La leçon de piano

PiresRencontre à Belgais avec Maria Joao Pires 

On savait que Mario Joao Pires était une pianiste à part. Preuve en est encore donnée avec ce livre fascinant de Frédéric Sounac qui a suivi, pendant plusieurs années, la virtuose à Belgais, au Centre d’Etude des arts qu’elle a fondé en 1999 et au sein duquel tout est possible, notamment celui de croire en ses rêves.

« Quand Marie Joao se met au piano, il me semble savoir non pas ce qu’elle va jouer, mais si elle va jouer cela ou non » écrit l’auteur. Ainsi, en suivant les pas de l’auteur, celui-ci nous emmène dans un voyage à la rencontre de l’essence même de la musique et de la magie qu’elle opère sur les êtres. Voguant de Mozart à Prokofiev en passant par Schubert, Brahms ou Chopin, on y apprend une multitude de choses sur Maria Joao Pires, de son rapport à la musique et au monde des solistes mais également de son « autre vie », celle en dehors du piano, qui l’a vu notamment figurer au casting de la Divine Comédie de Manoël de Oliveira.

Mais l’essentiel n’est pas là. L’intérêt premier de l’ouvrage réside indubitablement dans cette conception qu’elle se fait de la musique mais également, à travers elle, de la mission qui est la sienne. A Belgais, Maria Joao Pires explore le pouvoir de la musique sur les autres en particulier sur les enfants. On l’accompagne dans ces séances quotidiennes avec les enfants qui ne viennent pas à Belgais comme dans un conservatoire mais dans un lieu où se développe « l’imaginaire des enfants en leur offrant un éventail exceptionnel d’initiatives artistiques, de manière à ce qu’ils grandissent avec l’évidence de cette possibilité d’expression de soi ».

On comprend alors mieux que la musique n’est pas une fin en soi mais simplement un outil dans l’expression de chacun. A Belgais, se produit une sorte d’alchimie où les êtres se révèlent à eux-mêmes. « Maria Joao Pires est sans conteste une fabuleuse artiste mais n’use pas d’arguments musicaux pour guider les élèves » car elle « ne fait que les renvoyer à une sphère intuitive et corporelle » écrit Frédéric Sounac. Le contact physique ou la danse sont ainsi utilisés, la transmission plutôt que l’enseignement est privilégiée. Et le miracle se produit comme avec cette jeune fille qui après une dizaine d’échecs, joua divinement bien la 27e sonate de Beethoven.

Il est fort à parier qu’à l’instar de Sergiu Celibidache, le chef d’orchestre roumain, peu d’élèves de Maria Joao Pires, deviendront de grands musiciens. Mais tous, assurément, après leur contact avec elle, ont vu leur vie bouleversée à tout jamais.

Si ce livre est une leçon de piano, il est avant tout une leçon de vie.

Frederic Sounac, une saison à Belgais : autour de ,
Editions Aedam Musicae, 2015

Laurent Pfaadt

Passages de témoins

© Franca Pedrezetti, Festival de Lucerne
© Franca Pedrezetti, Festival de Lucerne

De jeunes orchestres
dirigés par des chefs
expérimentés :
les merveilleuses surprises de Lucerne

Le festival d’été de Lucerne est toujours le lieu d’incroyables rencontres musicales entre des répertoires, des interprétations, mais surtout entre ces générations de musiciens qui ont écrit l’histoire de la musique au XXe siècle et continueront de la façonner au XXIe siècle. Ainsi les concerts des 22 et 23 août 2015 ont permis à de jeunes musiciens d’apprendre de chefs de légende et pour ces derniers, de mesurer combien la musique évolue et se transforme.

Habitué à diriger le Chamber Orchestra of Europe, orchestre dont il est l’un des membres d’honneur, Bernard Haitink a construit depuis longtemps une relation de confiance faîte d’échanges réciproques avec les musiciens. Cette complicité fut immédiatement perceptible dans la symphonie inachevée de Franz Schubert où Bernard Haitink conduisit le Chamber Orchestra of Europe dans une profondeur inouïe portée notamment par des vents sublimes et des cordes très affutées.

Le chef, aidé de la magnifique Maria Joao Pires, a ensuite fait rayonner l’orchestre dans le 23e concerto de Mozart. Interprétant ce dernier comme personne, la pianiste portugaise au touché si velouté nous a transporté dans un rêve surtout dans cet adagio où l’osmose avec l’orchestre fut totale, la pianiste répondant avec douceur et émotion aux appels émis par ce dernier. Interprétée de cette manière, la musique de Maria Joao Pires vous touche au cœur et vous bouleverse. Et lorsqu’elle est accompagnée par le COE, cela créée des moments uniques. La soirée s’acheva avec la symphonie Jupiter où l’expérience et la fraîcheur ont été rendus possibles par les cordes électrisantes de l’orchestre. Cette interprétation rappelle que les symphonies de Mozart ne s’apprécient qu’en concert même si le COE a gravé avec Harnoncourt l’une des plus belles versions (1991).

Le lendemain, les jeunes musiciens de l’orchestre Gustav Mahler avaient rendez-vous avec Herbert Blomstedt, chef très apprécié des orchestres. A 88 ans, le chef suédois naturalisé américain n’a rien perdu de sa superbe, surtout lorsqu’il dirige Bruckner. Celui qui veilla à la destinée de l’orchestre symphonique de San Francisco et de la Staatskapelle de Dresde emmena cette jeune phalange dans cette grande cathédrale qu’est la 8e symphonie.

Blomstedt a su parfaitement canaliser la fougue de cette jeunesse qui ne demandait qu’à s’exprimer tout en les libérant du poids écrasant de sa stature de chef pour créer de magnifiques pages orchestrales tout en nuances. Transformant les cordes en un puissant vent dans le premier mouvement puis distillant avec intelligence le hautbois, les cuivres, la clarinette ou la harpe dans un dialogue harmonieux avec l’orchestre, Blomstedt donna une réelle épaisseur à cette symphonie.

L’architecture musicale d’une monumentalité rarement atteinte dans le répertoire symphonique a été parfaitement exploitée par Blomstedt qui, lorsqu’il dirige Bruckner, se transforme en conteur de ces vieilles légendes germaniques. Le chef fit l’orchestre un véritable être vivant que l’on sent respirer, haleter et nous emporta dans l’une des plus belles codas de la musique où le mysticisme brucknérien est porté à son paroxysme. L’émotion figea la salle qui, retenant son souffle, suivit la course de la baguette du chef avant de lui réserver une standing ovation méritée.

Laurent Pfaadt