Les hyènes nazies

Un livre passionnant revient sur les gardiennes des camps de concentration et d’extermination

Nombreuses furent les survivantes évoquant ces femmes qui, à l’instar de leurs collègues masculins, ont fait régner la terreur dans les camps de concentration et d’extermination. Mais pourquoi alors, ces histoires ont-elles été si peu racontées ? Certes, La liseuse de Bernhard Schlink avait abordé ce sujet mais le livre n’avait pas eu de suites.


Celui de Barbara Necek remédie enfin à ce manque. En se penchant sur le cas des Aufseherin, les « surveillantes » comme elles furent appelées, la documentariste ne souhaite pas faire œuvre d’exhaustivité mais plutôt expliquer à travers quelques exemples, la place que réserva le Troisième Reich à ces femmes provenant de milieux populaires et modestes et qui ont servi le régime de la plus funeste des manières.

En suivant ainsi les destinées de quelques-unes des 4000 femmes environ qui servirent dans les camps de concentration et d’extermination nazis, en particulier Johanna Langefeld et Maria Mandl, l’ouvrage revient sur la mécanique d’extermination des ennemis du Reich dans laquelle les femmes eurent toute leur place. De plus, il met à mal un tabou, celui qui a longtemps prévalu et qui servit d’ailleurs de défense à ces femmes en les assimilant à des « victimes d’un régime qui les instrumentalisés ».

Barbara Necek s’inscrit ainsi en totale contradiction avec cet argument. Et dresse le portrait de ces femmes qui participèrent activement, de leur plein gré, souvent à des fins d’ascension sociale, à la Shoah. L’ascension sociale, voilà le point de départ de cette implacable mécanique, celle donnant à des êtres méprisés socialement, économiquement, l’impunité de leur vengeance. « Beaucoup de femmes issues de milieux défavorisés, peu éduquées, aux ambitions professionnelles déçues, ont en effet l’impression d’être devenues quelqu’un » écrit ainsi l’auteur. Cette vengeance qui s’accompagna d’avantages de toutes sortes comme des logements ou une relation amoureuse avec l’élite SS des camps, s’exerça sur ces médecins, ces avocats, ces professeurs devenus les ennemis du régime et qui les méprisaient avant la guerre.

Puis le crime comme preuve d’une fidélité au Führer. Celui-ci s’exerça à Ravensbrück, centre de formation des Aufseherin, ce camp de femmes dont l’enceinte était interdite aux hommes et où une femme comme Johanna Langefeld, à la tête de 150 gardiennes et de 3000 prisonnières, régna comme une reine sur un royaume de spectres. A Auschwitz où Maria Mandl décida à 30 ans, de la vie et de la mort de milliers de femmes en procédant notamment à la sélection des déportées devant la Judenramp et dont le sadisme n’eut rien à envier à ses coreligionnaires SS. Si Mandl fut pendue en Pologne après la guerre et que Langefeld échappa de peu à la mort, nombreuses furent celles qui revinrent à la vie civile sans être inquiétées. Et selon Barbara Necek, « les greniers allemands recèlent encore des trésors sous forme de journaux intimes ou de mémoires que la génération des enfants garde honteusement dans le secret ». Son livre n’est donc pas un constat. C’est un point de départ.

Par Laurent Pfaadt

Barbara Necek, Femmes bourreaux
Aux éditions Grasset, 304 p.

A lire également : Wendy Lower, Les Furies de Hitler, coll. Texto,
Chez Tallandier, 368 p. 2019