L’homme est un animal violent

violenceRéédition de l’essai de Wolfgang Sofsky

Depuis longtemps, le sociologue et journaliste allemand Wolfgang Sofsky s’interroge sur les phénomènes de violence qui traversent les sociétés humaines avec un regard parfois décapant et surtout pessimiste. La réédition dans la collection Tel de Gallimard de son livre majeur, traité de la violence permet de redécouvrir cet esprit et son approche iconoclaste.

Sofsky n’y va pas par quatre chemins : « quand les hommes étaient libres et égaux, chacun avait tout à craindre d’autrui ». Le sociologue allemand bat ainsi en brèche les grandes théories d’endiguement de la violence. Non, le contrat social cher à Rousseau, n’a pas permis de canaliser la violence entre les membres d’une même société, bien au contraire. Et si l’Etat est le seul détenteur du monopole de la violence légitime, rien n’empêcha la banalisation de cette même violence.

Tout au long de ces douze chapitres qui traitent de douleur, de torture, d’exécution ou de massacre, voilà ce que dit Sofsky : la violence est inhérente à l’homme et c’est pourquoi aucune expérience passée n’a réussi à la bannir ou tout au moins à la réduire. « La violence repousse, effraie, séduit et amuse » affirme ainsi l’auteur.

Le premier chapitre consacré à l’Etat est à ce titre passionnant. L’instauration du pouvoir s’apparente à une nouvelle forme de violence où « l’ordre n’est rien d’autre que la systématisation de la violence » écrit Sofsky. Les hommes ont ainsi utilisé la violence pour conquérir le pouvoir et celle-ci s’est propagée à l’ensemble de la société et s’est institutionnalisée. Ce que nous appelons ordre n’est qu’une transformation étymologique de la barbarie.

Les rapports entre ceux qui produisent et ceux qui reçoivent, qui subissent la violence font l’objet d’une analyse poussée. La psychologie du bourreau et les ressorts de la torture nous sont décrits avec minutie et permettent de comprendre les actes qui s’affichent sur nos écrans de télévision. Pour Sofsky, « la torture est une situation totalitaire. La violence investit le corps, le moi et l’univers de la victime (…) la torture est l’éternité ». La peur constitue également selon lui une forme particulière de langage entre les êtres.

En guise de macabre apothéose, ce réquisitoire se termine par l’affirmation que la violence est ce qui fait société, ce qui cimente les groupes sociaux, les communautés humaines entre elles. Dans le massacre « qui réalise la liberté absolue au niveau collectif », dans la contemplation de la violence, dans l’édification des systèmes politiques ou dans le combat, la violence unit les hommes.

La culture, malgré une idée communément admise, ne réduit pas les différentes formes de violence sinon pourquoi les nazis, qui alignaient doctorats et écoutaient Bach, se sont-ils livrés à la forme de violence la plus structurée et l’ont développé à grande échelle en mettant en place l’extermination des juifs d’Europe que Sofsky a d’ailleurs parfaitement analysé dans son autre livre de référence, l’organisation de la terreur – les camps de concentration ? Car si la culture et la morale pensent avoir domestiqué la violence, celle-ci, au contraire, tel un animal sauvage, se renforce patiemment avant de se déchaîner avec plus de force. Cette théorie explique ainsi les phénomènes de violence de certains régimes totalitaires à l’égard des intellectuels et autres acteurs culturels. Car loin de bâtir des citoyens tolérants et cultivés, la culture contribue à développer la violence humaine selon Sofsky.

On sort un peu secoué de cette lecture mais elle nous marque au fer. C’est pour cela que le traité de la violence est un livre majeur, indispensable car en même temps qu’il met en pièces la nature humaine, il nous interpelle dans notre quotidien et notre rapport aux autres. Wolfgang Sofky nous met devant nos contradictions avec cependant cette question lancinante : peut-on changer ?

Wolfgang Sofsky, Traité de la violence, Tel, Gallimard, 2015

Laurent Pfaadt