Little Girl Blue

un film de Mona Achache

Avec entre autres réalisations Les Gazelles et 6 épisodes de la série HPI, on n’attendait pas de Mona Achache un film comme Little Girl Blue avec sa noirceur et sa réflexion qui plonge au cœur de l’intime. Il nous renvoie à notre propre questionnement sur nos origines, les non-dits et leur répercussion sur les générations suivantes. Avec Marion Cotillard, elles composent un film hommage à Carole Achache, la mère de Mona, disparue en mars 2016, en s’étant donnée la mort.


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Janis Joplin chante sur le générique sa chanson éponyme. Qui est la petite fille triste dont il est question ? La réalisatrice devenue orpheline ou bien Carole, éternelle spleeneuse que sa fille essaye de mieux comprendre ? Le film interroge le pourquoi du suicide de cette femme qui laissa des milliers de photos, des carnets, des lettres et des enregistrements. « Le désir 1er de ce film était de donner un corps à ma mère pour une conversation avec elle. » La réalisatrice fut très inspirée de choisir Marion Cotillard pour incarner au sens propre du terme Carole Achache. Sous nos yeux, elle endosse son costume pour son rôle, met une perruque, des lentilles de contact pour cacher ses yeux bleus. Le film va ainsi procéder en nous montrant l’actrice à l’œuvre. Pour Mona Achache, plus qu’une incarnation, c’est une résurrection de sa mère qui s’est opérée par le jeu et la présence de sa comédienne. Pas de répétitions ! « Le tournage, chronologique, a été une expérience de vie insensée, d’une extrême intimité. Chaque jour, son corps, son visage et sa voix se métamorphosaient. Au fur et à mesure, la confusion devenait totale. Carole et Marion fusionnaient. Cela a été bouleversant pour moi, mais pour toute l’équipe sur le plateau aussi. Une résurrection, le temps d’un tournage. »

Outre le travail sur le physique, la voix a été l’enjeu d’une troublante confusion, Carole ayant laissé de nombreux enregistrements. Elle était une intellectuelle des années 70. Une femme de son temps, la fille d’une femme de lettres qui fréquentait l’intelligentsia parisienne dont Jean Genet à qui elle vouait une grande admiration au point de fermer les yeux sur l’emprise perverse qu’il exerçait sur la petite Carole. Mona Achache propose un film passionnant à la démarche formelle et esthétique admirable, mêlant images d’archives de cette époque si riche et si neuve, rebelle, avec des extraits de films des années 20, films muets très expressifs. C’est toute cette période qui est questionnée, libre et sexuellement libérée au risque de perdre son âme, avec l’évocation de Carole à New York qui vit la prostitution mais aussi avec les libertés que s’autorisaient les hommes … C’était l’époque ! Comment également vivre l’injonction de sa mère brillante écrivain à devenir une personne exceptionnelle ? Être une personne banale c’est être voué à la mort, accepter le conformisme, selon Yourcenar, est une misérable maladie. Mona Achache interroge les archives et écoute sa mère pour comprendre son geste désespéré avec le souci de rompre une malédiction familiale féminine qui se perpétue. Mona Achache a signé une œuvre cinématographique atypique, un film où l’intime touche au collectif, en transcendant son sujet par des moments de pure poésie. « Je voyais de la lumière dans tout ce noir. Il y a cette citation de Marguerite Yourcenar dans le film, dont la découverte a été une révélation pendant mon chemin d’écriture. « Qu’est-ce que vous emporteriez si la maison brûlait ? J’emporterais le feu. » Voilà. Notre maison a brulé et ma mère a été emportée avec. Mais c’est ce feu que je voudrais transmettre à mes enfants. »

Elsa Nagel