Pas de printemps pour Hannah

Avec Babysitter, Joyce Carol Oates s’aventure aux frontières de l’horreur et signe l’un de ses meilleurs livres

Depuis qu’elle a commencé à écrire, voilà soixante ans, Joyce Carol Oates ne cesse de nous étonner. Transcendant les genres, elle arrive à chaque fois, grâce à un style percutant et inimitable qui s’épure avec les décennies, à embarquer son lecteur.


Son nouveau roman Babysitter va au-delà. Commencé sous la forme d’une nouvelle en 2005, l’histoire est devenue un roman à la faveur du COVID. Nous sommes à la fin des années 1970 à Detroit. Sortie défigurée du chaos des émeutes de 1967, la ville reste fracturée entre quartiers aisés et pauvres. Dans le premier vit Hannah, bourgeoise à la vie bien réglée mais ennuyeuse qui se laisse séduire par un homme dont elle ignore jusqu’au nom et avec qui elle entame une liaison. Au même moment sévit un tueur d’enfants que la presse a surnommé Babysitter, kidnappant et étranglant ses victimes avant de disposer leurs cadavres correctement vêtus dans des lieux publics.

A priori deux histoires sans liens apparents. Et pourtant le lecteur ne peut s’empêcher de se demander si l’amant d’Hannah n’est pas Babysitter. Car Joyce Carol Oates fait évidemment tout pour que le lecteur y croie. Grâce à une construction narrative une nouvelle fois parfaite alternant diverses formes d’expression, l’auteure tisse son habituelle toile d’araignée où s’entremêlent ces deux histoires, mais également démons de la ville et ceux, intérieurs des personnages. Une toile d’araignée dans laquelle le lecteur est très vite pris au piège. Et le long de ces fils, le lecteur suit les thématiques récurrentes de l’autrice :  les traumatismes de l’enfant, la chosification des femmes ou la fracture entre Blancs et Noirs.

Dans cette toile d’araignée en forme de piège se débat Hannah, devenue une sorte d’héroïne à la Hitchcock. Et comme dans tous les grands romans et films, certains fils paraissant anodins s’avèrent en réalité être ceux qui sous-tendent toute la toile. Mais le lecteur doit patienter jusqu’à la toute fin du livre pour le découvrir. Il ressort en sueur de Babysitter avec un grand besoin d’oxygène pour chasser ces images d’horreurs mais ressentant également une folle addiction à poursuivre la lecture de l’œuvre d’Oates. Cela tombe bien puisque dans le même temps paraît une nouvelle série de douze nouvelles regroupées sous le titre de Monstresœur, véritable plongée dans la psyché humaine où entre fantastique et drames sociaux, Joyce Carol Oates décortique avec son scalpel littéraire toutes ces formes de violences qui régissent les rapports entre les êtres ainsi que leurs obsessions malsaines. Cela ne finira pas. Tant mieux !

Par Laurent Pfaadt

A lire :

Babysitter, Joyce Carol Oates, traduit de l’anglais par Claude Seban, éditions Philippe Rey, 608 pages, 25 euros.

Monstresoeur, Joyce Carol Oates, traduit de l’anglais par Claude Seban, éditions Philippe Rey, 608 pages, 25 euros.

A voir :

Joyce Carol Oates : la femme aux cent romans, documentaire de Stig Björkman, disponible en replay sur arte.tv