Les héros étaient en blanc

La 45e édition du festival de Marciac a réuni quelques grands noms de la musique mondiale

Qui aurait pu prédire, il y a quarante-cinq ans, qu’un modeste festival de jazz perdu en pleine campagne gersoise réunirait les plus grandes stars du rap, du jazz, du rock, de l’afro beat et de la world musique ? On aurait ri des délires de ce jeune rêveur passionné de musique certes mais un peu barjot. Et pourtant, le rêve est non seulement devenu une réalité mais se prolonge depuis près d’un demi-siècle. Et comble de l’audace, voilà que toutes ces stars ont été réunies en une seule édition !


C’est la légende du rap français, Mc Solaar qui ouvrit le bal en forme de panthéon de cette 45e édition avant d’être suivi par Ben Harper venu offrir les titres de son dernier album, Wide Open Light et Nora Jones qui a envoûté le public du chapiteau. Ce dernier était ainsi prêt à accueillir la star du jazz Grégory Porter qui, une fois de plus, a fait honneur à sa réputation avec une musique alliant charme et rythme. Payant de sa personne, le chanteur, ayant revêtu un costume crème, a été à la hauteur de l’évènement.

Gilberto Gil
© Sanaa Rachiq

Puis vint le boss du festival, Wynton Marsalis. Fidèle à lui-même, alliant autorité et humilité chevillés à la trompette, il rendit hommage à son prédécesseur à la tête du festival, Guy Laffite. Accompagné d’une véritable dream team avec notamment la magnifique flutiste/saxophoniste italienne Alexa Tarantino avec laquelle il donna quelques duos d’une incroyable beauté, il joua quelques-uns de ses plus grands tubes dans un extraordinaire déluge musical si bien que celui qui se déversait au dehors au même moment dut s’arrêter. Mais les miracles des hommes en blanc, se tenant sur l’Olympe du jazz, ne faisaient que commencer. Et tel un Corcovado de la musique, les bras en croix avec sa guitare céleste, Gilberto Gil accompagné de sa family, vint ravir le cœur des festivaliers. Comme une vague bruissant d’une fureur languissante, son arrivée fut suivie d’une acclamation générale pour celui qui confesse bien volontiers que « Marciac est une espèce de maison pour moi ». La communion du Corcovado pouvait commencer. Du Brésil à « Touche pas à mon pote ! » qu’il composa pour SOS Racisme en 1985 en passant par des rythmes reggae avec la reprise d’une chanson de Bob Marley en portugais, Gilberto Gil qui céda volontiers la scène à plusieurs membres de sa famille reçut un accueil à la hauteur de sa générosité.

Pourtant, le festival n’avait encore rien vu, oh non ! En clôture, il avait invité un autre homme en blanc, celui qui, depuis des décennies, célèbre à coups de kalashnikov, les mariages et, avec la même verve, les enterrements. Et pour ces noces de vermeil (45 ans), il avait décidé d’inviter la Terre sainte, rien que cela ! Trois violonistes juif, chrétien et musulman portant un orchestre au diapason ont ainsi fait monter les spectateurs sur leurs chaises dans une allégresse générale. On se frappa des cuisses secouées de spasmes et on battit frénétiquement la mesure. Morceaux de son nouvel album et succès passés notamment tirés des films d’Emir Kusturica mélangés à des rasades de vodka – on l’espère factice – et caisse claire balkanique composèrent l’élixir divin de ce Dionysos de la world musique. La salle, chauffée à blanc et vibrionnante, était prête à se donner corps et âme au dieu de l’afro beat, Femi Kuti et à son énergie folle qui entama le concert par un « Ready to groove ? » qui tenait plus de la constatation que de l’invitation. 

Robin Mc Kelle
©Sanaa Rachiq

Il y eut bien évidemment quelques belles surprises durant ce festival. A côté de nos prestigieux invités, des artistes moins connus – en tout cas du public français – ont fait entendre leurs voix et leurs musiques inoubliables. La très belle Robin Mc Kelle qui naquit dans ce berceau divin avait presque un air de Fairuz jazzy tandis que le Raynald Colom Five Stars associant cinq talents dont Francesco Cafiso, saxophoniste à la Corto Maltese, concocta pour le festival un projet musical hallucinant. Quant à Cécile McLorin Salvant, artiste plurielle, elle fit entendre sa musique aux mille et une influences : française, américaine, haïtienne entre Aragon, Léo Ferré et standards de jazz. Tous ces artistes ne seraient rien sans des instrumentistes de génie, ces bardes au service des dieux de la musique, parfois dans l’ombre mais dont la lumière n’en fut pas moins éclatante durant ces trois semaines. Avertis ou néophytes ont ainsi pu s’extasier devant la transe de Weedie Braimah, percussionniste de Cécile McLorin Salvant avec son côté Nusrat Fateh Ali Khan ou Kristin Korb, cette étoile basse venue du Montana qui a l’habitude de contempler ces montagnes où se tiennent les génies et qui, au sein du Raynald Colom Five Stars, sut dispenser son éclat durant cette éclipse d’un soir.

Goran Bregovic
©Sanaa Rachiq

D’autres génies sont restés dans cette ombre qu’ils servent avec passion, ces centaines de bénévoles qui, des brigades propreté à la billetterie en passant par les chauffeurs et les préposés aux foodtrucks, parfois vêtus de blanc comme leurs idoles, ont fait de cette 45e édition plus qu’un succès, un moment inoubliable pour tous.