Le voleur de feu

Le Musée d’art moderne de la ville de Paris consacre une magnifique rétrospective à Nicolas de Staël

Si vie tant artistique que personnelle fut une celle d’une comète. Mais à en juger par l’affluence aux premiers jours de l’impressionnante rétrospective que lui consacre le musée d’art moderne de la ville de Paris, la queue de cette comète brille encore, quelques soixante-dix ans après sa mort, de ses feux les plus éclatants.


Nicolas de Staël
Marseille, 1954, collection  privée

Des feux qu’il vola tour à tour aux dieux de Sicile et aux reflets d’argent de Normandie et de cuivre de Provence et qui constituèrent une œuvre « curieusement décalée, semblable à l’homme, ombrageuse mais solaire. Sensible et d’une rigueur, ou d’une détermination, qui porte ces quinze ans de travail bloc » assure ainsi Fabrice Hergott, directeur du musée d’art moderne de la ville de Paris dans l’avant-propos du très beau catalogue qui accompagne cette exposition. A travers près de 200 œuvres dont un certain nombre tirées de collections particulières montrées pour la première fois, le visiteur assiste à la lente transformation du peintre en génie. Car le voleur de feu réussit très vite à  domestiquer et à transformer ce dernier au gré de ses voyages pour lui donner des airs de tempête de couleurs avec ses verts éclatants ou ses roses émouvants. Derrière nous, des spectatrices s’émeuvent toujours autant du caractère révolutionnaire de sa peinture qui continue de consumer leurs coeurs. « Il a cassé tous les codes » lance ainsi l’une d’elles.

Bien décidée à sortir Nicolas de Staël des frontières picturales posthumes dans lesquelles le monde de l’art tenta de l’enfermer alors qu’il les traversa à maintes reprises, l’exposition explore tant la dimension figurative que l’abstraction d’une œuvre conçue avec un identique génie. Il suffit de contempler la série sur le football avec le magnifique Parc des Princes (1952) tiré d’une collection particulière et qui constitue l’un des points d’orgue de l’exposition pour se convaincre de sa perception unique du spectacle du monde.

Dans son atelier rue Gauguet ou devant sa palette, l’exposition offre au visiteur la possibilité d’entrer dans le brasier de la création d’un peintre bâtissant ses tableaux par aplats successifs réalisés au couteau et avec un pinceau à la main devant ces magnifiques encres de Chine.

C’est à Antibes, devant un soleil couchant s’éteignant dans une Méditerranée dont il emprunta l’éclat pour composer ces derniers chefs d’œuvres comme Marine la nuit (1954) ou Marseille (1954) que la comète devint astre, astre qui aujourd’hui encore rayonne sur la peinture contemporaine. Un astre libérant un feu qui, grâce à cette merveilleuse exposition, continue de briller sur le monde et sur nos esprits.

Par Laurent Pfaadt

Nicolas de Staël, la peinture comme un feu, Musée d’art moderne de la ville de Paris
Jusqu’au 21 janvier 2024.

A lire le catalogue de l’exposition, Stéphane Lambert, Nicolas de Staël, la peinture comme un feu
Chez Gallimard, 224 p.

La loi de son maître

Première biographie passionnante de Joseph Darnand, chef de la Milice sous le régime de Vichy

Le bois dont on fait les héros est-il également celui qui modèle les traîtres ? A priori non mais avec l’ancien chef de la milice, il semble bien que le moule servit deux fois. Car Joseph Darnand reste une énigme, celle d’une destinée trop vite expédiée dans cette infamie qu’il embrassa assurément mais qui révéla également une complexité faite de contractions. Car comment un patriote aimant profondément son pays a-t-il pu le trahir en s’associant aux pires crimes de son histoire commis sous l’égide du régime de Vichy ? Est-ce pour cela que l’historiographie ne lui a accordé que peu de place parce que l’histoire de France ne pouvait accepter que l’un de ses membres ait pu la servir et la trahir avec la même passion ?


