Jésus, ce musulman

 Jésus © François Catonné/Archipel 33
Jésus © François Catonné/Archipel 33

La nouvelle série de Jérôme Prieur et de Gérard Mordillat est consacrée à la place de Jésus dans l’Islam

De l’aveu même des auteurs, il s’agit d’une œuvre de salubrité publique. Comprendre, expliquer et surtout combattre les préjugés et autres représentations erronés qui dressent les hommes et les religions les uns contre les autres, voilà en somme les messages qui se dégagent de ce précieux coffret. Après les origines du christianisme et
Apocalypse, les auteurs ont décidé d’explorer la place de Jésus dans l’Islam, ainsi que la naissance et la formalisation de cette religion adoptée par plus d’un milliard d’individus.

Rassemblant les plus brillants historiens et théologiens spécialistes de l’islam, cette série montre l’importance de Jésus dans le Coran où il est cité à une douzaine de reprises. Reconnu dans son humanité, Jésus est le dernier prophète avant Mahomet chez les musulmans. Rythmé par des exégèses en arabe et par la beauté des textes sacrés, cette série documentaire s’attache à analyser et à interpréter un
Coran souvent caricaturé car méconnu.

De plus, ce travail en profondeur permet de montrer les liens étroits qui existaient et existent toujours entre le christianisme et l’islam et met à mal le discours réducteur des extrémistes. Ainsi, qu’il s’agisse de la thèse intéressante défendue dans la sourate 4 sur la crucifixion où le Christ aurait été substitué ou la pénétration du christianisme dans la péninsule arabique – certains spécialistes assurent que le Prophète aurait non seulement disposé d’informateurs chrétiens mais maîtrisait une langue étrangère, le syriaque ou même le grec – les auteurs restituent bien l’atmosphère de cette époque charnière de l’histoire où le Proche-Orient fut un creuset des religions. Cette interpénétration des deux dernières religions monothéistes auraient même fait dire à Jean de Damas, le dernier Père de l’Eglise, au VIIIe siècle, que l’Islam était une hérésie du christianisme.

Au-delà de cette analyse, la série constitue également une formidable porte d’entrée pour comprendre la vie du Prophète et
l’époque dans laquelle il inscrivit son message et qui a conduit à la rédaction du Coran. Ainsi, un débat très intéressant revient sur l’ordre des sourates et sur la composition du livre saint des
musulmans que Patricia Crone, professeur à Princeton et récemment disparue, a comparé à une symphonie.

Au final, on ressort grandi d’une telle entreprise. Mais surtout celle-ci permet de comprendre que l’on a tout à partager avec le monde
musulman et que la connaissance de l’autre et le partage des savoirs qu’avaient bien compris Averroès et Avicenne mènent  les hommes sur le chemin de la paix.

Gérard Mordillat, Jérôme Prieur, Jésus et l’Islam, (7 épisodes),
Arte Editions, 2015

Laurent Pfaadt

Histoire d’un fiasco

attentat © afp.com/Lionel Bonaventure
attentat © afp.com/Lionel Bonaventure

Gilles Kepel décrit la lente et implacable mécanique socio-politique qui a conduit aux attentats de 2015

 

L’ouvrage a quelque chose qui s’apparente à la prophétie. Ecrit et programmé bien avant les attentats du 13 novembre 2015, il trouve une résonnance plus que pertinente au regard des funestes évènements qui frappèrent Paris.

On ne présente plus Gilles Kepel tant il est devenu l’un des spécialistes de l’islam et du monde arabe les plus médiatiques depuis plusieurs années. Mais plus qu’un bon client de tous les médias français et étrangers, Gilles Kepel est avant tout un chercheur, un universitaire scrupuleux qui, depuis Science Po ou l’institut universitaire de France, scrute et analyse les lignes de fracture d’une société traversée par des identités multiples et les effets parfois désastreux de
décisions géopolitiques et domestiques.

Regarder le temps long, la lente progression d’évènements concomitants aboutissant à la catastrophe que l’on connait, voilà tout l’intérêt de Terreur dans l’hexagone écrit en compagnie d’Antoine Jardin.

