Me to the stars

Mary Robinette Kowal a construit un univers mêlant conquête spatiale, féminisme et défense du climat

Au début, il ne s’agissait que d’un livre. Puis, très vite, le livre est devenu une véritable œuvre, digne de ses aînées, Loïs Mc Master Bujold ou Ursula K. Le Guin. Mais avec quelque chose en plus, quelque chose qui résonne avec notre époque, quelque chose appelé à durer.


A l’origine, il s’agit donc de l’histoire d’une femme, Elma York qui, en pleine guerre froide et conquête spatiale, souhaite aller sur la lune. Quelle idée me direz-vous au pays des Neil Armstrong et Buzz Aldrin, du mâle dominant, du racisme ambiant et de l’intelligence pas encore artificielle ? Mais, avec la SF et l’uchronie, ce genre de plus en plus en vogue, prompt à remodeler l’histoire, à l’imaginer prendre une autre direction, celle qu’un détail, qu’un grain de sable fait dérailler, tout est possible. Ce grain de sable est ici une femme montant dans une fusée, perdant son identité pour entrer dans la légende et devenir Lady Astronaute. A l’origine, il y a donc un chef d’œuvre, Vers les étoiles, qui rafle les principaux prix, le Hugo – Nobel de SF – le Nebula, le Locus et le Julia Verlanger.

Un chef d’œuvre donc pour couronner la première astronaute de l’histoire. Mais cela ne suffit pas car notre chère Lady Astronaute doit également sauver la terre d’une extinction engendrée par la chute d’une météorite qui a déréglé le climat et rayé de la carte la côte Est des Etats-Unis. Voilà, nous y sommes, le combat des femmes rejoint celui pour le climat. Et en excellente marionnettiste qu’elle fut dans la vraie vie, du côté de Nashville, Mary Robinette Kowal dresse un décor où elle manipule à merveille tous ses personnages avec, il faut bien le dire, une plume précise comme un télescope Hubble. Avec cela, on avale plus vite qu’une révolution, les 500 pages de Vers les étoiles.

Croyez-vous que notre experte en théâtre d’ombres (de la lune bien évidemment !) allait s’arrêter en si bon chemin ? Bien sûr que non car l’espace est infini comme l’imagination de notre autrice. Et voilà qu’un an plus tard, Mary Robinette Kowal nous emmène Vers Mars qui se déroule trois ans après le premier opus. Marchant dans les pas du grand Kim Stanley Robinson, l’autrice nous embarque dans un voyage martien assez fascinant où notre héroïne se retrouve face à une partie radicalisée de la société terrienne via l’organisation terroriste Earth-First qui souhaite sauver la Terre. La SF percute alors la réalité : qu’avons-nous fait pour en arriver là ? Quel crime s’apprête-t-on à commettre ? Avec cette saga qui s’enrichit également de nouvelles, Mary Robinette Kowal envoie un message qui n’est pas seulement littéraire mais également politique, celui d’une humanité qui doit s’unir, s’affranchir des individualismes pour conjurer son destin funeste. Et avec ses héroïnes « atypiques », Mary Robinette Kowal nous dit que les différences constituent autant de chances de réussite.

Avec Sur la lune, le troisième volet, le récit s’épaissit, fait un pas de côté – nous sommes en 1963 – pour avancer parallèlement au récit principal. L’œuvre s’affranchit de sa principale héroïne pour se concentrer sur…une autre Lady Astronaute, Nicole Wargin. Tandis qu’Elma York vogue vers Mars, Nicole Wargin embarque pour une nouvelle mission sur la Lune. La Lady devient Ladies. L’aventure d’une seule devient alors la quête de toutes. Mais sur Terre, la violence redouble tant dans les cœurs que dans la nature. Et notre autre héroïne est placée face à un dilemme puisque le mari de Nicole Wargin, gouverneur d’un Kansas devenu le nouveau centre névralgique du pays, est candidat à la Maison-Blanche. Nicole Wargin va alors devoir élaborer des stratégies pour venir à bout des dangers qui la menacent, elle et la Terre.

Les trois romans du cycle constituent des uchronies parfaitement réussies, bien rythmées et qui se complètent. Le cycle navigue entre hard-science, thriller et espionnage. De l’uchronie spatiale à celle des empires chinois ou napoléonien, il n’y a qu’un pas que franchit allègrement Thierry Camous, respectable professeur d’histoire niçois dans son ouvrage passionnant. Dans le préambule, il estime ainsi que l’une des vertus de l’uchronie est de « bouleverser nos certitudes et nous amener à revoir notre vision trop linéaire ou parfois trop bien ordonnée en ruptures canonisées. » Comme des femmes astronautes dans les années 50. Suivent alors quelques hypothèses, quelques grains de sable glissés dans l’histoire avec grand H si Charles Martel n’avait pas arrêté les Arabes à Poitiers, si l’archiduc François-Ferdinand n’avait pas été assassiné à Sarajevo en 1914 ou si le Dauphin n’avait pas cru en Jeanne d’Arc. Tiens une femme qui changea l’histoire. A l’époque, les Ladies étaient de l’autre côté de la Manche mais comme avec Elma York et Nicole Wargin, certains hommes ont suivi une étoile, une comète traversant le ciel français. Avec le succès que l’on sait.

Par Laurent Pfaadt

A lire :

Mary Robinette Kowal, Vers les étoiles, 528 p. Vers Mars, 512 p. Sur la Lune, 736 p.
tous publiés chez Denoël

Thierry Camous, Uchronies, le laboratoire clandestin de l’histoire
Aux éditions Vendémiaire, 372 p.