La vengeance de Wannsee

farthingEt si les nazis avaient signé la paix avec la Grande-Bretagne ? Réponse dans ce roman palpitant

Depuis le choc Fatherland de Robert Harris en 1992, les uchronies ayant pour thème la victoire des nazis après leur entente avec les puissances alliées et la solution finale n’ont eu de cesse de fasciner de nombreux auteurs notamment anglo-saxons. Ainsi l’écrivain C-J Sanson, bien connu pour ses romans policiers au temps d’Henry VIII imaginait déjà le renversement de Winston Churchill en 1941 et son remplacement par un gouvernement favorable à une paix avec les nazis (Dominion, Belfond, 2014).

Dans le cercle de Farthing de Jo Walton, romancière britannique connue dans le monde entier pour son Morwenna qui a remporté les principaux prix de science-fiction et de fantasy (Hugo, Nebula), nous sommes en 1949 et effectivement, la frange du gouvernement de sa Majesté favorable à une paix avec Hitler, a réussi à changer le cours de l’histoire. L’instable Churchill n’est plus qu’un lointain souvenir et les hommes appartenant au cercle de Farthing – lieu où s’est décidé ce putsch – qui ont sauvé l’Angleterre d’un conflit éprouvant et qui ne cachent pas leur antisémitisme, se réunissent dans une vieille demeure appartenant à une famille de l’aristocratie britannique pour y célébrer leur grande œuvre.

L’atmosphère qui rappelle Gosford Park prend vite une tournure inquiétante lorsque l’homme de la paix avec Hitler, Sir James Thirkie, est retrouvé sans vie. Dans cette enquête qui commence et qu’on ne quitte à regret que le sommeil venant, un coupable est vite trouvé : David Kahn, le mari de Lucy, membre de la famille d’Eversley et hôtesse de la réunion. Car sur le corps de la victime, on a retrouvé l’étoile jaune (et oui, en Angleterre, ils la portent aussi !). Un inspecteur de Scotland Yard est dépêché sur place pour tenter de résoudre cette enquête dont l’issue ne fait guère de doutes.

Et pourtant ! C’est sans compter avec le talent de Jo Walton qui nous conduit à douter en permanence et nous emmène sur des fausses pistes. Dans le même temps, l’auteur déroule sous nos yeux cette société britannique qui, figée dans ses codes sociaux, s’est transformée au contact de l’idéologie fasciste, en haine des classes tout en bafouant les libertés individuelles avec la bénédiction du gouvernement.

Sorte de conférence de Wannsse à l’envers où avait été décidée à Berlin la solution finale de la question juive, le cercle de Farthing se situe dans le cadre classique de l’uchronie entre le roman policier et le drame. Il y a parfois du Agatha Christie dans ces pages. Avec ce premier tome d’une trilogie baptisée « le subtil changement », le cercle de Farthing est un roman en tout point réussi. On attend en tout cas avec impatience la suite de cette histoire réinventée et pas si irréelle que ça…

Jo Walton, le cercle de Farthing, Denoël, coll. Lunes d’encre, 2015

Laurent Pfaadt

Il était une fois Westeros

George R.R. MartinPlusieurs récits de George R.R. Martin reviennent sur la genèse du Trône de fer

La mode est aux prequelles et le Trône de fer n’y échappe pas. L’auteur à succès George R.R. Martin a publié ces dernières années plusieurs récits se passant près d’un siècle avant les aventures de Tyrion Lannister et de Daenerys Targaryen que les éditions Pygmalion, éditeur français du Trône de Fer, publient ici dans un volume qui trouvera à coup sûr sa place dans la bibliothèque des amateurs de fantasy au côté des épais volumes de la désormais mythique saga.

Rassemblés sous le titre de Chroniques du chevalier errant, ces récits donnent des éléments de compréhension de certains épisodes du Trône de fer et racontent ces histoires que l’on se transmet au coin du feu à Port-Réal. Le Trône de fer est alors occupé par la famille Targaryen et son roi Daeron II, les héritiers du Dragon. A cette époque, personne ne se doute que près d’un siècle plus tard, il n’y aurait plus aucun membre de cette illustre famille sur le continent, qu’Aerys II serait tué par un Lannister, le fameux Régicide, et que la dernière héritière vivrait en exil. Les principales familles rivales sont bien là et on se plaît à les retrouver : les Lannister toujours maîtres de leur fief de Castral Roc, les Tyrell à Hautjardin, les Tully à Vivesaigues, les Frey et bien entendu les Baratheon.

