Eric Arnoux, David Morancho, Sigi, T1 opération Brünnhilde Chez Glénat, 64 p.
S’inspirant de Clärenore Stinnes
(1901-1990), cette pilote automobile allemande qui réalisa un tour du monde en
1927 et dont on a aujourd’hui quelque peu oublié les exploits, Erik Arnoux qui
travailla notamment sur les Aigles décapités et David Morancho nous
content les aventures de Sigi, cette brune aux yeux bleus qui nous a
immédiatement séduit. Empruntant à Stinnes son assistant suédois et jusqu’à sa
Adler, ils composent une sorte de Phileas Fogg au féminin dont les aventures ne
font que commencer.
Ce premier tome nous emmène ainsi
aux Etats-Unis où après avoir réussi à vendre son projet, Sigi s’embarque pour
New York. Mais si elle est parfaitement rôdée aux dangers de la conduite, ceux
de la géopolitique lui sont inconnus et sans le savoir, elle devient le jouet
d’une propagande nazie menée par un machiavélique Rosenberg bien décidé à
démontrer la supériorité allemande. Les deux auteurs réussissent à allier grâce
notamment aux espions et à l’atmosphère complotiste parfaitement distillée,
aventures et thriller et à tenir en haleine le lecteur.
Centré autour des Etats-Unis post-western, le duo joue habilement des codes de ce dernier avec ses outsiders, ses pendaisons et ses bisons qui donnent un petit côté 1923 à l’album. Au final, un premier tome extrêmement prometteur dont on attend impatiemment la suite.
La maison d’édition Philippe Rey fête sa vingtième
rentrée littéraire
Qu’on se le dise : cet homme
ne craint ni les chutes, ni les cataractes des grands fleuves, ni les tempêtes
de l’histoire et des océans. Il y a vingt ans une nouvelle maison d’édition sortait
ses premiers ouvrages : Philippe Rey du nom de cet éditeur passé par Stock
et passionné de littérature étrangère. Et pour partir à la conquête des
lecteurs et du monde éditorial français, ce nouveau capitaine des lettres
lançait son navire amiral : Joyce Carol Oates. De délicieuses
pourritures, premier titre qu’il publia de l’autrice américaine nobélisable
depuis 1979, à son prochain roman Babysitter en octobre, quelques
monuments de la littérature américaine ont depuis pris d’assaut les tables de
chevet des lecteurs français : Mudwoman (meilleur livre étranger en
2013 pour le magazine Lire), Un livre de martyrs américains (2017), l’un
des plus grands livres écrits sur le corps des femmes et bien évidemment Les
Chutes, récit de la destruction d’un couple qui valut en 2005 à son autrice
et à son perspicace éditeur le prix Femina étranger.
Philippe Rey et Mohamed Mbougar Sarr Copyright : Bestimage/Jack Tribeca
D’une Joyce à une autre, notre
capitaine traversa sans difficulté le continent américain agrégeant à son
catalogue Jeannine Cummins, Rebecca Lee, Thomas King ou Nathan Harris dont La
douceur de l’eau sur fond de guerre de Sécession se hissa en 2022 dans les
deuxièmes sélections du Femina étranger et du Grand prix de littérature
américaine, avant de rencontrer Joyce Maynard. Révélée avec Long Weekend,
l’autrice américaine francophone et francophile a, en compagnie des éditions
Philippe Rey, tissé une relation littéraire avec le public français qui ne
s’est jamais démentie et a culminé avec Où vivaient les gens heureux, Grand
prix de littérature américaine 2022 et véritable best-seller qui s’est écoulé à
près de 100 000 exemplaires.
Après avoir conquis un continent
et avoir, de par le monde, révélé au public français de nouvelles voix tant
australienne (Robert Hillman) que chinoise (Xu Zechen), Philippe Rey traversa
l’océan atlantique et remplit les coffres littéraires de son navire d’un
deuxième prix Femina étranger (2015) avec La couleur de l’eau de la
britannique Kerry Hudson, de la poésie d’une Tina Vallès ou de l’émotion de Deux
vies d’Emanuele Trevi, prix Strega 2021, le Goncourt « italien ».
