Quatre garçons dans la tempête

Deux ouvrages reviennent sur l’histoire du groupe de heavy metal Metallica

Il y a tout juste quarante ans, quatre jeunes californiens inconnus sortaient leur premier album. Baptisé Kill Em all (Tuez-les tous), celui-ci allait non seulement devenir culte avec des titres comme Seek and Destroy ou Whiplash désormais entonnés à chaque concert, obtenir cinq étoiles du magazine Rolling Stone mais surtout signer le point de départ d’une incroyable aventure musicale qui allait conduire le groupe à remporter dix Grammy Awards – plus qu’Elvis Presley, James Brown ou The Police – et à remplir des stades entiers.


James Hetfield aux Monsters of Rock, 1987 

The Four Horsemen, titre de l’une des chansons de Kill Em all, est devenu le surnom de ce quatuor porté par la voix et les compositions de James Hetfield et la batterie unique d’un Lars Ulrich. Le livre de Marc Aumont évoque ces premières années qui suivirent la naissance du groupe en 1981 après la fameuse annonce dans un journal local de Los Angeles d’un Lars Ulrich recherchant d’autres musiciens. Deux membres fondateurs (Hetfield, Ulrich) qu’une nouvelle annonce porta à trois avec le recrutement de Dave Mustaine, « l’imprévisible », qui claqua la porte deux ans plus tard, avant l’enregistrement de Kill Em All, remplacé par Kirk Hammett, ancien élève de Joe Satriani. Cliff Burton, le bassiste, rejoignit le trio pour former la version première de Metallica qui produisit deux albums de légende : Ride the lightning (1984) avec notamment For Whom the Bell Tolls et Creeping Death puis surtout Master of Puppets (1986) dont la chanson éponyme est devenue l’un des titres phares de la série Stranger things.

Embarqué dans les bus et les avions de ces concerts et ces tours sans fin, ce livre passionnant suit pendant près de quatre décennies, le groupe sur la route, des petites salles lors de la conquête de l’ouest des Etats-Unis à l’été 1983 aux stades et autres grandes messes en plein air comme cet incroyable concert, cette « démesure totale » comme le rappelle Marc Aumont, donnée sur la base aérienne de Tuschino près de Moscou quelques mois avant la chute de l’URSS en 1991 et drainant près d’un million de fans ! Bien évidemment l’ouvrage ne fait pas l’impasse sur les crises que traversa le groupe. La drogue et l’alcool qui conduisirent au départ de Dave Mustaine qui fonda Megadeth. La mort de Cliff Burton dans un accident de bus, remplacé par Jason Newsted qui fit des merveilles sur And Justice for all et le Black Album avant son départ, remplacé par l’actuel bassiste, Robert Trujillo.

Tout au long de ces quarante années, le son de Metallica a évolué mais le point de bascule fut atteint à l’occasion du Black album vendu à trente millions d’exemplaires et qui fit entrer le groupe dans une dimension planétaire avec leurs titres Nothing else matters ou The Unforgiven. Certains y ont vu un reniement. D’autres, une consécration. A cette occasion, le photographe Ross Harlin suivit le groupe durant les deux années de leur tournée planétaire, entre 1991 et 1993, et en tira un livre incroyable de photographies en noir et blanc. Souvent inédites, elles montrent le groupe entre Djakarta et Turin, entre Jacksonville en Floride et Mexico, sur la route, en backstage ou à travers de magnifiques portraits. Moscou est à nouveau présente mais à la foule de Tuschino, Ross Halfin a préféré des scènes plus intimes comme la pose d’un Lars Ulrich devant un drapeau de Lénine. Ou ce magnifique cliché pris à Denver dans le Colorado de ce même Ulrich répondant au téléphone sans savoir qui se trouve au bout du fil. Robert Trujillo, alors bassiste de Suicidal Tendencies qui assurait à cette époque les premières parties du groupe californien, et livre sa perception extérieure du Black Album, considère ainsi que Ross Halfin apporte avec ses clichés « une touche et une approche uniques à ce que l’on peut appeler l’œil du cyclone de tout concert de rock’n’roll ».

Kirk Hammett en répétition à Copenhague
Photograph : Ross Halfin

Le photographe dévoile ainsi les hommes derrière leur musique. Les liens d’affection entre James Hetfield et Lars Ulrich explosent littéralement, le côté secret d’un Kirk Hammet qu’il rompt uniquement en concert, est émouvant. Devenus les personnages d’une histoire et d’un voyage photographiques, Ross Halfin restitue dans ses pages une atmosphère assez unique.

Ce livre, magnifique, enchantera aussi bien les fans du groupe que les simples amateurs de musique, conscients de se trouver devant l’un des mythes de la musique, à ranger définitivement aux côtés des Beatles, des Rolling Stones ou de Led Zeppelin. De l’aveu même de James Hetfield, « ce livre raconte l’incroyable voyage entrepris avec le Black Album. » Un voyage au-delà de la musique.

Par Laurent Pfaadt

Ross Halfin, Metallica, The Black Album en noir et blanc, Glénat, 2022

Marc Aumont, Metallica, bêtes de scène, EPA, 2022