du cardinal de Richelieu, Sir Lawrence Alma-Tadema dont on admirera le portrait du président et pianiste Ignacy Jan Paderewski – il faut également pénétrer dans l’hôtel Bristol pour voir le buste de ce dernier – ou la très belle collection de primitifs flamands) sauvés en partie grâce à l’intrépidité des conservateurs du musée pendant l’invasion allemande.

Alors oui, il nous faut parler de la guerre. L’invasion allemande et la lutte acharnée que lui opposa une ville par deux fois, en mai 1943 lors de la révolte du ghetto et en août 1944 lors de l’insurrection, ont inscrit dans la mémoire de l’humanité puis dans deux musées – celui de l’histoire des juifs polonais Polin et celui de l’insurrection – un état d’esprit de courage encore manifesté ces dernières semaines à l’attention de son voisin ukrainien, et une volonté de transformer les armes en culture.

Quant à notre chère Marie Curie, on l’aurait presque oublié. Après avoir traversé le centre-ville, voilà qu’apparaît sa maison natale, rue Freta dans laquelle un musée interactif permet au visiteur de découvrir l’histoire incroyable de cette femme qui reçut deux Prix Nobel.

Sur le chemin, on s’est au préalable arrêté sur la place du marché pour écouter le joueur d’orgue de barbarie – une institution – après avoir donné une pièce à la peluche qui a remplacé le singe d’antan. La ville tourne comme un tourbillon de couleurs, de cultures, mêlant passé, présent et futur.

Une ville qui avance, ne se repose pas et surtout ne reste pas figée dans un passé certes glorieux. Il faut pour cela aller admirer les sculptures modernes et fascinantes du sculpteur postmoderniste polonais Igor Mitoraj qui vécut en partie à Paris. Une ville qui se lance aussi de nouveaux défis culturels et urbanistiques en réhabilitant par exemple des anciennes usines pour en faire de lieux branchés comme l’ancienne usine de métaux non-ferreux Norblina Fabrika où les petites cuillères et les chandeliers ont cédé la place aux foodtrucks et aux marchés bios ou le Praga, ce quartier de la rive droite de la Vistule qui allie magnifiquement street art et monuments du XIXe, ambiance postindustrielle et authenticité. Autant dire qu’ici, à Varsovie, le vertige culturel vous guette.

Par Laurent Pfaadt

Où dormir : Le Chopin B&B avec ses chambres au charme suranné très années 50, situé près du Musée national et du Musée Chopin, à partir de 70 euros. Chaque soir, un récital dédié au maître des lieux est organisé.

Où manger : Le Bursztynowa Bistro sur l’avenue Nowy Swiat qui propose d’excellents pierogis, la spécialité nationale, ces succulents raviolis fourrés au fromage et à la truffe issus de leur propre production fromagère.

Quelques lectures pour vous accompagner :

Jillian Cantor, Marie et Marya (Préludes) très beau roman qui revient sur le destin incroyable de Marie Curie, jeune femme polonaise pauvre et dresse le magnifique portrait d’une combattante qui n’a jamais renoncé et a vaincu la fatalité

Zygmunt Miłoszewski, les Impliqués (Pocket), un thriller qui emmène le lecteur dans les Varsovie d’hier et d’aujourd’hui à la poursuite d’un tueur

Jean-Pierre Pécau, Dragan Paunovic, L’insurgée de Varsovie (coll. Histoire et destins, éditions Delcourt) Magnifique BD relatant l’histoire de la résistante Maria-Sabina Devrim durant l’insurrection d’août 1944

Pour préparer votre voyage, consultez le site de l’office de tourisme polonais sur :https://www.pologne.travel/fr

Une passion marocaine

Le Musée Mohammed VI d’Art Moderne et Contemporain de Rabat présentait une exposition dédiée au voyage marocain d’Eugène Delacroix

Eugène Delacroix
© Musée des beaux-arts de Dijon

Ses chevaux, ses cavaliers, sa touche orientaliste sont connus de
tous et restent à jamais attachés à son art. C’est ici, dans le royaume
du Maroc, entre mer et désert que la peinture d’Eugène Delacroix
prit forme. L’’exposition du Musée Mohammed VI d’Art Moderne et
Contemporain, élaborée en coopération avec les musées du Louvre
et Eugène Delacroix de Paris, revient ainsi sur le voyage qu’effectua
le peintre entre janvier et juin 1832 à l’occasion de l’ambassade
diplomatique du comte de Mornay, auprès du sultan Moulay-Abd-
Er-Rahman.