L’ouvrage qui revient sur les évènements qui ont structuré les attentats depuis dix ans est avant tout un constat d’échec. Kepel montre bien comment 2005 constitua l’année charnière de la catastrophe, sorte d’alignement des sombres planètes qui ont permis ce qui allait suivre : le changement de génération à la tête de l’Islam de France, les mutations de la mouvance djihadiste, l’affaire des caricatures
danoises et les transformations opérées dans les banlieues. A cela s’ajoutent les profonds bouleversements affectant le monde digital avec l’émergence et le développement des réseaux sociaux et la
dimension criminogène de la prison.

Dans le même temps, les pouvoirs publics fermèrent les yeux sur l’importance de ce problème où aucune réponse ne fut donnée à la crise des banlieues de 2005 tandis que la crise économique, à partir de 2008, vint encore dégrader les conditions de vie des habitants des banlieues et aggraver jusqu’à l’insupportable des discriminations déjà fortes. Kepel dresse ainsi avec succès le décor d’une situation qui a mis des années à arriver à maturation en croisant tous les
phénomènes sociaux, économiques, culturels et politiques.

On voit ainsi, et c’est la grande force du livre, que ce processus – implacable malheureusement même si de nombreux jeunes des
banlieues ont trouvé une forme de résilience pour s’en sortir – va fabriquer les Merah, Kouachi et Abaaoud. On ne naît pas terroriste, on le devient. Et ce que Kepel considère comme une désintégration sociale conduisit des jeunes en rupture à partir de 2012 avec
Mohammed Merah à rejoindre la mouvance terroriste et à commettre des attentats sur le sol français. « Cette tuerie perpétrée par un enfant des cités questionne la pertinence de l’idéologie française de
l’intégration comme roman national laïque et républicain et réécrit dans le sang un grand récit sombre de la France contemporaine qui la révèle brusquement comme société retrocoloniale »
écrivent ainsi Gilles Kepel et Antoine Jardin.

Le repli sur soi, la mort du vivre-ensemble, la fragmentation identitaire de notre société et l’émergence de l’Etat islamique ont ainsi permis à l’expérience Merah de faire des émules. Devant les constats accablants de ce fiasco politique et social relatés par ce livre fondamental, il est donc urgent de trouver les réponses adéquates. Pour notre pays, nos enfants, notre démocratie, il n’est pas trop tard.

Gilles Kepel, Terreur dans l’Hexagone, Genèse du djihad français,
Gallimard, 2015

Laurent Pfaadt

Le phénix de l’Europe

JPUn ouvrage passionnant revient sur l’histoire  de la Pologne au XXe siècle

Du fait de sa situation géographique entre
Allemagne et Russie, la Pologne a toujours joué un rôle central dans l’histoire de l’Europe et du monde. Ce pays que l’historien britannique Norman Davies a surnommé « le phénix de l’Europe » fait l’objet  d’un ouvrage tout à fait particulier. En effet, son auteur, Georges Mink, spécialiste émérite des pays d’Europe centrale et professeur au collège d’Europe à Natolin explore l’histoire récente de ce pays tout en expliquant, par un subtil jeu de miroirs, son impact sur la mémoire polonaise.

L’ouvrage contient beaucoup de sang et de larmes. Traversée par les totalitarismes du XXe siècle, nazisme et communisme, l’histoire de la Pologne de 1914 à nos jours est racontée avant tout du point de vue polonais. Ainsi, la période du gouvernement général nazi n’est évoquée que par le biais de la Résistance ou de l’insurrection du ghetto de Varsovie. Les grandes périodes de l’histoire polonaise sont relatées, de la renaissance de la nation polonaise à la présidence
Kaczynski en passant par l’échec de la normalisation dans les années 80 ou la soviétisation du pays. Une galerie de portraits des grands hommes du pays, du maréchal Pilsudski, père de la nation polonaise à Tadeusz Mazowiecki en passant par Lech Walesa, Jean-Paul II ou Adam Michnik, traversent le livre de Georges Mink.