Il ne restait plus qu’à conquérir cette autre terre promise littéraire, la plus
inaccessible. Et c’est en compagnie d’un prophète littéraire africain, Mohamed
Mbougar Sarr, porteur d’une langue française en perpétuelle évolution et armé
de cette torche de la francophonie qu’il a toujours porté dans son catalogue
avec Souleymane Bachir Diagne ou Patrice Nganang, que notre capitaine atteignit
les rivages de la plus secrète mémoire des hommes, celle où se niche les livres
appelés à rester comme ce prix Goncourt 2021.
Aujourd’hui, vingt ans après sa première rentrée littéraire, les éditions Philippe Rey devenues incontournables dans le paysage éditorial français affichent une maturité que reflètent parfaitement les deux titres publiés en ce mois de septembre : L’hôtel des Oiseaux d’une Joyce Maynard, caravelle aux multiples tours du monde qui figure dans la première sélection du Femina étranger et Ce que je sais de toi d’Eric Chacour, nouvelle voix francophone venue du Canada et dont le livre, récent finaliste du Prix du Roman Fnac et figurant dans la première sélection du Femina 2023 pourrait bien emmener une fois de plus les éditions Philippe Rey sur les rivages des mystérieuses cités d’or de la littérature française.
Joyce Maynard, L’hôtel des oiseaux Aux éditions Philippe Rey, 528 p.
Une femme se tient sur le
garde-fou du Golden Gate Bridge. Sa vie ne tient qu’à un fil. Quelques heures
auparavant, elle a perdu son mari et son enfant dans un accident de la route,
ces êtres qui l’avaient sorti des ténèbres dans lesquels l’avaient plongé,
enfant, la disparition de sa mère. A cet instant précis, la colombe brisée se
mue alors en aigle prêt à prendre un nouvel envol. « Je me suis éloignée du
garde-fou. Je ne pouvais pas le faire. Mais je ne pouvais pas non plus rentrer
chez moi. Je n’avais plus de chez-moi ». Quelques secondes qui décidèrent
d’une vie. Voilà le point de départ du nouveau roman de l’écrivaine américaine
Joyce Maynard, Grand prix de littérature américaine en 2022 pour Où vivaient
les gens heureux dont elle écrit actuellement la suite.
Bien décidé à vivre, notre aigle trouve
un nouveau nid, celui du bien nommé l’hôtel des oiseaux situé dans la Llorona,
« la femme qui pleure », un lieu quelque part en Amérique du sud que
l’on identifie au Guatemala où Joyce Maynard vit une partie de l’année. « Comment
décrire La Llorona telle qu’elle m’apparut ce jour-là ? Une vision du
paradis à la période la plus noire de ma vie ».
L’hôtel, refuge de ces oiseaux en
perdition, devient dans le récit de Joyce Maynard un personnage à part entière.
Car à l’instar de ses occupants, lui aussi a besoin de se reconstruire. Et
notre géniale autrice de construire, avec tout le talent qu’on lui connaît, une
saga qui coure sur quatre décennies et qui verra Amelia, notre colombe du
Golden Gate Bridge devenu l’aigle de la Llorona, refaire sa vie. Apprendre à
aimer à nouveau. Se libérer de ses démons.
Magnifique récit d’une résilience, ode au courage à l’amitié, L’hôtel des oiseaux est plus qu’un livre, c’est une leçon de vie.
L’ancien épicentre de la
déportation des juifs de Pologne est devenu capitale européenne de la jeunesse
en 2023
La vie reprend toujours ses
droits. Qui aurait pu croire il y a quatre-vingts ans qu’à quelques centaines
de mètres du quartier général de l’Aktion Reinhard chargé de
l’extermination des juifs de Pologne, on rirait devant des clowns et on
applaudirait des acrobates ?
C’est pourtant le spectacle
qu’offrit la ville de Lublin en ce mois de juillet à l’occasion du festival des
arts de la rue, celle d’une vie ouverte sur l’Europe et le monde, jumelée
notamment avec une Vilnius que les habitants peuvent, à travers un écran,
saluer. Une ville qui tel un phénix, a su grâce à sa jeunesse, renaître de ses
cendres.
Malgré leurs crimes notamment
dans le camp de concentration de Majdanek situé aux portes de la ville, les
nazis n’ont pas réussi à éradiquer la dimension juive de cette ville
multiculturelle. Ici, des portraits des anciens habitants juifs au théâtre NN
qui perpétue la mémoire des ces derniers en passant par l’œuvre littéraire du
Prix Nobel Isaac Bashevis Singer et son fameux Magicien de Lublin et
l’excellent restaurant Mandragora dans la vieille ville où il est possible de
déguster de la carpe frite ou le canard à la juive avec tzimmes sur orge perlé,
la spécialité de la maison le tout au son de musique klezmer et arrosé d’un
Teperberg israélien, il est impossible d’échapper à la culture juive qui
possède même son festival dont la quatrième édition s’est tenue mi-août.