Pour explorer cette part d’ombre que chaque héros porte en lui, ce marbre capable de se fissurer au contact de l’histoire, il nous faut suivre Eric Alary, historien spécialiste de la seconde guerre mondiale et de la collaboration qui, en sculpteur avisé, taille en toute objectivité et à partir de sources neuves et méconnues ainsi que d’archives inexplorées, le portrait de Joseph Darnand.

Darnand c’est avant tout l’histoire d’un homme ordinaire de l’Ain que la Grande guerre va élever au rang de héros. Homme d’action, du coup de poing, il ressort du premier conflit mondial décoré et adulé. « Son courage initial aurait pu le conduire vers un autre destin » écrit ainsi Eric Alary. L’histoire aurait pu en rester là. Intervienta lors ce que l’histoire peine souvent à expliquer : la psyché, les sentiments et les frustrations que cerne parfaitement Eric Alary. Un homme en quête de reconnaissance qui glisse lentement vers le crime organisé durant cet entre-deux guerres des ligues et de la montée des extrêmes avec ses relents antisémites et nationalistes. Un homme que le désir d’ascension aveugla et qui fit sienne l’idéologie d’un maréchal Pétain qu’il vénéra. Voilà le terreau sur lequel grandit le Darnand de la seconde guerre mondiale. En 1942, « il est désormais évident que Darnand est collaborationniste par opportunisme, mais aussi par idéologie » nous dit l’auteur.

Les Allemands, mieux que quiconque, surent séduire cette créature fidèle. « Il n’est toujours qu’un pion que des chefs qui s’affrontent au sommet de l’État placent à l’endroit qui les arrange. Il en est conscient et il en abuse pour une gloire illusoire » pour nous dire que Darnand, loin de subir, choisit son destin. Ce fut alors la course à l’abîme avec l’exécution de ministres juifs comme Jean Zay et Georges Mandel et l’intégration dans la Waffen SS après avoir prêté serment au Führer en novembre 1944. A ce titre, Eric Alary apporte un éclairage intéressant sur la chaîne de commandement qui conduisit à l’assassinat de l’ancien ministre de l’Intérieur, le 7 juillet 1944 dans la forêt de Fontainebleau. Si Darnand ne donna pas l’ordre fatidique, il cautionna l’opération en ne prenant aucunes sanctions contre les meurtriers.

La figure de Joseph Darnand est ainsi l’histoire d’une dérive criminelle dans une époque de convulsions qui ont amené un homme à transiger avec sa conscience par simple opportunisme. Plus qu’un livre brillant, cette biographie constitue également un avertissement : en des temps troublés, sans boussole, les héros peuvent aussi devenir des monstres.

Par Laurent Pfaadt

Eric Alary, Joseph Darnand, de la gloire à l’opprobre
Chez Perrin, 384 p.

Géants de papier

Robert Penn Warren et Léon Tolstoï à l’honneur de biographies fort intéressantes

A priori rien ne rapproche ces deux auteurs séparés par un océan, un monde et un siècle. Pourtant à y regarder de plus près, Robert Penn Warren (1905-1989) et Léon Tolstoï (1828-1910) eurent en commun un sens inné et inimitable du récit, des œuvres polymorphes et une contestation de l’ordre établi.


Robert Penn Warren n’a jamais eu la renommée ni la postérité littéraire d’un Tolstoï. Et pourtant, il demeure avec William Faulkner et John Dos Passos, l’un des trois écrivains à avoir remporté trois prix Pulitzer, la plus importante récompense littéraire américaine et surtout le seul dans deux catégories différentes (roman et poésie). Raison de plus pour lire la biographie très complète que lui consacra en 1997 Joseph Blotner (1923-2012) considéré comme le fils spirituel de Faulkner. L’auteur suit ainsi parfaitement son sujet, des déménagements successifs des Warren à la création littéraire de ses livres et à la réception de ces derniers dans l’opinion notamment à partir du Cavalier de la nuit en 1939 qui le rapprocha selon Blotner du Nostromo de Joseph Conrad.