La plus-value du livre est cependant ailleurs. Avec ses assertions fort pertinentes et souvent marquées par des « usages » du passé, l’auteur questionne en permanence l’impact de la construction mémorielle de la Pologne moderne permettant ainsi de comprendre sa position dans les grandes questions qui agitent le monde et l’Europe, qu’il s’agisse de sa position dans l’UE ou de ses rapports avec
l’Allemagne ou la Russie par exemple lors de la guerre en Ukraine. Ainsi, il explique bien comment le massacre de Katyn perpétré par le NKVD en avril-mai 1940 et attribué à tort par la propagande soviétique aux nazis, demeura un sujet interdit sous la Pologne communiste et que sa commémoration à Varsovie dans les années 80 constituait un acte de résistance. Et lorsque l’avion du président Lech Kaczynski, alors en route vers Katyn s’écrasa le 10 avril 2010, de nombreux médias y virent les victimes supplémentaires du massacre de 1940.

En payant plus qu’aucun autre pays en Europe un lourd tribut aux grandes tragédies du XXe siècle et en menant une longue bataille pour la liberté face aux asservissements de tout ordre, la Pologne s’inscrivit définitivement dans la géographie de l’Europe dont elle demeure l’un des membres éminents. Cette longue quête européenne portée notamment par un Bronislaw Geremek à qui l’ouvrage est dédié, a été nourrie par une mémoire souvent tragique mais mise au service de la démocratie qui trouva son aboutissement dans l’élection de Jerzy Buzek à la présidence du Parlement européen en 2009 et la nomination de Donald Tusk à la présidence du Conseil
européen en décembre 2014.

Ignacy Paderewski, célèbre pianiste devenu Premier ministre en 1919 affirmait que : « la Pologne ne sera peut-être pas comme celle que nous avons connue, mais ce sera un pays libre, fier de son passé et confiant en l’avenir. » Ce livre est là pour en témoigner.

Georges Mink, La Pologne au cœur de l’Europe, de 1914 à nos jours,
Buchet-Chastel, 2015

Laurent Pfaadt

Pianistes de légende

SokolovSokolov et Lisiecki font briller le répertoire romantique

Il faut dire que l’on attendait avec impatience son nouveau disque. Après le récital d’anthologie à Salzburg, Grigori Sokolov revient avec un nouveau disque consacré à Schubert, Beethoven, Rameau et Brahms. Celui qui ne donne plus que des récitals est à nouveau époustouflant. Les Impromptus de Schubert sont ainsi hors du temps, d’une beauté incroyable en particulier le 3e où le pianiste, comme à son habitude, explore toutes les nuances de l’œuvre. Le 4e impromptu ressemble quant à lui à un rêve dans lequel Sokolov nous entraîne avec son toucher unique.

Dans la sonate n°29 dite Hammerklavier de Beethoven, Sokolov est d’une facilité déconcertante.  L’adagio, joué avec délicatesse et profondeur, nous raconte une histoire et nous emporte dans notre propre vie. Le génie de Sokolov y transparaît à chaque note surtout dans ce final si redouté des pianistes. Aucun sentiment n’est assez fort pour décrire le sentiment que l’on ressent à l’écoute de  cette sonate. Avec son interprétation toute personnelle de Rameau où
Sokolov chevauche l’œuvre pour y délivrer une vision proprement stupéfiante et très séduisante. Il achève ainsi de convaincre l’auditeur qu’il n’est pas un pianiste comme les autres.

Si Sokolov a déjà acquis de son vivant le statut de légende, Jan Lisiecki, malgré son âge, ne devrait pas tarder à l’acquérir. Comme son brillant aîné, le pianiste canadien sort lui aussi un nouveau disque, consacré à Robert Schumann. Passage obligé de tous les grands solistes, le concerto de Schumann, composé en 1845, a connu une multitude de versions. Avec son premier mouvement qui déploie immédiatement le brio de l’œuvre, le concerto dévoile très vite les intentions du soliste. Jan Lisiecki ne tombe pas dans le piège de la fougue et malgré son âge, fait preuve d’une incroyable maturité musicale qui est souvent le signe des très grands solistes, d’autant plus que le concerto permet différentes variations. Le piano de Lisiecki se fait parfois murmure dans le premier mouvement lorsqu’il dialogue avec les vents puis devient une caresse dans le second. L’élégance du jeu de Lisiecki se coule parfaitement dans la souplesse rythmique de l’œuvre détonnant ainsi avec tous ces jeunes pianistes qui maltraitent souvent l’instrument.