Pour autant, réduire Lublin à sa seule
dimension juive serait injuste tant la ville foisonne d’une culture portée
notamment par une jeunesse qui investit de nombreux lieux de la ville et
s’implique dans des manifestations telles que des rencontres littéraires, un
festival international de graffiti ou un Carnaval de magiciens de toute beauté.
Fondée en 1317 et forte d’une histoire de plus de sept cents ans, la ville se
développa autour de son magnifique château qui domine la cité et absorba avec
intelligence des styles différents : baroque avec la magnifique Basilique
des Dominicains, néo-classique et contemporain avec par exemple la reconversion
réussie de cette ancienne brasserie Perla devenue un restaurant à la mode ou le
centre de rencontre des cultures. Mais c’est peut-être dans son château que la
cohabitation entre passé et présent s’exprime le mieux. Ainsi à quelques
dizaines de mètres de la chapelle de la Sainte-Trinité, chef d’œuvre mêlant
motifs gothiques et peintures polychromes orientales, s’expose de manière
permanente, une des plus belles collections d’œuvres de Tamara Lempicka que
l’Etat a acquis en mai 2023. Cette richesse patrimoniale lui a d’ailleurs valu
d’obtenir en 2015 le label European Heritage conféré par la Commission
européenne rejoignant ainsi l’abbaye de Cluny ou les sites du patrimoine
musical de Leipzig en Allemagne.
Et puis, on ne va vous mentir, il
y a ici un côté Mitteleuropa très agréable qui plonge immédiatement le visiteur
dans une magie indescriptible, magie qu’enfants comme adultes pourront
découvrir dans le théâtre Imaginarium ou en se promenant dans le Rynek, la vieille
ville où se croisent influences polonaises, russes, austro-hongroises et
ukrainienne. Magie qui a très vite séduit les producteurs de cinéma puisqu’en
vous promenant dans ces rues, vous retrouverez celles de la Neustadt de The
Reader, le film tiré du livre de Bernhard Schlink avec Kate Winslet. Et si
l’atmosphère de la ville vous oppresse, il vous suffira de parcourir quelques
centaines de mètres et de plonger dans l’Open Air Village Museum, un écomusée de
27 ha qui, le temps d’une balade bucolique entre moulins et maisons à toits de
chaume, vous offrira un havre de paix et de méditation. Après il sera temps de
vous arrêter dans le restaurant Karczma Kocanka pour vous rafraîchir avec une
limonade au goût de bubble gum ou pour vous rassasier avec le fameux Forshmak, ce
plat typique d’Europe de l’Est préparé avec du hareng ou de la viande salée et
dont la variété de Lublin, le Forszmak lubelski est un ragoût de viande que
l’on vous conseille vivement en hiver pour reprendre des forces nécessaires à
la poursuite de la découverte de la ville.
Ainsi ni les incendies de l’histoire, nazi et communiste, ni celui bien réel de 1575 n’ont eu raison de cette ville qui a toujours réussi à renaître de ses cendres pour devenir aujourd’hui, l’une des plus magiques de Pologne.
Par Laurent Pfaadt
Vols Paris-Varsovie Radom à
partir de 90 euros AR avec la compagnie nationale polonaise Lot Polish Airlines :
https://www.lot.com/fr/fr
Le restaurant Perłowa Pijalnia
Piwa dans l’ancienne brasserie Perla où l’on vous conseille vivement
l’esturgeon grillé sauce tartare et ses salicornes. https://perlowapijalniapiwa.pl/?lang=en
A lire avant de partir
Isaac Bashevis Singer, Le Magicien de Lublin, Le Livre de
poche, 336 p.
Frédéric d’Oria-Nicolas,
co-fondateur et directeur général de The Lost Recordings nous raconte
l’extraordinaire aventure de ce label spécialisé dans l’édition de concerts
oubliés.
Frédéric d’Oria-Nicolas
Comment l’aventure The Lost Recordings a-t-elle
débuté ?
J’ai été pianiste pendant vingt
ans. J’ai joué sur les scènes de quarante-deux pays et j’ai toujours été
passionné par les techniques de captation du son notamment sur des vinyles.