Sa plus grande œuvre resta bien évidemment Les Fous du roi, magnifique roman sur le pouvoir de nos actions et leurs conséquences qui lui valut son premier Pulitzer en 1947 et qui est encore aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands romans américains du 20e siècle. « Avec sa puissance narrative, la richesse de sa prose, sa peinture d’un monde complexe et réaliste, et la pertinence philosophique et morale d’une telle représentation, Les Fous du roi semblent bien destinés à devoir demeurer l’un des plus grands romans de la littérature américaine » écrit ainsi Joseph Blotner. Suivront d’autres pierres monumentales comme Le Grand souffle, grand roman historique et L’Esclave libre (1955) qui ne trouve d’ailleurs pas grâce aux yeux de l’auteur considérant ce livre comme « une sorte d’échec très ambitieux. »

Cependant, l’autre grande découverte de cette biographie est de mettre à l’honneur le poète qui  valut à Warren ses deux autres Pulitzer ainsi que le titre de poète national de la bibliothèque du Congrès, titre que remporta d’ailleurs quelques soixante ans plus tard (en 2003), Louise Glück, future prix Nobel de littérature. L’auteur aborde également l’action de Warren en faveur des droits civiques avec ses interviews de Malcolm X et Martin Luther King. 

Inclassable, unique, tel fut assurément la place de Tolstoï. Archétype du génie littéraire, il resta longtemps, notamment pendant la période soviétique, incompris. Andrei Zorine, spécialiste de culture russe à l’université d’Oxford, s’attache dans cette nouvelle et première biographie traduite en français depuis la chute du mur, synthèse admirable de concision et de compréhension, à montrer l’unité d’un homme et de son œuvre dont elle fut, en bien des aspects, le reflet.

L’auteur inscrit ainsi Tolstoï dans le monde et les lettres de son temps sous la forme d’un voyage littéraire passionnant où l’on croise les figures de Tourgueniev ou de Dostoïevski « Je n’ai jamais rencontré cet homme ni eu de relations directes avec lui. C’est seulement lorsqu’il est mort que j’ai compris qu’il était de moi la personne la plus proche, celle qui m’était la plus chère et la plus nécessaire » écrit-il à l’égard de cet autre monstre de la littérature. Mais dans ces pages, Tolstoï apparaît comme le personnage de sa propre vie, d’une vie qui se confond avec ses œuvres. Il est tour à tour Olenine, Constantin Lévine, Hadji Mourat et André Bolkonsky dans cet orphelin ambitieux, ce génie marié, ce guide solitaire et cette célébrité en fuite. Des facettes d’un écrivain qui semblent se rejoindre dans cette phrase des Cosaques (1863) « Pour être heureux, il ne faut qu’une chose : aimer, aimer avec renoncement, aimer tout et tous, tendre de tous côtés la toile d’araignée de l’amour, et prendre quiconque y tombe ».

Par Laurent Pfaadt

Joseph Blotner, Robert Penn Warren, traduit de l’anglais
(États-Unis) par Thibaut Matrat.
Préface de Maxence Caron, éditions Séguier, On lira également
Le cavalier de la nuit (10/18, 552p.) :http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/selection-poches/

Andrei Zorine, La vie de Léon Tolstoï, une expérience de lecture, traduit du russe par Jean-Baptiste Godon
Aux éditions des Syrtes, 272 p.

Premières

La Suite

Barbara Engelhardt, la directrice du Maillon renoue avec la pratique du Festival Premières qui fut créé en 2005 à l’initiative du TNS et du Maillon pour faire découvrir de jeunes metteurs en scène de plusieurs pays d’Europe. De 2005 à 2014, au cours des 9 sessions qui ont eu lieu, le Festival connut un grand succès et permit de rencontrer la jeune scène européenne. Aujourd’hui, avec, une Installation, quatre spectacles, des rencontres et des tables rondes, Le Maillon offre aux spectateurs des occasions de réfléchir à comment se construit le théâtre actuel compte tenu des nouvelles normes qui pèsent sur la production et la diffusion des œuvres.