Il faut dire que le soliste a trouvé un partenaire de choix en la personne d’Antonio Pappano, à la tête de l’orchestre de l’Académie nationale de Sainte-Cécile et chef du Royal Opera House par ailleurs. L’osmose entre le soliste et l’orchestre est excellente et atteint même des sommets dans l’autre pièce concertante de Schumann présente sur le disque, l’introduction et allegro appassionato. L’énergie que Pappano insuffle à l’orchestre est proprement contagieuse et pousse Jan Lisiecki à s’insérer dans un rythme et à danser avec l’orchestre, donnant ainsi toute sa brillance à cette pièce de
Schumann.

Même s’il n’égale pas les versions Lupu/Prévin et surtout celle, indépassable de Lipatti et Ansermet, cette belle version permettra de découvrir ce jeune pianiste appelé, à n’en point douter, à régner sur les sommets du piano.

Grigory Sokolov, Schubert & Beethoven, Deutsche Grammophon, 2015

Jan Lisiecki, Schumann, Orchestra dell’Accademia Nazionale di
Santa Cecilia, dir. Antonio Pappano, Deutsche Grammophon, 2015

Laurent Pfaadt

La lyre russe

Marina © ITAR-TASS
Marina © ITAR-TASS

L’œuvre intégrale de la poétesse Marina Tsvetaeva enfin traduite

 

Marine Tsvetaeva (1892-1941) fut l’un des grands noms de la poésie russe du XXe siècle avec Boris Pasternak, Anna Akhmatova ou Ossip Mandelstam. Comme eux, elle fut persécutée par le régime stalinien. Mais sa poésie traversa les âges et les continents. Aujourd’hui, grâce au travail de titan entrepris par Véronique Lossky, traductrice attitrée de Tsvetaeva, les lecteurs français ont enfin la possibilité d’apprécier dans sa globalité l’œuvre incomparable et magnifique de cette figure majeure des lettres russes et surtout de découvrir de nombreux poèmes inédits.

Celle qui aimait recouvrir les murs de son appartement moscovite de ses vers explore à travers une œuvre plus que conséquente, les thèmes de l’amour, de l’enfance et de l’histoire millénaire russe. Divisée en deux périodes – les poèmes de Russie et les poèmes de maturité – son œuvre est marquée par la césure de 1921 où l’amour de Marina Tsvetaeva pour son mari, Sergueï Efron, engagé dans l’armée blanche fidèle au tsar, prend la forme d’un long chant d’attente à destination de cet époux absent qui se bat pour défendre cette histoire russe tirée du fond des âges comme en témoigne notamment le fameux poème, les nuits sans bien-aimé (1918). Quant à l’ode à cette Russie qui sera défaite par les bolcheviks, ce sera le grandiose Camp des cygnes : « Qu’avez-vous fait ? Supporté le martyre ; Puis épuisés, nous sommes couchés pour dormir. Les descendants, songeurs écriront dans les dictionnaires le mot « Devoir » avant le « Don »

On comprend alors mieux pourquoi, Marina Tsvetaeva choisit l’exil en 1921 à Berlin puis en Tchécoslovaquie, pays pour lequel elle conserva toute sa vie une affection toute particulière comme en témoigne ses Poèmes à la Tchécoslovaquie écrits en 1938 alors que le pays est écrasé par la botte nazie : « Tous gris de douleur, les flots de la Vltava pleurent ; Trois cent ans d’esclavage ; Vingt ans de liberté » avant de s’établir à Paris entre 1925 et 1939. Vivant en marge des milieux littéraires, elle continue à écrire. C’est alors l’époque notamment des poèmes Ma Maison (1931), Un jardin (1934) ou Lecteurs de journaux (1935).

Devant la montée des périls en Europe, elle décide de revenir en URSS à la veille de la guerre en 1939. Arrêtée, son mari est fusillé et sa fille déportée. Sans ressources et sans espoir, Marine Tsvetaeva se suicide le 31 août 1941. L’un de ses derniers poèmes, J’ai mis la table pour six, se termine par ces vers : « Et tout ce qui cherchait à se répandre, le sel des yeux, le sang des plaies coule de la nappe jusqu’au parquet »

Ces poèmes demeurent aujourd’hui le reflet de cette existence bouleversée, de cette âme pétrie d’amour, de cet esprit qui se confondit avec l’époque tragique de ce début de XXe siècle. Ces poèmes que les russophones pourront également réciter dans leur langue maternelle resteront à jamais les larmes contemporaines de cette fameuse mélancolie russe pleurée par celle que le prix Nobel de littérature, Joseph Brodsky, aimait à dire qu’ « il n’a pas retenti de voix plus passionnée que la sienne ».