Travaillant avec l’entreprise Devialet sur la restauration d’enregistrements
mythiques, je fais un jour la connaissance de Michel Navarra, le fils d’André
Navarra, le célèbre violoncelliste français. Je lui demande s’il veut bien
m’aider à retrouver les bandes de son père. Il accepte et on retrouve ces
dernières à Prague, à Londres, à Berlin, à Amsterdam. Là-bas, au Media Park,
sorte d’INA néerlandais, la personne entendant la qualité de notre musique
restaurée, vient vers nous et nous dit : « vous savez qu’ici on a des
centaines d’inédits ! » On se regarde avec André Navarra, c’était
impensable. On lui dit « mais comment ça des inédits ? » Le type
voyant notre scepticisme remonte alors sur un charriot des dizaines de bandes
avec des enregistrements d’Ella Fitzgerald, d’Oscar Peterson, de Sarah Vaughan,
etc. On installe les bandes, on les écoute et on est complétement abasourdi. On
se dit mais ce n’est pas possible, il ne s’agit pas d’inédits. On vérifie et
effectivement ces enregistrements n’avaient jamais été publiés.
Que ressent-on à cet instant précis ?
Une des plus grandes émotions de
ma vie. Je me souviens du premier titre que j’ai écouté, Everything must
change de Sarah Vaughan. On était complètement transcendé. Et à chaque fois
qu’on me donne des bandes, j’ai l’impression qu’on me remet des toiles de
maîtres que personne n’a jamais vu. Encore aujourd’hui je ne comprends pas
comment cela est possible. Comment ces trésors ont pu dormir sur des étagères
pendant des décennies sans que personne ne fasse rien.
Après ces découvertes, vous allez alors de
surprise en surprise…
Oui parce qu’on pense d’abord qu’il
s’agit d’un phénomène isolé. Pas du tout, il y en a partout ! On se dit
qu’on a entre les mains de véritables pépites. Un patrimoine musical oublié. Et
qu’il faut absolument faire quelque chose. Après Navarra, on sort alors
plusieurs albums dont ceux découverts à Amsterdam et le succès est immédiat.
Pourtant, il faut dire qu’il est
très difficile d’identifier ces albums. Il n’y a pas de base de données
commune, qu’il y a des erreurs dans les classements, les noms d’artistes, les
dates. Les archivistes ne sont pas remplacés et ceux qui restent doivent être
convaincus. Car au début, ils voulaient nous donner des copies. Enfin cela
coûte très cher.
Pourquoi ?
Parce qu’on se déplace avec tout
notre matériel, en voiture ou en camionnette la plupart du temps pour
transporter nos magnétophones qui pèsent plusieurs dizaines de kilos, mais
également les enceintes, les câbles. Et puis on ne peut pas sortir les bandes.
Donc, il faut être sur place, dans l’enceinte du lieu de conservation.
Et puis, il faut trouver un
équilibre économique. Après notre découverte, je suis allé voir les majors pour
leur parler de mon projet. Beaucoup m’ont répondu : « c’est super
mais ça ne marchera jamais ». Elles se sont complètement trompées car on
est totalement indépendant. On cherche, on restaure, on fabrique. On a nos
clients, notre réseau de distribution, notre propre site internet. On ne dépend
de personne.
Aujourd’hui vous continuez à sillonner l’Europe
à la recherche de nouveaux enregistrements ?
Oui. On travaille avec la BBC, la
RBD à Berlin, à Amsterdam. On reçoit des lettres de fans, de mélomanes du monde
entier pour nous donner des contacts où trouver des enregistrements. A Buenos
Aires ou ailleurs. J’ai l’impression d’être Indiana Jones. C’est passionnant.
Des archéologues de la musique en
quelque sorte
Oui, cela s’apparente effectivement
à de l’archéologie car vous n’avez aucune garantie. Vous creusez mais vous ne
savez pas ce que vous allez trouver. Et puis, il y a beaucoup de déchets. Les
gens s’imaginent qu’on trouve des pépites tous les quatre matins ce qui n’est
pas le cas. Sur des centaines et des centaines de pages de données, on
sélectionne peut-être 5% et dans ce pourcentage, il y a une pépite sur dix. On
écoute des centaines d’heures de musique. Lors de notre dernier déplacement à
Berlin, on est resté douze jours et on a sorti plus de soixante
enregistrements. Et sur ces soixante, on en a sélectionné peut-être cinq dont
un Callas, un Erroll Garner et un Dexter Gordon.