A l’instar des anciennes propositions de Premières les spectacles sont innovants, originaux, parfois déroutants. Tel fut le cas pour « Sauvez Bâtard » qui nous présente un procès pour le moins déjanté. Signé du metteur en scène belgo-grec Thymios Fountas qui, pour sa première mise en scène nous invite à suivre le parcours d’un personnage, appelé Bâtard, accusé d’un meurtre qu’il ne se souvient pas avoir commis. Certes le cadavre est sur la scène devant ses yeux mais cela n’évoque aucun geste meurtrier de sa part. Ses juges et accusateurs sont de curieux personnages, dont les costumes illustrent leurs caractéristiques, l’un tout en noir se nomme Cafard, un autre Clébard et le troisième Clochard, autant dire des marginaux qui ont du mal à mettre en œuvre ce projet de jugement auquel ils sont sensés participer. Bâtard lui-même en jogging et casquette blanche semble plutôt décontracté, d’ailleurs, ne se dit-il pas poète, et se retire dans sa chambre pendant que les autres s’énervent et disent ne plus rien comprendre. Cafard jette en l’air les feuillets du dossier, ils vont et viennent, grimpent sur l’espèce de rocher derrière lequel ils semblent presque jouer à cache- cache. La situation est loufoque accompagnée d’une musique forte qui souligne une gestuelle débridée, vive mais parfaitement chorégraphiée.

Bientôt un nouveau personnage apparaît, lui pas du tout déguisé, genre beau gosse, élancé sportif c’est Ekart, un peu poseur, se vantant de prendre des cours d’anglais ce qui détonne et amuse dans ce milieu des laissés pour compte. Il tient à faire savoir qu’il n’est pas pédé et n’arrête pas de le répéter à qui veut l’entendre. Mais le voilà qu’il tombe amoureux, chose inattendue et paradoxale, amoureux de Bâtard.

Bâtard va devenir son partenaire de jeu dans cette partie de la pièce où c’est de relation et d’amour même qu’il sera question. Rencontres, déclarations, déclamations effusions, séparations, se déclinent comme les aléas romantiques des aventures amoureuses et cela ne manque pas d’humour.

Le tout étant dit dans un langage à faire frémir les académiciens mais qui est la signature d’un monde en devenir qui ne sait trop sur quoi bâtir son avenir.

Une pièce emblématique de cette distance à prendre vis à vis des institutions, ici la justice, et des préjugés comme la honte d’être pédé, vieille rengaine toujours d’actualité.

Ainsi le loufoque qui surprend et amuse laisse-t-il habilement, par le truchement du jeu dynamique des comédiens soutenu par une musique  très prégnante,  se dessiner  le monde tragicomique des anti-héros.

Représentation du 10 novembre


Ce même soir une autre proposition vient enrichir cette suite de Premières, il s’agit cette fois de voyager vers la Lituanie en compagnie d’images et de musique. Le journaliste, réalisateur de plusieurs films, Karolis Kaupinis offre ici son premier spectacle vivant « Radvila Darius, fils de Vytautas » en s’appuyant sur les archives de la télévision lituanienne des années 1989-1991. Oy voit de jeunes enfants répéter avec application des morceaux dans l’école de musique sous l’œil attentif du maître. Et on assiste à de nombreux débats et rencontres autour des problèmes posés par la nouvelle société, le pays ayant récemment reconquis son indépendance, comme trouver un nouveau nom pour les rues ou les places, agrandir les rues au prix de la coupe de chênes centenaires et pour ainsi dire « sacrés ». Certaines images peuvent passer pour
« historiques « comme ce trou creusé en pleine rue d’où jaillit du pétrole ou cet alignement de futurs mariés sur un banc de la mairie pour un mariage collectif. Pendant que nous suivons avec intérêt et amusement ces images du passé, derrière un rideau transparent quatre musiciens plutôt jazzy accompagnent plein d’élan la diffusion de ces reportages témoins manifestes d’une recherche d’identité.