En suivant le chevalier errant, Dunk devenu Duncan le Grand après avoir usurpé l’identité d’un chevalier mourant, sorte de Don Quichotte de l’heroic fantasy au cœur vaillant et à l’honneur inoxydable, George R.R. Martin nous fait voyager dans cet univers familier. Dunk rencontre sur sa route un jeune homme dénommé « l’Oeuf » qu’il prend à son service. Celui qui devient alors son écuyer se révéle être un personnage bien surprenant et les deux garçons vivent ensemble de nombreuses aventures aux quatre coins de Westeros.

Fidèle à sa narration qui a fait le succès du Trône de fer, George R.R. Martin s’attache à conter ces histoires truculentes par le biais de personnages insignifiants, de seconds rôles qui, au fur et à mesure du récit, en deviennent les acteurs principaux. Mais surtout, à travers les histoires de ce chevalier errant, l’auteur rappelle que Westeros fut également une terre qui se structura progressivement où les hommes d’honneur, ces chevaliers errants, pouvaient choisir leurs causes et non leurs rois. A travers ces récits, George R.R. Martin laisse entendre que durant les 90 ans qui séparent ces histoires de la saga du Trône de fer, s’est constituée une féodalité où chaque chevalier est devenu un vassal. Cela donne une perspective évolutive au récit en même qu’il installe le Trône de fer dans une tradition sociologique et historique qui a subi des mutations.

Ceux qui pensaient encore que le Trône de fer n’était qu’un divertissement en seront pour leurs frais…

George R.R. Martin, Chroniques du chevalier errant, Pygmalion, 2015.

Laurent Pfaadt

L’aveu

guantanamoLe rapport explosif du Sénat américain qui revient sur les actes de torture commis par la CIA

Le 11 septembre 2001 a constitué à plus d’un titre un tournant dans l’histoire contemporaine. La guerre contre la terreur a justifié les invasions de l’Afghanistan puis de l’Irak. Le président américain George W. Bush et son administration ont alors usé de tous les moyens pour traquer terroristes et autres ennemis de l’Amérique, y compris les plus inavouables.

C’est l’objet de ce livre coup de poing qui autre n’est que le rapport déclassifié de la commission du renseignement du Sénat qui fait la lumière sur la torture pratiquée par des agents de la CIA, devenu l’exécutrice des basses œuvres d’une démocratie qui s’est reniée dans ce qu’il est désormais convenu d’appeler le Programme de détention et d’interrogatoire. John R. MacArthur, directeur de la revue Harper’s et Scott Horton, avocat, journaliste et spécialiste des droits de l’homme, opposants tous deux de la première heure à la guerre en Irak, signent une préface qui est une violente charge contre la CIA. Celle-ci renoua avec son passé trouble des époques Dulles et Helms en repoussant de plusieurs années la publication de ce rapport, en faisant pression sur le président Obama, en transmettant des informations classifiées, en mentant sur la violence des traitements infligés aux détenus, sur leur confinement, sur la pertinence des informations obtenues notamment pour déjouer de futurs attentats et en détruisant de nombreuses preuves.

Le rapport n’omet rien si ce n’est la localisation des centres d’interrogatoire dont on sait aujourd’hui notamment grâce au rapport Marty du Conseil de l’Europe que plusieurs pays européens abritèrent des prisons secrètes de la CIA. Dans ces lieux de sinistre mémoire, la torture y fut pratiquée au mépris du droit international et des libertés individuelles même si lors d’une audition en avril 2007 du directeur de la CIA, Michael Hayden, ce dernier affirmait avec aplomb que « les blessures les plus graves, à ma connaissance sont des lésions produites par les menottes ». Privation de sommeil, violences psychologiques, intimidation, waterboarding (simulation de la noyade) furent des techniques régulièrement utilisées. A ce titre, les récits des interrogatoires du numéro trois d’Al Qaeda, Khaled Cheikh Mohammed, capturé en 2003, constituent l’un des passages les plus intéressants du livre. KCM fut soumis à 183 séances de waterboarding sans résultat probant puisqu’un courriel daté du 14 mars 2005 relate que « l’opinion générale semble être que la simulation de noyade ne parvient pas à rendre KCM plus docile ». Au final, le rapport conclue dans une forme d’aveu d’échec que « l’usage par la CIA de techniques d’interrogatoire renforcées a été inefficace pour obtenir des renseignements ou gagner la coopération des détenus ». Pire, la torture a été souvent sous-traitée et utilisée par vengeance ou par représailles.