Pour autant, il y a des trésors partout. J’adorerai trouver des bandes à Moscou notamment en classique. Mais avec leur administration et maintenant la guerre, c’est devenu impossible. Notre quête est sans fin, on en a pour des années à tout chercher. Donc nos aventures ne sont pas près de s’arrêter !
Né à l’initiative des Éditeurs
associés, une association qui depuis 2004 mutualise des compétences entre
éditeurs de petites et moyennes tailles et travaille à faire connaître leurs
catalogues tout en plaçant le livre et la lecture au centre de leurs démarches,
le festival Raccord(s) fête le livre et la lecture chaque année, crée des
espaces de dialogue avec d’autres formes d’art et de savoir et invite le public
à découvrir les ouvrages sous une forme originale : lecture théâtrale,
performance, exposition, atelier, spectacle jeunesse, danse, balade ou
dégustation qui se doublent d’un salon pour rencontrer et découvrir la
production des éditeurs indépendants participants. L’entrée est libre et
gratuite à toutes et tous, enfants comme adultes.
Pour fêter ses dix ans d’existence, la programmation du festival se met en mouvement : concerts, lectures musicales et dansées, atelier pour les grands et pour les petits, débats, déambulations, signatures, et bien d’autres surprises. La partie salon de l’événement prend elle aussi de l’ampleur avec une sélection remarquable de 42 maisons d’édition indépendantes venues de France, mais aussi de Belgique, de Suisse, d’Italie, du Canada, et du Brésil parmi lesquels Aux Forges de Vulcain à qui on doit Le soldat désaccordé de Gilles Marchand, prix des libraires 2023, La Contre Allée et les éditions de la Peuplade dont les livres Mississippi de Sophie Lucas et Le compte est bon de Louis-Daniel Godin figurent dans la première sélection du prix Wepler 2023, Hélice Hélas qui remporta avec Nétonon Noël Ndjékéry (Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis) le prix Hors Concourt 2022, les éditions du Sonneur qui publie l’émouvant Ni loup ni chien de Kent Nerburn et bien d’autres encore qui réserveront à coup sûr de merveilleuses rencontres littéraires .
Par Laurent Pfaadt
Festival et Salon RACCORD(S) 10e édition du 14 et 15 octobre 2023
Retrouvez toute la programmation de Raccord(s) sur les
réseaux sociaux :
La région de Lublin recèle de multiples châteaux à
découvrir
Des forêts de pins tapies de
mousse luxuriante, des vignes à perte de vue, des clairières percées de rayons
de lumière. Ces paysages enchanteurs dans la voïvodie de Lublin, à quelques 80
kilomètres de l’Ukraine offrent de merveilleux décors à quiconque rêvent de
contes de fées, de princes et princesses, et de châteaux qui, chacun dans leur
style, invitent le visiteur à un voyage dans le passé.
Palais de Kozlowka
A Kozlowka, le blanc éclatant du château des Zamoyski donne un petit côté pavillon de chasse tiré de Guerre et Paix. On a l’impression qu’Andrei Bolkonski va arriver, juché sur son cheval ou qu’Anna Mikhaïlovna Droubetskoï va sortir de cette chapelle construite sur le modèle versaillais où elle a prié pour son fils Boris avant de se promener dans le jardin à la française attenant au château. Petit bijou perdu au milieu de ce cadre bucolique qui attire tout de même 300 000 visiteurs par an, le palais qui aligne copies de tableaux de grands maîtres et objets insolites comme ce piano girafe ou cet aspirateur du 19e siècle à manivelle, dévoile son charme à des visiteurs majoritairement polonais et allemands qui viennent ici à la rencontre, le temps d’un week-end ou à l’occasion de séminaires d’entreprises, de leur histoire nationale tumultueuse où les paons ont aujourd’hui remplacé les aigles allemands. Et si ces derniers commettaient les pires exactions à quelques kilomètres de là, Dieu ne quitta cependant jamais l’auguste demeure, cachant le futur primat de Pologne, le cardinal Stefan Wyszyński que le pape François béatifia en 2021.