Si le fameux tableau du sultan est resté au musée des Augustins de
Toulouse, le visiteur reste fasciné par le travail préparatoire du
peintre, de l’esquisse venue du musée de Dijon (1832) aux eaux-
fortes et lithographies qui montrent son exceptionnel génie. Ces
dessins qui s’inscrivent dans la tradition des Daumier et Doré,
dévoilent un sens aigu de l’observation que le trait du peintre
restitue à merveille comme dans cette étude du bournous où chaque
fil se compte et s’admire. La lithographie de La Noce juive (1849),
certainement l’une des plus belles pièces de l’exposition, qui servit
de base au tableau du Louvre, se contemple sans fin, tant le trait, les
expressions des personnages et la composition appartiennent à la
fois à son temps et tracent une modernité artistique à venir.
D’ailleurs, les chevaux de Delacroix observés lors de fantasias et si
emblématiques de son art, impulsent dans les tableaux du Louvre
(Passage d’un gué, 1858) et Bordeaux (Cavalier de la garde du sultan,
1845), une sensation de mouvement qui inspira tant de peintres à
venir.

Car le musée Mohammed VI est avant tout une institution
consacrée à l’art moderne et contemporain et les commissaires ont
voulu inscrire Delacroix dans cette modernité qu’il a induit, tant
dans son alchimie picturale que dans ses compositions et dans
l’impact de l’expérience marocaine. Les œuvres d’Odilon Redon ou
d’Henri Matisse en témoignent assurément. Preuve que les voyages
continuent et continueront d’alimenter l’inconscient des artistes et
de visiteurs séduits par la beauté des coutumes et des paysages du
Maroc.

Par Laurent Pfaadt

« Delacroix, souvenirs d’un voyage au Maroc », Musée Mohammed VI d’Art Moderne et Contemporain de Rabat, jusqu’au 9 octobre 2021

Rencontre/interview Dominique de Rivaz

« Kaliningrad et ses
huit cents ans
d’existence révèle à
chaque pas un tesson
d’Histoire »

Avec Dmitri
Leltschuk, la cinéaste
suisse Dominique de Rivaz est partie à la découverte de l’enclave russe de Kaliningrad.
Elle en est revenue avec un certain nombre de clichés qui se
retrouvent dans ce très beau livre. Pour Hebdoscope, elle revient
sur cette expérience.

Dans votre ouvrage, vous dites avoir arpenté longuement
Kaliningrad 

Oui, nous avons arpenté l’enclave de Kaliningrad, et sa capitale,
Kaliningrad, caméra en bandoulière, à chaque saison, le photographe
biélorusse Dmitri Leltschuk en 2012, et moi-même entre 2017 et
2019. Le livre, Kaliningrad, la petite Russie d’Europe, offre d’ailleurs un
reportage pédestre et joyeux le long de la côte balte par le reporter
allemand, Maik Brandenburg, ainsi qu’un texte passionnant de
Cédric Gras sur cet « Extrême-Ouest » russe, qui permet de mieux
comprendre comment la (P)russe a perdu son « P ».

Avez-vous eu le sentiment que l’histoire aussi bien allemande que
soviétique s’y est dédoublée, figée, cristallisée ? 

Kaliningrad est tiraillée entre le passé et le présent, elle est marquée
par l’architecture gothique prussienne et la démesure, voire la
décadence, soviétique. Tant de choses rendent l’enclave de
Kaliningrad singulière… Son passé allemand hante les lieux, par ses
grandeurs (on pense à Kant, par exemple, qui y vécut et y enseigna)
et ses abjections (le massacre de Palmnicken où en janvier 1945
trois mille femmes juives chassées des camps furent mitraillées).
Mais au temps arrêté se tisse également le temps en marche. Si
Kaliningrad et ses huit cents ans d’existence révèle à chaque pas un
tesson d’Histoire, elle subit jour après jour l’influence de l’Europe
qui l’encercle.

Comment avez-vous ressenti ce dédoublement chez les gens que
vous avez rencontré ?

Pour les intellectuels, ce dédoublement Prusse / Allemagne / Russie
reste fascinant, ils s’y intéressent, en étudient l’histoire, en parlent,
supputent de futurs changements. Les gens plus simples, sont
profondément russes, certains parfois hélas, très nationalistes.