Marina Tsvetaeva, Poésie lyrique (1912-1941), éditions des Syrtes, 2015.

Laurent Pfaadt

Nelson Goerner ressuscite les morts

NG © Jean-Baptiste Millot
NG © Jean-Baptiste Millot

Le pianiste argentin redonne vie à des compositeurs
oubliés

S’il demeure nettement moins connu que ses aînés, Martha Argerich et Daniel Barenboïm, Nelson Goerner s’inscrit indubitablement dans cette magnifique lignée de pianistes argentins de grand talent. Et c’est peu dire que d’affirmer que le virtuose de 46 ans est l’un des tous meilleurs. Après ses Chopin et ses Debussy d’anthologie, les différents disques qu’il nous offre aujourd’hui parlent d’eux-mêmes. Virtuosité et sensibilité sont ainsi les maîtres mots de ces nouvelles gravures parues sous le label de l’Institut Frédéric Chopin.

La singularité de Nelson Goerner tient également au fait qu’il ne se contente pas des classiques qui sont, pour les artistes de notre temps, autant de passages obligés sur la route de la notoriété d’une époque où les différences ont tendance à s’estomper. La discrétion de Goerner n’a d’égale que son opiniâtreté à ressusciter des compositeurs aujourd’hui oubliés et à révéler la beauté d’œuvres injustement méprisées par le répertoire.

Le concerto pour piano d’Ignacy Paderewski est emblématique de l’impitoyable sélectivité de l’histoire musicale. Qui se souvient encore de ce pianiste et compositeur acclamé dans le monde entier et qui devint Premier ministre de son pays au lendemain de la Premier guerre mondiale ? Personne ou presque. Et pourtant, son concerto est un véritable hymne à la liberté et à l’héroïsme. La force qui s’en dégage permet au pianiste de briller et d’y développer tout son lyrisme. Goerner y excelle sans tomber dans l’exagération grâce à un toucher subtil où il sait mettre en lumière les couleurs tantôt éclatantes du premier mouvement, tantôt intimes du second. Il est magnifiquement secondé par l’orchestre de la radio polonaise placé sous la direction de Jacek Kaspszyk qui a eu à cœur, dans cet enregistrement de concert, de maintenir jusqu’au bout les équilibres sonores et un souffle qui ne retombe qu’à la dernière note.

Le concerto pour piano n°2 du compositeur italien Giuseppe Martucci est du même acabit. Goerner, une fois de plus impérial, démontre toute l’étendue de son jeu, martelant le premier mouvement avant d’offrir une palette plus nuancée dans le reste de l’œuvre. Son interprétation aérienne fait merveille dans le final où il est cette fois-ci secondé par la Sinfonia Varsovia.

Très à l’aise avec la musique orchestrale, Nelson Goerner prouve également qu’il est un grand musicien de chambre. Jamais, il ne s’impose. Son piano semble écouter les autres pour mieux les accompagner, soulignant ainsi la noblesse de son interprétation. Le résultat est immédiatement perceptible, celui d’une joyeuse aventure faîte de complicités, surtout dans ce magnifique octet du compositeur polonais Josef Krogulski, mort à 27 ans en 1842, où il est accompagné par le très prometteur violoniste kazakh, Erzhan Kulibaev. On a presque l’impression d’être dans un parc de Varsovie en ce début de XIXe siècle, écoutant ces musiciens sous un kiosque.

Ces disques nous montrent ainsi que si la Pologne ne fut pas toujours un Etat, elle demeura au XIXe et XXe siècles avec Chopin,
Paderewski, Szymanowski, Lutoslawski et Penderecki notamment l’une des plus importantes nations musicales du monde.

Paderewski, Martucci, pianos concertos, Nelson Goerner, orchestre de la radio polonaise, Sinfonia Varsovia, Institut Frédéric Chopin, 2015

Nowakowski, piano quintet, Krogulski,piano octet, Nelson Goerner,
Institut Frédéric Chopin, 2015

Laurent Pfaadt