Galerie réaliste socialiste, Koslowka
Pour autant, il réserva quelques
facéties, rouges, aux propriétaires qui, de retour vendirent le château à
l’Etat polonais qui y installa une très belle collection d’œuvres réalistes soviétiques
où se côtoient Bierut, le héros communiste local et héraut stalinien qui
contrôla la Pologne après la seconde guerre mondiale, Jean Jaurès mais
également le miracle de l’industrialisation polonaise et des avertissements au
poison capitaliste représenté par Coca Cola. Pas rancunier pour autant, le
jardin aligne de magnifiques rosiers rouge carmin.
Chateau de Zamek
A Janowiec, fini les amours contrariés tolstoïens et place aux catapultes et aux monstres de The Witcher. Ici se dressent fièrement les ruines romantiques du château de Zamek. Surplombant un paysage à couper le souffle, l’édifice bâti au XVIe siècle puis ravagé par les Suédois dont on imagine aisément, la nuit tombant, les combats à l’épée et autres pouvoirs du Sorceleur, accueille familles venues se reposer dans le parc aux arbres centenaires et visiteurs embrassant les flancs de ces collines, prolongement des hanches d’une Vistule qui a déposé voilà quelques millénaires son limon formant ainsi un terroir argilo-calcaire propice à développer un riesling plus que prometteur grâce à la persévérance de quelques vignerons. Ainsi, si la magie est restée intacte entre ces murs, les seuls sortilèges à l’œuvre aujourd’hui sont ces filtres d’amour rouges et blancs tirés des vignes en contrebas. Près de 350 ans après la mise à sac du château, les Polonais tiennent enfin leur revanche sur des Scandinaves qui aujourd’hui viennent déguster les cépages de Janowiec. Et à l’image de son drapeau national, cette très belle région de la Pologne offre le plus parfait mariage du rouge et du blanc qui s’exprime à merveille tant sur les coteaux de Janowiec que dans les jardins de Koslowka.
Par Laurent Pfaadt
Pour plus de renseignements sur les châteaux de région de
Lublin :
La 45e édition du festival de Marciac a réuni quelques grands noms de la musique mondiale
Qui aurait pu prédire, il y a quarante-cinq ans, qu’un modeste festival de jazz perdu en pleine campagne gersoise réunirait les plus grandes stars du rap, du jazz, du rock, de l’afro beat et de la world musique ? On aurait ri des délires de ce jeune rêveur passionné de musique certes mais un peu barjot. Et pourtant, le rêve est non seulement devenu une réalité mais se prolonge depuis près d’un demi-siècle. Et comble de l’audace, voilà que toutes ces stars ont été réunies en une seule édition !
C’est la légende du rap français, Mc Solaar qui ouvrit le bal en forme de panthéon de cette 45e édition avant d’être suivi par Ben Harper venu offrir les titres de son dernier album, Wide Open Light et Nora Jones qui a envoûté le public du chapiteau. Ce dernier était ainsi prêt à accueillir la star du jazz Grégory Porter qui, une fois de plus, a fait honneur à sa réputation avec une musique alliant charme et rythme. Payant de sa personne, le chanteur, ayant revêtu un costume crème, a été à la hauteur de l’évènement.
Puis vint le boss du festival, Wynton Marsalis. Fidèle à lui-même, alliant autorité et humilité chevillés à la trompette, il rendit hommage à son prédécesseur à la tête du festival, Guy Laffite. Accompagné d’une véritable dream team avec notamment la magnifique flutiste/saxophoniste italienne Alexa Tarantino avec laquelle il donna quelques duos d’une incroyable beauté, il joua quelques-uns de ses plus grands tubes dans un extraordinaire déluge musical si bien que celui qui se déversait au dehors au même moment dut s’arrêter. Mais les miracles des hommes en blanc, se tenant sur l’Olympe du jazz, ne faisaient que commencer. Et tel un Corcovado de la musique, les bras en croix avec sa guitare céleste, Gilberto Gil accompagné de sa family, vint ravir le cœur des festivaliers. Comme une vague bruissant d’une fureur languissante, son arrivée fut suivie d’une acclamation générale pour celui qui confesse bien volontiers que « Marciac est une espèce de maison pour moi ». La communion du Corcovado pouvait commencer. Du Brésil à « Touche pas à mon pote ! » qu’il composa pour SOS Racisme en 1985 en passant par des rythmes reggae avec la reprise d’une chanson de Bob Marley en portugais, Gilberto Gil qui céda volontiers la scène à plusieurs membres de sa famille reçut un accueil à la hauteur de sa générosité.