Le livre propose un effet de miroir très intéressant au niveau
iconographique, entre les photos en noir/blanc de Dimitri
Leltschuk et les vôtres, en couleurs. Quels sentiments avez-vous
voulu provoquer chez le lecteur ? 

Nos démarches et nos photos se complètent. Dmitri a exploré les
côtes de l’enclave le long de la mer Baltique. Moi-même j’ai
davantage exploré l’intérieur des terres, de la frontière lituanienne à
la frontière polonaise. Le choix de ces deux méthodes de travail n’a
pas pour but de provoquer des réactions, mais d’offrir plutôt un
ressenti différent.

À y regarder de près, paradoxalement, les images noir/blanc
semblent plus vivantes, plus tournées vers l’avenir, plus en
mouvements, alors que plusieurs de vos clichés veulent semblent
capter une Histoire arrêtée…

Les photos de Dmitri, à une ou deux exceptions près, ont toutes pour
motif des personnes en activité, c’est exact. Les miennes, outre de
nombreux moments de vie quotidienne, donnent aussi à voir des
lieux pour eux-mêmes, des lieux uniques en Europe. J’invite
d’ailleurs vivement chacun à aller les découvrir… dès que les
frontières rouvriront après la pandémie.

Par Laurent Pfaadt

Le doge était flamand

Pierre-Paul Rubens,
St François d’Assise recevant les stigmates,
Musée des Beaux-arts de Gand

Le Palazzo Ducale présentait
une magnifique exposition
consacrée aux maîtres
flamands

Aux 16e et 17e siècles, les
ports de Venise et d’Anvers
constituaient des plaques
tournantes du commerce
européen. Et les nombreux
échanges économiques se
doublèrent, comme à chaque
fois, d’échanges culturels.
S’appuyant sur un certain
nombre de collections
notamment celles de la Maison
Rubens à Anvers et du musée des Beaux-arts de Gand, le Palais
des Doges de Venise montra combien, à travers ces chefs
d’œuvres, les influences artistiques de la peinture italienne de ces
deux siècles notamment celle de Venise marquèrent
profondément l’art baroque flamand.

Ainsi, bien plus qu’un alignement de chefs d’œuvres et ils sont
nombreux – certains comme le Portrait de Johannes Malderus de
Van Dyck furent ainsi dévoilés pour la première fois – l’exposition
s’attacha surtout à explorer cette interaction. Outre l’utilisation
de sujets antiques et religieux ou la codification et le
développement de thématiques picturales comme celle de la
flagellation du Christ, les toiles, dessins et gravures présentés
dessinèrent ici une seule et même peinture baroque européenne.
Malgré l’existence de traditions picturales propres à chaque
région, ces dernières furent en permanence alimentées par les
expériences artistiques de ces peintres venus dans la péninsule
s’abreuver du Titien, de Véronèse, du Caravage ou du Tintoret.
Nombreux furent ainsi les peintres flamands à parfaire leurs
formations en Italie ou à mettre leurs talents au service de tel
prince ou de tel monarque. Ainsi Maerten de Vos et Frank
Pourbus séjournèrent à de nombreuses reprises en Italie. Van
Dyck y passa six années où il s’imprégna des étoffes de Véronèse
et se couvrit d’une gloire qu’il mit ensuite au service de Charles Ier
d’Angleterre.

L’exemple le plus emblématique de cette perméabilité des arts
italien et flamand fut indiscutablement celui de Pierre-Paul
Rubens qui trôna, avec ses douze œuvres, en majesté dans cette
exposition. Son incroyable Etude pour le buste de l’empereur Galba
rappelle celle de la figure pour la bataille d’Anghiar du grand Vinci
et ses ocres du Saint François d’Assise recevant les stigmates du
musée des Beaux-arts de Gand – l’une des pièces maîtresses de
l’exposition – ont été puisés sans aucun doute dans ceux du Titien.
Sa flagellation tire quant à elle son inspiration de celle dessinée
par Michel-Ange et peinte par Del Piombo dans la basilique Saint
Pierre et qu’il contempla à n’en point douter. Mais à la différence
de nombreux peintres flamands dont l’influence italienne saute
immédiatement aux yeux comme par exemple le caravagisme
d’Adam de Coster, Rubens, quant à lui, ne se laisse décrypter que
difficilement. Son art ressemble à une lente sédimentation faîte
d’influences, de modèles, de postures, de styles, de coloris
lentement absorbés, digérés constituant ainsi, pour reprendre le
terme de sa biographe française, Marie-Anne Lescourret (Rubens,
Flammarion, 2004), un véritable « syncrétisme » pictural.