Evidemment, l’ouvrage laisse un goût amer puisqu’il s’agit d’un rapport et non d’un procès. Cependant, cette commission sénatoriale témoigne également que les Etats-Unis restent malgré tout une démocratie capable, certes des pires méfaits, mais également – à l’inverse des Etats qu’ils combattent – encline à reconnaître ses errements.

L’histoire, a-t-on coutume de répéter, est écrite par les vainqueurs. Mais si les Etats-Unis ont gagné militairement ces guerres, ils ont en revanche, comme le rappelle ce rapport dans sa dernière conclusion, perdu les batailles de l’opinion et des valeurs. Ce livre est là pour le rappeler et, si la justice en est absente, au moins peut-il servir d’avertissement à nos gouvernants.

Dianne Feinstein, La CIA et la torture, les Arènes, 2015

Laurent Pfaadt

Le pouvoir vaut bien une messe

DuboisLe cardinal Dubois sort enfin de l’ombre

Pourquoi Guillaume Dubois n’occupe-t-il pas la même place dans l’histoire de France que les cardinaux Richelieu et Mazarin ? Parce que la Régence reste toujours encore cette parenthèse libérale dans l’histoire de la monarchie française comme l’est d’ailleurs la monarchie de Juillet ? Parce que l’œuvre du cardinal Dubois ne subsista pas ? Ou parce que la légende noire de l’homme fut tenace ? Peut-être un peu des trois.

L’auteur de cette biographie très réussie, Alexandre Dupilet, n’y va pas par quatre chemins : le cardinal Dubois fut le génie politique de la Régence. Il est vrai qu’il fut un génie. Mais dans quelle mesure ? C’est tout l’intérêt du livre. Dans cette société d’Ancien Régime qui limitait grandement l’ascension sociale, la trajectoire de Guillaume Dubois est atypique. En l’absence de sources fiables – à dessein peut-être – il est très difficile d’établir l’origine sociale du futur cardinal mais il est certain qu’elle ne fut pas très élevée. Or, dans cette société d’héritiers, on n’accepte que rarement les parvenus et Guillaume Dubois fut l’objet de tous les maux. Alexandre Dupilet tempère quelque peu ces accusations. Sans tomber dans l’éloge, il replace ce personnage intrigant et libertin dans le contexte de son époque. « Il n’était pas acceptable et accepté à cette époque qu’un petit roturier de province puisse accéder à de tels emplois » écrit ainsi l’auteur.

Dubois n’a eu de cesse de s’élever par tous les moyens. Devenu abbé, il consolida lentement son influence à l’ombre des Orléans ainsi que dans la diplomatie secrète.

La mission en Angleterre que lui confia le duc d’Orléans en 1698 constitua l’un des tournants de sa vie car il devint à ce moment précis l’un des plus fervents partisan d’un rapprochement avec l’ennemi héréditaire de la France, l’Angleterre, qui allait se concrétiser avec la Triple Alliance en 1717. Malheureusement, cette alliance inédite ne survécut guère qu’une vingtaine d’années avant que les guerres de succession d’Autriche et de Sept Ans ne viennent ranimer les rivalités d’antan, au profit de l’Angleterre. Mais en 1717, Dubois fut l’un des hommes les plus puissants de France et d’Europe.

La religion ne fut pour lui qu’un moyen d’ascension sociale quand d’autres s’élevèrent par le sang ou les armes. La religion ne représenta qu’un prétexte pour accéder au pouvoir. Obsédé par Richelieu et Mazarin, Dubois usa d’intrigues, de corruption et d’expédients pour obtenir le chapeau de cardinal notamment lors du conclave de 1721.

La légende noire dont il fut victime tient également de l’emprise qu’il exerça sur le Régent. De son précepteur, il devint son principal ministre, son éminence grise, peut-être son mauvais génie. Car comme le note à juste titre Alexandre Dupilet, « le chapeau de cardinal, aussi prestigieux fût-il, peut être considéré comme une simple étape vers la fonction suprême qu’il rêvait d’atteindre » c’est à dire le poste de Premier ministre, resté sans titulaire depuis Mazarin et que le Régent rétablit pour Dubois en 1722.

Cette gloire fut cependant éphémère car sa mort en 1723, quelques mois avant celle de son protecteur, marqua la fin d’une époque. Reste l’ambition démesurée d’un homme…

Alexandre Dupilet, le cardinal Dubois, le génie politique de la Régence, Tallandier, 2015.

Laurent Pfaadt