Pourtant, le festival n’avait encore rien vu, oh non ! En clôture, il avait invité un autre homme en blanc, celui qui, depuis des décennies, célèbre à coups de kalashnikov, les mariages et, avec la même verve, les enterrements. Et pour ces noces de vermeil (45 ans), il avait décidé d’inviter la Terre sainte, rien que cela ! Trois violonistes juif, chrétien et musulman portant un orchestre au diapason ont ainsi fait monter les spectateurs sur leurs chaises dans une allégresse générale. On se frappa des cuisses secouées de spasmes et on battit frénétiquement la mesure. Morceaux de son nouvel album et succès passés notamment tirés des films d’Emir Kusturica mélangés à des rasades de vodka – on l’espère factice – et caisse claire balkanique composèrent l’élixir divin de ce Dionysos de la world musique. La salle, chauffée à blanc et vibrionnante, était prête à se donner corps et âme au dieu de l’afro beat, Femi Kuti et à son énergie folle qui entama le concert par un « Ready to groove ? » qui tenait plus de la constatation que de l’invitation.
Il y eut bien évidemment quelques belles surprises durant ce festival. A côté de nos prestigieux invités, des artistes moins connus – en tout cas du public français – ont fait entendre leurs voix et leurs musiques inoubliables. La très belle Robin Mc Kelle qui naquit dans ce berceau divin avait presque un air de Fairuz jazzy tandis que le Raynald Colom Five Stars associant cinq talents dont Francesco Cafiso, saxophoniste à la Corto Maltese, concocta pour le festival un projet musical hallucinant. Quant à Cécile McLorin Salvant, artiste plurielle, elle fit entendre sa musique aux mille et une influences : française, américaine, haïtienne entre Aragon, Léo Ferré et standards de jazz. Tous ces artistes ne seraient rien sans des instrumentistes de génie, ces bardes au service des dieux de la musique, parfois dans l’ombre mais dont la lumière n’en fut pas moins éclatante durant ces trois semaines. Avertis ou néophytes ont ainsi pu s’extasier devant la transe de Weedie Braimah, percussionniste de Cécile McLorin Salvant avec son côté Nusrat Fateh Ali Khan ou Kristin Korb, cette étoile basse venue du Montana qui a l’habitude de contempler ces montagnes où se tiennent les génies et qui, au sein du Raynald Colom Five Stars, sut dispenser son éclat durant cette éclipse d’un soir.
D’autres génies sont restés dans cette ombre qu’ils servent avec passion, ces centaines de bénévoles qui, des brigades propreté à la billetterie en passant par les chauffeurs et les préposés aux foodtrucks, parfois vêtus de blanc comme leurs idoles, ont fait de cette 45e édition plus qu’un succès, un moment inoubliable pour tous.
Les Mémoires de jeunesse de Vera Brittain, icône du pacifisme et du féminisme, enfin traduites
Il aura fallu attendre plus d’un demi-siècle pour enfin pouvoir lire les fameuses Mémoires de jeunesse de Vera Brittain (1893-1970) devenue outre-Manche le symbole du pacifisme et du féminisme. Parues en 1933, elles témoignent non seulement d’une femme engagée dans un siècle d’hommes mais surtout d’une clairvoyance assez incroyable sur les ravages d’un siècle qui n’en était alors qu’à ses débuts.