Tout cela nous ferait presque oublier les peintres italiens de
l’exposition qui ne furent pas là pour servir de faire-valoir à leurs
homologues flamands, en particulier Titien que Rubens et Van
Dyck admirèrent, notamment le Portrait d’une Dame et sa fille,
vendu en 2005 à Londres et enfin restauré. Et les moins connus ne
furent certainement pas les moins beaux comme cette magnifique
Marie-Madeleine en méditation attribuée à Massimo Stanzione que
l’on surnomma à juste titre le Guido Reni napolitain. On ressort
ainsi ébloui de tant de beautés dans ce jeu de cache-cache et de
lumière fascinant. Mais que les visiteurs se rassurent, ils n’en ont
pas fini avec les mystères du Palazzo Ducale puisque le doge les
conviera très bientôt à un autre bal masqué, musical pour
l’occasion. Tout un programme donc …

Par Laurent Pfaadt

Exposition à retrouver également dans son merveilleux catalogue :

From Titian to Rubens, Masterpieces from Antwerp and other Flemish Collections (anglais), Snoeck, 240 p.

Prochaine exposition au Palazzo Ducale :

OPERA, The stars of melodrama,
du 9 avril au 30 août 2020,
Palazzo Ducale – Appartamento del Doge

Histoire d’hôtels : le Brown’s de Londres

The Kipling Suite © Janos Grapow

Des oiseaux volant
au-dessus de vos
têtes, de la
végétation
luxuriante courant
sur les murs, un
singe qui veille sur
l’entrée de votre
chambre, des
tigres couchés sur
des banquettes, le
petit Elias, huit ans, est un peu perdu. Il se croit en pleine jungle. Et
pourtant, nous sommes bien dans un hôtel. Mais pas n’importe
lequel : au Brown’s.

Le Brown’s, c’est une vieille dame de 182 ans qui se porte plutôt
bien. Tandis que pierre après pierre, l’empire britannique étendait,
en ce XIXe siècle de toutes les conquêtes et sous le sceptre de sa
toute jeune reine Victoria, son influence sur l’ensemble du globe, à
Londres dans le quartier de Mayfair, se construisait l’un des hôtels
les plus mythiques de la ville. « Je ne descends pas dans un hôtel, je
descends au Brown’s »
aurait affirmé un jour un Winston Churchill
qui affectionnait plus particulièrement le bar de l’établissement.
Car il faut le dire d’emblée, on ne vient pas à Brown’s pour y
passer une nuit ou deux mais plutôt pour y entamer un voyage
dans le temps.

Impossible de passer à côté de l’histoire avec un grand H. Les
Roosevelt, Théodore comme Franklin, ont honoré les lieux de
leurs présences et quelques gouvernements d’Europe occidentale
ont trouvé dans les confortables suites de l’hôtel, des consolations
à leurs exils forcés pendant la seconde guerre mondiale. Mais on
ne vient pas au Brown’s pour humer l’air de la guerre mais plutôt
celui du papier. Car ici, les plus grandes plumes passées ou
présentes ont dormi, parfois pensé et souvent griffonné. De
Joseph Conrad à Norman Mailer en passant par William Faulkner,
Tom Wolfe, Arthur C Clarke, Jorge Borges, JRR Tolkien ou Ian
McEwan, nombreux ont été les grands écrivains à avoir séjourné
au Brown’s. Agatha Christie s’en inspira pour A l’hôtel Bertram.
Stephen King y débuta son roman Misery. Ici, la littérature est
partout, sur les étagères, sur les murs, dans les couloirs. Alexandre
Dumas côtoie Fiodor Dostoïevski, Maurice Maeterlinck ou
George Mac Donald Fraser.

Cependant, difficile de résister à l’appel de la jungle. Et ce dernier
conduit inévitablement au premier étage vers la suite Rudyard
Kipling. Car c’est ici que le génial auteur écrivit Le livre de la jungle.
La suite a été rénovée récemment par Olga Polizzi, directrice
artistique du groupe Rocco Forte – qui signe également la
décoration de l’hôtel inspirée de l’univers de Kipling – dans le
cadre d’un vaste programme de rénovation baptisé « Rocco Forte
Suite Experience ». « Nous avons réinventé la Kipling afin que les
hôtes se sentent pleinement au cœur de Londres »
assure-t-elle. Car il
faut bien en convenir, ici, tout respire l’authenticité, des meubles
du designer anglais Julian Chichester à la fameuse lettre
manuscrite de Kipling.

