Radio live-La relève

Un spectacle d’une grande intelligence, très bien construit, montrant combien le journalisme peut être respectueux de la parole d’autrui et comment avec finesse et sensibilité il peut nous la faire connaitre.


©radio live production

Nous voilà immergés pour plus de deux heures dans la réalité des interviews conduites par une vraie journaliste Aurélie Charon qui se présente d’emblée comme telle, productrice à France -culture et qui nous révèle d’entrée de jeu d’où vient ce spectacle et comment il est construit.

D’abord il y a, dès 2011  avec Caroline Gillet, des documentaires sur la jeunesse diffusée à la radio (France Inter et France culture) puis en 2013 le désir de mettre en contact les jeunes avec lesquels des liens s’étaient créés et de faire avec eux une sorte d’émission en public intitulée « Radio live » pour montrer combien ces jeunes gens rencontrés dans différents pays du monde étaient plein de dynamisme, d’engagement, ayant dû souvent surmonter des situations difficiles, voir traumatisantes. L’étape actuelle intitulée
« La relève » veut faire parler aussi les jeunes générations.

Un dispositif scénique simple et pertinent évoque un studio d’enregistrement, (Alix Boillot). Côté jardin, à une petite table, un peu en retrait et dans l’ombre ont pris place les deux jeunes gens auxquels la journaliste posera des questions, autre lieu, côté cour,  celui où la musicienne et chanteuse Emma Prat s’est installée avec sa guitare électrique, plus en avant la table où Amélie Bonnin fait ses dessins, les projette ainsi que les photos sur les écrans dont un immense en fond de scène ; et sur le devant du plateau une grande télé. Sur un petit bandeau lumineux défilent des renseignements, des réflexions, comme celle-ci « En silence tout peut arriver ».

Le premier à s’avancer sur le plateau c’est Yannick Kamanzi qui commence par tracer au sol avec du scotch jaune les contours du Rwanda, son pays natal, désigner les pays frontaliers dont le Congo, précisant que c ’est sur cette frontière qu’il est né, ce qui le fait douter de son identité de rwandaise.

Peu à peu, au fur et à mesure des questions posées judicieusement par Aurélie son histoire se révèle avec le problème inévitable posé par le génocide qui a eu lieu avant sa naissance en 1994 et auquel sa famille a échappé n’étant pas présente alors dans le pays.

Cependant, cet événement dramatique dont on ne lui a pas parlé pour le préserver, l’a bien sûr rattrapé.  Sur l’écran est projeté le paysage montagneux et verdoyant du pays, sur la télé, le salon, où, dit-il, il est devenu lui-même. Ainsi les images contextualisent-elles les paroles. Cette méthode sera utilisée avec à-propos tout au long de la représentation. Pendant qu’apparait le visage de sa sœur adulte, il se met à danser.

Le principe du spectacle étant de faire se croiser la vie de différents jeunes gens, ce soir-là, c’est Hala, une jeune syrienne qui va venir répondre aux questions d’Aurélie et converser avec Yannick.

Hala trace sur le sol la carte du Moyen-Orient puis nous apprenons que sa famille est Alaouite, une communauté mal acceptée en Syrie et que son père opposant est allé en prison parce qu’il avait mis le feu à une école lui a-t-on dit, évidemment faux ! Il est opposant politique à Hafez el-Assad et c’est pour cela qu’il est en prison.

De son côté Yannick s’interroge sur le pardon car il a fini par apprendre que durant le génocide sa grand-mère a été tuée par les Tutsis et demande « où était Dieu pendant ce temps ? ».

C’est alors qu’il entame un magnifique solo de danse dans lequel avec une expressivité bouleversante il  montre avec son corps tout ce qu’il a appris et ressenti de l’horreur du génocide.

Ses révélations, sur son parcours, chacun est amené à les formuler grâce au questionnement plein de bienveillance et de curiosité de la journaliste. Elles sont accompagnées et ponctuées par les chants entonnés par la musicienne, par la projection de dessins réalisés par la dessinatrice et  par les photos de leur famille. On y verra la grande sœur de Yannick, sa mère, lui-même, enfant serré contre son père qui vient enfin d’accepter qu’il devienne danseur.

On y rencontrera les sœurs d’Hala et leur mère pour apprendre qu’après son retour d’Egypte où il avait donné une conférence sur les minorités leur père a été une nouvelle fois arrêté, torturé et qu’il en est mort. La décision de partir a été prise alors par toutes les trois, leur mère décidant de rester par esprit de résistance. Deux d’entre elles sont actuellement à Lyon.

IIlustration du « live » une jeune fille surgit sur le plateau et souligne à quel point il est important de changer de pays, nous apprenons qu’elle vient d’Ukraine et sera présente dans une des prochaines représentations.

Et puis cette photo de Sam le petit cousin de Yannick, prise lors du voyage de ce dernier dans son pays. Sam a 10 ans et on voit son interview filmée et projetée sur l’écran. Les yeux tournés vers le ciel et réfléchissant il dit qu’il faut vivre et se tourner vers l’avenir. Il est l’incarnation ce cette « relève » qui met en rapport plusieurs générations avec leurs questionnements et les réponses qu’ils font à la vie.

La radio et la scène deviennent de formidables lieux de rencontre et d’échange et nous en avons été des témoins très touchés.

La série se poursuit avec d’autres intervenants jusqu’au 18 novembre au TNS Hall Grüber

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 7 novembre au TNS