Fille d’un industriel du papier, née en 1893, Vera Brittain a très vite fait l’apprentissage du combat. Celui de l’aliénation de sa condition pour entrer à Oxford d’abord. Celle de la guerre, la vraie, ensuite. Elle a vingt-et-un ans lorsque la première guerre mondiale débute. Dans ses pages, cette dernière est d’abord lointaine, presque romantique. A l’instar d’un Hemingway, ambulancier, elle va traverser le conflit aux premières loges en tant qu’infirmière. Elle aurait pu être la Catherine Barkley de L’Adieu aux armes mais c’était mal connaître notre héroïne car là s’arrête la comparaison. Tandis que le futur prix Nobel de littérature fit de la guerre la matrice héroïque de ses futurs récits, Vera Brittain, confrontée aux morts, aux mutilations, à la peur de ces blessés qui reviennent d’Ypres, de Passchendaele ou de la Somme, délivre des jugements implacables sur cette guerre qui « produit plus de criminels que de héros ; que, loin d’exalter la noblesse de ceux qui y prennent part, elle n’en extrait que le pire. »
Il faut dire que le premier conflit mondial lui coûta l’amour de sa vie, Roland, ainsi qu’Edward, son frère bien-aimé, tué sur le front italien en juin 1918 et auprès de qui elle voulut reposer après sa mort en 1970. Ces pertes la plongèrent dans une tristesse infinie et façonnèrent chez elle un pacifisme dont elle ne se départit jamais et qu’elle alla défendre jusqu’à la tribune de la toute nouvelle Société des Nations puis dans le magazine Peace News où elle prit, après la seconde guerre mondiale, des positions contre le colonialisme et le nucléaire. « Chaque fois que je songe à la guerre aujourd’hui, je ne la vois pas comme un été mais toujours comme un hiver : je la vois toujours aussi froide, sombre et douloureuse, avec parfois au milieu un moment d’enthousiasme fugace et irrationnel qui nous exalte et nous réchauffe » écrit-elle. Derrière elle se dresse une autre figure littéraire de marbre : celle du grand Rudyard Kipling qui perdit son fils et avec qui elle mêle ses larmes pour pleurer ces proches qu’ils n’ont pas pu sauver.
Mais les Mémoires de jeunesse ne sont pas que les simples confessions d’une jeune fille de la bonne société britannique confrontée à la fureur du premier conflit mondial. Il y a dans ces pages de réelles qualités littéraires façonnées par une grande culture qui permet au lecteur de voyager dans la littérature britannique du 19e siècle. Elle-même semble devenir l’héroïne de sa propre histoire, le roman d’apprentissage d’une jeune femme brillante parfois naïf qui avance dans ce monde qu’elle connaît peu tout en lui faisant face avec courage et lucidité. Une héroïne à la Henry James.
Publié il y a 90 ans, le succès des Mémoires de jeunesse ne s’est jamais démenti. En 2014, le livre a même été adapté par la BBC. Oscar Wilde a dit un jour dit qu’un classique est un livre que l’on s’abstient de lire car on pense avoir tout saisi par ouï-dire. Aujourd’hui, avec cette traduction signée de la grande Josée Kamoun accompagnée de Guy Jamin, le bouche à oreille ne fait que commencer. Il est donc plus que temps que ce livre, d’ores et déjà un classique, prenne place dans nos bibliothèques.
Entre Hemingway et Kipling.
Par Laurent Pfaadt
Vera Brittain, Mémoires de jeunesse, traduit de l’anglais par Josée Kamoun et Guy Jamin Viviane Hamy Editions, 736 p.
Nous avions hâte de retrouver nos deux héros, Nero et le chevalier franc, bien décidés à refermer la grotte des djinns et à barrer la route de ces démons prêts à engloutir le Moyen-Age des frères Mammucari où histoire et surnaturel cohabitent à merveille.
Après le feu, voilà que se déchaîne le déluge notamment sur la ville de Tyr. Un déluge commandé par des marids, ces djinns de l’eau, bien décidés à répandre le chaos sur la Terre Sainte. L’ambiance de ce second tome est à l’image de la menace : verte et bleue et complète ainsi merveilleusement le premier tome tout en rouge et orangé. Mais dans ce second tome le feu est intérieur, dans le cœur de Nazarite dont on se doutait bien qu’elle ne nous avait pas quitté lors du siège de la forteresse de Tell Bashir, un cœur qui se consume pour Renaud, un beau commandant franc. Le cœur de notre héros semble s’être apaisé, presque assagi à mesure qu’il approche de la grotte des djinns. Le scénario, une fois de plus parfaitement maîtrisé, distille au compte-goutte une vérité qui rend le lecteur très vite addict.
Ce tourbillon orchestré de main de maître qui n’est pas qu’aquatique malgré quelques pages d’une beauté à couper le souffle grâce à la patte de Matteo Cremona notamment lors de la submersion de Tyr, mêle ainsi réalité et cauchemar, passé et présent, poésie et récit d’action. D’ombres et de murmures avance un peu plus en territoire fantastique où les morts et les goules s’apprêtent à se répandre sur la terre des hommes poussant ces derniers à s’unir s’ils veulent survivre. Sous couvert de fiction, voilà un beau message. Vite le troisième tome !
Par Laurent Pfaadt
Mammucari, Nero, Tome 2 – D’ombres et de murmures, Aux éditions Dupuis, 144 p.