Des clients venus du monde entier mais plus particulièrement
d’Italie, d’Allemagne et des Etats-Unis se pressent pour vivre cette
expérience unique. Et même d’Angleterre pour tous ceux désirant
se perdre dans cette jungle littéraire. « Beaucoup de nos clients
viennent y chercher l’atmosphère du livre de la jungle. D’autres étaient
là il y a vingt ans et reviennent »
assure Ines, la seule serveuse
française de l’équipe multiculturelle du Brown’s. Car l’atmosphère
de l’ancien empire ne serait rien sans un personnel dévoué et fier
de travailler ici. Grâce à lui, chaque client y retrouve une
atmosphère familiale et une attention de tous les instants qui se
transmet à chaque génération de concierges ou de maîtres
d’hôtels et qui contribue grandement à façonner ce lien unique
entre l’hôtel et ses clients.

Fier de son passé, l’histoire du Brown’s s’écrit également au futur
avec cette subtile combinaison de style british et de modernité. Il
est ainsi possible de regarder la télévision dans son bain après
avoir discouru, lové dans un fauteuil club, dans l’English Tea Room.
Le Brown’s propose ainsi à ses clients une expérience unique qu’ils
conserveront toute leur vie. Le petit Elias, quant à lui, est reparti
avec un singe en peluche sous le bras, singe qui l’attendait à son
arrivée dans la chambre. Il l’a appelé Roi Louie bien évidemment…

Par Laurent Pfaadt

Informations : www.roccofortehotels.com

Osez l’île de Seeland

© Sanaa Rachiq

La région de la
capitale danoise
révèle ses trésors

La mer à perte de
vue. A 360°.
Devant la maison
de l’explorateur
danois Knud
Rasmussen à
Hundested, anthropologue du Groenland et premier Européen à
avoir traversé le passage du Nord-Ouest, assis sur ce banc sous un
pin majestueux, le spectateur a l’impression que le temps s’est, ici,
arrêté. Devant ce spectacle d’une rare beauté, surtout lorsque le
soleil vient à mourir dans les flots, l’explorateur, qui devait
contempler pareil spectacle, ne se doutait pas qu’un siècle plus
tard, c’est sa ville et sa région que l’on viendrait, du monde entier,
explorer.

Ainsi, les maisons contemporaines aux intérieurs léchés qui
forment le désormais bien connu style danois et les habitants du
coin voient débarquer résidents de la capitale et touristes vers ces plages qui rappellent celles de la côte Est des Etats-Unis. Elles ont
remplacé les colonies de phoques qui nagent toujours au large et
qui ont donné son nom à la ville d’Hundested.

Du fjord de Rosskilde, nettement moins haut que ses cousins
norvégiens et où le visiteur peut s’immerger dans la culture viking,
au splendide musée contemporain Louisiana où les pieds dans
l’eau, Picasso, Giacometti ou Jorn dialoguent avec les plus grands
écrivains de la planète à l’occasion du festival de littérature qui se
tient chaque année à la fin de l’été, l’île de Seeland offre à ses
visiteurs, les nourritures spirituelles et la quiétude nécessaires à
celui qui souhaite méditer, réfléchir. Et si cela ne lui suffit pas,
plusieurs refuges s’offrent à lui comme le magnifique cloître de
l’église Sainte Marie d’Elseneur, ville natale du compositeur
Dietrich Buxtehude ou les jardins de Frederiksborg, le « Versailles
danois » à Hillerod où il peut croiser la reine.

Bien entendu, ces émotions nécessiteront de véritables
nourritures. Pour cela, le visiteur trouvera le carburant nécessaire
avec un homard grillé dans l’un des restaurants du port
d’Hundested ou dans l’incroyable Street Food Market d’Elseneur,
depuis lequel il scrutera les côtes suédoises en rêvant, comme
Knud Rasmussen en son temps, à de nouvelles expéditions.

Par Laurent Pfaadt

A lire

Les ouvrages de Jens Christian Grøndahl, certainement l’écrivain
contemporain danois le plus célèbre,
disponibles chez Gallimard.

A voir

Au nom du père d’Adam Price, le créateur de Borgen.
Une famille de pasteurs de Copenhague qui se questionne sur sa foi.
(saisons 1 et 2 disponibles en DVD et VOD, Arte éditions).

A écouter

Les symphonies de Nielsen
(Royal Danish Orchestra, dir Paavo Berglund,
RCA Victor)