Un Achille brésilien

Un casque jaune barré de vert et de noir. Dans le monde la F1 et au-delà, tout le monde sait qui le portait. Un casque devenu mythique comme le bouclier d’Achille. Ce casque qui, comme son alter ego antique, ne lui servit à rien face à la force du destin qui, il y a 29 ans, s’abattit à Imola, sur lui et sur le talon d’Achille de sa Williams Renault. Ce destin qui le frappa dans le virage du Tamburello de ce 7e tour, alors qu’il était en tête, alors qu’il semblait, comme Achille, invincible.


Ayrton Senna

Reste le mythe forgé dans un airain inoxydable depuis toutes ces années que viendra encore renforcer la minisérie à venir sur Netflix en 2023. Avant cela, livres et BD se sont emparés de ce héros des temps modernes pour raconter la vie de ce prodige trois fois champion du monde qui remporta 41 grands prix et signa 65 pôles position. Ainsi dans leur livre consacré aux champions du monde de Formule 1 (Casa éditions), Daniel Ortelli, Loïc Chenevas-Paule et Jean-François Galeron rappellent que « le souvenir de son talent immense ne s’est pas encore estompé, bien au contraire. »

Avec Alain Prost, il écrivit l’une des plus belles pages de la mythologie automobile, après avoir vaincu un Niki Lauda sur le déclin à Monaco dans cette course d’anthologie où le pilote français obtint une victoire de raison. Avec Senna, il y eut quelque chose de plus qui dépassa le cadre F1 pour affecter même ceux qui ne s’intéressaient pas aux courses, quelque chose qui le fit entrer dans une pop culture résumée par les mots de l’écrivain Éric Genetet : « Senna, c’est la grande classe, il avait dans les mains la magie d’un grand pianiste et dans les yeux la justesse d’un félin ».

Frères ennemis chez McLaren Honda, prêts à rejouer l’Iliade sur l’asphalte du monde, dans ce combat à mort qui anime les hommes depuis la nuit des temps, les deux pilotes se livrèrent une lutte éternellement recommencée. Ils eurent leur Ulysse (Nigel Mansell qui dut attendre 39 années pour revenir en vainqueur dans sa patrie), Enée (Berger, le parfait lieutenant) ou Patrocle (Damon Hill). Deux hommes de chaque côté d’un miroir en rouge et blanc avec pour affrontement ultime Suzuka, terre de samouraïs où Achille, s’étant fait hara-kiri, laissa filer le titre à son ennemi avant de se muer en kamikaze pour, l’année suivante, obtenir une revanche…homérique

Les Homère du 9e art racontèrent cet épisode devenu mythique. Ainsi Christian Papazoglakis, Robert Paquet, Lionel Froissart rappelèrent que le grand guerrier ne fut jamais aussi fort que sous cette pluie tombée du ciel qui vainquit tous ses adversaires et qu’il chevaucha des destriers parfois modestes qu’il transforma en étalons et soumit les plus rétives de ses montures comme la McLaren MP 4/4 pour en faire l’une des plus belles machines de combat.

Vingt alors la tragédie de ce 7e tour du Grand Prix d’Imola en 1994, cette année horribilis pour le sport automobile, une tragédie que le monde entier contempla devant sa télévision « Il faisait beau et le grand prix des dimanches était un rituel. La scène en elle-même n’était très impressionnante parce qu’il y avait des sorties de route assez souvent. Ici, pas d’explosion, juste un tête-à-queue. Donc je crois que je ne me suis pas rendu compte tout de suite que c’était si grave. A cette époque on commençait à passer et repasser en boucles les images, je me souviens d’avoir ressenti une sorte de dégoût de revoir encore et encore les images, de cette société du spectacle que je ne théorisais pas du tout mais que je ressentais de cette façon » se souvient Nelly Mladenov, attachée de presse indépendante qui avait douze ans à l’époque. Septième tour fatidique lorsque Senna, frappé au talon de sa voiture, rejoignit l’Olympe du sport automobile.

« Dois-je au superbe Achille accorder la victoire ? Son téméraire orgueil, que je vais redoubler, croira que je lui cède, et qu’il m’a fait trembler… » lançait Agamemnon dans l’Iphigénie de Racine à propos du célèbre guerrier grec. Les dieux de la F1, eux, n’ont rien cédé, bien au contraire. Ils ont accueilli sur l’Olympe ce héros dont l’aura continue toujours et encore de se répandre sur nous, simples mortels.

Par Laurent Pfaadt

A lire :

Daniel Ortelli, Loïc Chenevas-Paule, Jean-François Galeron, Les champions du monde de Formule 1, Casa éditions, 176 p.

Christian Papazoglakis, Robert Paquet, Lionel Froissart, Ayrton Senna, Histoires d’un mythe, Coll Plein gaz, Glénat, 2014

A voir :

Ayrton Senna, mini-série (6 épisodes), Netflix, courant 2023