#Lecturesconfinement – Rien n’est noir

Un livre comme un portrait. Celui
d’une femme. Celui d’une destinée.
Celui d’un orage permanent. Grand
prix des lectrices Elle, Rien n’est noir
raconte ainsi la vie de Frida Kahlo et
de sa liaison avec le peintre mexicain
le plus célèbre de son temps, Diego
Rivera, « la couleur de la couleur ».
Portée par l’écriture pleine de feu de
Claire Berest, à l’image de ce métal en
fusion qui coule dans les veines du
corps de Frida ravagé par une barre
d’acier, le livre chemine dans ces deux
vies indissociables. Les couleurs
foisonnent dans cette succession de chapitres où la vie de Frida
passe du bleu au jaune et du rouge au noir. Réflexion sur la création
artistique, ce livre est également un hymne à la volonté de
transcender la fatalité.

Rien n’est noir n’est pas une biographie mais plutôt un roman d’amour
de deux êtres s’enlaçant au-dessus d’un volcan, et de cette peinture
qui va les unir et les consumer. Du Mexique à New York en passant
par Paris, cette relation constitua cet autre accident, cette autre
barre d’acier qui ne cessera de transpercer Frida Kahlo. Car à
travers cet autoportrait inconscient, le livre est également le
portrait en pied d’une femme libre, indépendante et une source
d’inspiration terriblement actuelle, couleur vermillon de mercure, ce
métal qui, ingéré, ne s’évacue jamais….

Par Laurent Pfaadt

Claire Berest, Rien n’est noir,
Livre de poche, 240 p.

#Lecturesconfinement – Jeu de dupes sanglant

Brillant ouvrage sur le pacte
germano-soviétique d’août 1939

Jamais la realpolitik ne fut portée à
un tel degré de cynisme que lors de
la signature du pacte germano-
soviétique du 23 août 1939. Au
menu, rencontres officielles entre
les deux ministres des affaires
étrangères, photos avec Staline,
champagne, caviar et partage de la
Pologne. Ennemis irréductibles,
l’Allemagne nazie d’Adolf Hitler et
l’URSS de Staline se sont pourtant
entendus, signant leur accord avec cette plume de sang qui allait, £selon les mots de l’historien britannique, Roger Moorhouse, auteur
de ce livre remarquable, « changer à jamais la vie de millions
d’Européens »
.

Mû par des intérêts stratégiques propres – la nécessité d’une paix à
l’Est afin d’attaquer à l’Ouest pour les nazis et la constitution d’un
glacis pour le maître du Kremlin – et parfois convergents comme le
dépeçage de la Pologne avec le massacre des officiers de son armée
dans la forêt de Katyn et l’extermination des juifs polonais, cette
alliance contre nature stupéfia jusque dans les rangs des deux
protagonistes et leurs alliés. « La désillusion née du pacte germano-
soviétique se révéla contagieuse et nourrit une méfiance croissante
envers leur régime »
écrit ainsi l’auteur.

Entrant dans les détails des négociations et de l’application de ce
pacte dont on découvre avec effroi les clauses secrètes, cet ouvrage
qui se lit d’une traite, nous emmène sur un rythme échevelé du
Kremlin à la chancellerie du Reich en passant par les capitales
occidentales et les champs de bataille de Finlande ou de
Yougoslavie. Car tandis que Serguei Eisenstein donnait la Walkyrie
au Bolchoï et que nombre de partis communistes se livraient à des
contorsions abjectes, les élites militaires et politiques des régions
absorbées comme les pays baltes, la Bukovine du Nord ou la
Bessarabie étaient exécutées et leurs citoyens suspects arrêtés et
torturés,

Le livre de Roger Moorhouse décortique parfaitement les ambitions
cachées de Staline et d’Hitler, le premier sous-estimant jusqu’à
l’invasion du 22 juin 1941 le second, ce tigre qu’il pensa pouvoir
chevaucher. Et pourtant les signaux du double jeu d’Hitler devinrent
très vite manifestes et l’auteur expose bien la naïveté dont fit preuve
Staline, ce dernier refusant de croire jusqu’à ses propres services de
renseignement.

Alfred Rosenberg, hiérarque nazi et artisan de la destruction de
l’URSS exprimait ainsi ses réserves en 1941 : « j’ai le sentiment que
l’on paiera tôt ou tard ce pacte avec Staline ».
Il ne savait pas combien il
allait avoir raison car cinq ans plus tard, le ministre allemand des
territoires de l’Est avait, face de lui à Nuremberg, le procureur de
Staline, lui annonçant sa condamnation à mort. Quand on dîne avec
le diable, il faut avoir une grande cuillère même si celle-ci est pleine
de caviar.

Par Laurent Pfaadt

Roger Moorhouse, Le Pacte des diables,
Une histoire de l’alliance entre Hitler et Staline (1939-1941)
Chez Buchet-Chastel, 544 p.

Une passion pour George Eliot

Une vie comme un roman. Celle de
cet(te) autre George, de cette autre
femme, Mary Ann Evans, qui choisit un
prénom masculin pour devenir
écrivain. Mais également un roman
pour raconter cette vie pour le moins
singulière.

Dans un récit qui conjugue passé et
présent, faits réels basés sur les
journaux et les lettres de l’écrivain et
situations fictives, notamment lorsque
l’auteur entre dans la tête de George Eliot, Kathy O’Shaughnessy
retrace le destin incroyable de la plus grande romancière de l’ère
victorienne, centrée essentiellement sur ces années où elle
dissimula son identité et où elle produisit quelques-uns de ses chefs
d’œuvre : les Scènes de la vie cléricale (1857), Adam Bede (1859) ou Le
Moulin sur la Floss
(1860).

On sent bien, à travers ces lignes, combien l’auteur vénère son sujet
mais loin d’être une hagiographie, son ouvrage parvient surtout à
retranscrire à merveille la fascination littéraire et le magnétisme
amoureux qu’elle engendra – malgré un physique peu avantageux
selon ses dires –  sur un certain nombre de personnes, à commencer
par George Henry Lewes, son grand amour qui servit aveuglement le
génie d’Eliot et Johnny Cross, son cadet de vingt ans.

Et puis, il y a cette autre voix, celle contemporaine de Kate, alter-ego
de l’auteur engagé dans l’écriture d’un roman sur George Eliot. Au
final l’alchimie produite par cet effet de miroir fonctionne
parfaitement. Kathy O’Shaughnessy réussit ainsi le double pari de
rendre à la fois cette biographie pleinement vivante grâce à un
rythme romanesque extrêmement plaisant qui nous emmène de
Londres à Venise en compagnie des grands noms de la littérature
victorienne, et à replacer George Eliot dans notre époque à l’heure
de Metoo et de l’écriture inclusive. « Il n’est jamais trop tard pour
devenir ce que nous aurions pu être
 » a écrit un jour  George Eliot. Des
mots qui résonnent aujourd’hui comme un tocsin.

Par Laurent Pfaadt

Kathy O’Shaughnessy, Une passion pour George Eliot,
éditions de Fallois, 432 p
.