La septième

Un comédien exceptionnel, Pierre-François Garel nous embarque avec lui dans un périple qu’il fait sien. L’histoire est étonnante, le jeu du comédien subjuguant. Durant plus de deux heures nous le suivrons, admiratifs de sa performance, fascinés par le propos puisqu’il va jouer le personnage de quelqu’un qui a vécu une incroyable histoire, celle d’une éventuelle immortalité.


Marie-Christine Soma la metteure en scène, qui est également créatrice lumière, n’est pas une inconnue du public du TNS qui a déjà vu « Feux » d’August Stramm en 2008, « Ciseaux,papier caillou » avec Daniel Jeanneteau de Daniel Keene en 2011, une adaptation  du roman «  Les vagues » de Virginia Woolf, en 2010 et en 2018, « La pomme dans le noir » interprété par Pierre-François Garel, d’après « Le bâtisseur de ruines »de Clarice Lispector.

Pour l’heur, elle adapte la dernière partie du roman de Tristan Garcia « 7 » (prix du livre Inter en 2016) un ensemble de sept petits romans, celui-ci intitulé justement « La septième ».

Comme le narrateur nous ne nous doutons pas de ce qui nous attend quand débute cette pièce qui  se révèle tenir du fantastique autant que  de l’humaine condition.

Notre vie ne s’écoule-t-elle pas entre la naissance et la mort et à cette vie ne s’accroche-on pas, sachant qu’il n’en existe pas d’autres quoique prétendent les religions ?

Mais là, surprise et coup de théâtre : le narrateur commence à nous raconter une curieuse histoire, son histoire. Il a sept ans et après une enfance solitaire avec pour toute compagnie le chien Noiraud, un beau jour il sauve un oiseau mais le chien le dévore. Quant à lui, après ce fâcheux incident, il se met à saigner abondamment du nez au point que ses parents et le médecin de famille l’envoient en consultation à Paris. C’est là qu’il fait la rencontre d’un personnage bizarre, une sorte de devin débonnaire, soi-disant médecin, qui lui annonce que non seulement il n’est pas malade mais qu’il est même éternel. La surprise et le doute sont si grands qu’il n’en dit rien à personne.

On assiste grâce à une impressionnante séquence filmée (images du film Marie Demaison, AlexisKavyrchine)  à cette rencontre insolite entre l’enfant (Gaël Raes)

surpris et interrogatif et ce probable charlatan nommé Fran
(Vladislav Galard).

Cet événement nous est rapporté par le narrateur engagé dans sa septième vie, celle où il prend conscience d’avoir perdu cette immortalité qui lui a permis de revivre six fois et le fait se plonger dans ses souvenirs car c’est à sa mémoire qu’il confie le soin d’évoquer tant de disparitions et de retours, pour découvrir que le même n’est jamais vraiment pareil.

 Voilà donc, comme annoncé sur un petit écran de télé l’évocation de sa première vie.

Car en attendant de mourir pour revivre, il va falloir vivre, l’enfance, l’adolescence, ponctuées par les visites amicales de Fran, près du petit pont romain et puis cette rencontre amoureuse avec Hardy, la jeune fille à la guitare qui restera son égérie (Mélodie Richard l’incarne à l’écran). Un déroulé de vie où Fran, se pose en initiateur voulant lui faire sauver l’univers pendant que Hardy l’entraîne dans le militantisme. Une vie avec elle dans la petite ville de Mornay, leurs deux enfants, son décès d’un cancer à cinquante ans, sa vieillesse à lui et sa mort d’une embolie attendue.

La deuxième vie s’annonce comme un recommencement. Il sait tout ce qui va arriver mais ce mystère le préoccupe. Il s’adonne à la science et obtient même le prix Nobel. Il a retrouvé Hardy et Fran mais ses recherches sur son anomalie génétique l’ont tellement absorbé qu’ils se sont éloignés de lui et c’est en vieux savant solitaire qu’il mourra de son cancer du poumon.

Ainsi de morts en renaissances va-t-il poursuivre son étrange destin qui le fera, militant, chef de guerre, écrivain, blasé aussi après tant d’aventures, jusqu’à cette septième qui lui fait rencontrer la mort.

Un chemin de vie parcouru avec cette mémoire fidèle, peut-être, inventive souvent, capable de

donner aux souvenirs une incroyable réalité et de garder précieusement en lui son attachement  quasiment indéfectible à son ami Fran et à son amoureuse  Hardy.

Avec très peu d’accessoires à son service, un fauteuil, un matelas, des journaux, des cartons et une immense bâche blanche, (scénographie Mathieu Lorry-Dupuy), Pierre-François Garel nous emmène avec lui dans cette fantastique reconstitution d’une vie extraordinaire. A son don de conteur s’ajoute celui de donner à son corps, à son visage une expressivité si convaincante que l’on entre complètement dans cette fiction et que cela déclenche en nous une vraie réflexion sur la vie, la mort, le relationnel, l’engagement, la transmission, autant de thèmes abordés par l’auteur, le philosophe Tristan Garcia qui , nous dit Marie-Christine Soma, « cherche à mettre de la chair sur la pensée »  comme elle qui ajoute : « j’ai toujours pensé que le théâtre est une rencontre entre la pensée et la chair » .   

Sa mise en scène, la performance sensible et pertinente du comédien en donnent une preuve éclatante.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 15 novembre au TNS

En salle jusqu’au 23 novembre