L’exil et le rêve d’un royaume

Ce sont des bateaux que l’on regarde partir
de Christophe Fourvel

L’auteur anime des ateliers d’écriture accueillant notamment des
allophones, beaucoup étant des migrants d’hier et d’aujourd’hui, et
même d’avant-hier. Il a ainsi collecté la parole d’une quarantaine
d’entre eux. Des textes fragments évoquant leur vécu d’ailleurs et
d’ici, illuminés par moments d’une saillie tranchante ou renversante
comme celle d’Omassad : Le monde est un pays aux serrures
compliquées où tout est rouillé sauf le ciel. (p. 35)

Les textes courts – souvent juste un paragraphe – s’enchaînent
esquissant un paysage humain où se mêlent les origines et les
générations. Des itinéraires, des vies qui glissent de là-bas vers ici, se
posent, la plupart du temps, dans de petites villes. Des destinées
semblables fuyant un printemps arabe ou le génocide arménien, et
qui viennent de l’Est, des Balkans, d’Afrique ou d’Asie… Leurs paroles
plurielles disent la récurrence de ce chemin d’exil, une composante
éternelle de notre (in)Humanité.

Les confessions s’inscrivent dans l’enfance, scandent l’impérieuse
nécessité du départ bien plus que l’envie. Ce : Il nous fallait juste partir 
résonne d’une bouche à l’autre, même si la guerre, les violences, la
pauvreté sont invoquées. Leurs récits n’insistent guère sur les débris
d’images concassées par la peur, les patrouilles, les armées arrogantes ou
ivres (p. 86), préfèrent s’attarder sur leurs vies neuves avec la
perspective d’un accomplissement.

Un univers littéraire et poétique dont l’auteur agence les fragments
en citant l’Iliade et l’appel de ses aèdes sous les murs de Troie, en
élargissant les perspectives afin que sa voix d’écrivain amplifie la
matière sensible de ces hommes, ces femmes, car la vie pèse
beaucoup plus lourd que la littérature (p. 14). L’exilé trouve ainsi une
humanité et une identité grâce à ses propres mots : il ne sera
personne avant son récit, sinon Il est une allégorie, un symbole, une pré-
histoire que l’on s’illusionne de connaître. (p. 102)

Au fil des pages, l’unité nait de cette diversité et l’écriture tout en
délicate broderie de Christophe Fourvel nous mène dans l’intimité
de ces frères et sœurs humains avec la conviction que cette
proximité fera tomber le mur des préjugées : Essayer d’être raciste
avec de tels groupes d’humains, vous n’y arriverez pas. (p. 86)

par Luc Maechel

chez médiapop éditions, nov. 2020, 141 p.
Collection Ailleurs

Invité du mini-Festival du livre de Colmar mis en ligne
du 22 au 27 février,
Christophe Fourvel est interviewé par Jacques Fortier
en compagnie de Marion Muller-Colard (Wanted Louise, Gallimard)