Représentation du 10 novembre


Ces « Premières » ont inscrit à leur programme la reprise ici au Maillon du spectacle qui fut l’exercice de sortie de l’Ecole du TNS pour les Groupes 46 et 47 en novembre 2022. « La Taïgac court ».
(Voir le compte-rendu dans Hebdoscope de novembre 2022) Des quatre versions présentées alors, de ce texte de Sonia Chambretto, Barbara  Engelhardt a retenu celle d’ Antoine Hespel du Collectif La Volga

On a donc retrouvé cette mise en scène originale qui met en évidence le problème actuel  et crucial du dérèglement climatique et en fait un objet scénique drôle et percutant avec des comédiens très impliqués dans ces rôles de composition, Jonathan Benéteau Delaprairie, Yann Del Puppo, Quentin Ehret, Felipe Fonseca Nobre, Charlotte Issaly, Vincent Pacaud, tous bien décidés à donner une grande portée à l’avertissement qu’ils nous mettent en demeure d’entendre, celui  qui nous place  devant le pire sans que nous en prenions acte . 

Un premier travail qui méritait toute sa place dans ces Premières.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 17 novembre

L’orphelinat de la mémoire

Le centre de la porte Grodzka-théâtre NN à Lublin tente de redonner un nom et une identité à tous les juifs exterminés de la ville

Un homme creuse même si on lui a dit qu’ici, il ne subsistait aucune trace. Qu’il n’y avait plus rien. Pourtant il continue. Soudain retentit un bruit sourd comme venu du fond des âges. Comme tiré de l’oubli. Quelque chose était bien là. Des voix, des images issues d’une culture que l’on croyait à jamais perdue. Tomasz Pietrasiewicz s’arrête, regarde autour de lui. La mémoire est revenue.


Ils ont été assassinés à Majdanek, Belzec ou Sobibor par des nazis qui pensaient leur ôter non seulement leur vie mais également leur identité. Jusqu’à leur souvenir. C’était sans compter quelques aventuriers de la mémoire comme Tomasz Pietrasiewicz, directeur du centre de la porte Grodzka – Theatre NN et metteur en scène. Voilà plus de trente ans, depuis le début des années 1990 lorsqu’il a créé à partir de rien le théâtre NN de la porte Grodzka, qu’il recense et ressuscite la mémoire des juifs de Lublin. Pourtant Tomasz Pietrasiewicz ne savait absolument pas se servir de cette pelle historique et ne nourrissait qu’intérêt mineur pour les questions de mémoire, lui le diplômé de physique. « Pendant longtemps, cette  question m’intéressait pas. Puis je me suis rendu compte du lieu où je me trouvais » reconnaît-il aujourd’hui.

Dans cette tombe anonyme, de cette fosse de la mémoire pareille à ces charniers que les nazis ont répandu sur le sol de la région de Lublin et de la Pologne, Tomasz Pietrasiewicz s’active alors pour redonner vie à ces milliers d’histoires en les accueillant dans cet orphelinat de la porte Grodzka située tout près d’un parking qui a recouvert maisons et synagogues du quartier juif. Il y a avait donc urgence.

La quête des disparus de Lublin est ainsi lancée et depuis, Tomsaz Pietrasiewicz œuvre pour collecter les témoignages de cette population juive qui comptait jusqu’à 43 000 individus sur les 120 000 habitants de la ville de Lublin et que l’Aktion Reinhard – l’opération d’extermination des juifs de Pologne – a réduit au silence. « Je veux redonner à ces gens leurs histoires et je prends la responsabilité de ce qui n’existe plus » affirme-t-il. Le chantier fut titanesque et un travail de collecte considérable a été entrepris conduisant à recenser 1300 rues et plus de cinq mille heures de témoignages. Au final, les 43 000 dossiers personnels des juifs de Lublin se trouvent entreposés dans cet orphelinat de la mémoire où l’on vient du monde entier, d’Israël, des Etats-Unis, d’Australie ou d’Europe pour retrouver des parents, des grands-parents, un frère, une sœur ou des proches qui ont péri lors de la Shoah. Les retrouvailles dans ces lieux austères et métalliques sont toujours emprunts d’une intense émotion. « Certains craquent. D’autres fondent en larmes » rappelle Tomasz Pietrasiewicz dont l’action a été saluée par de nombreux intellectuels (Agata Tuszyńska, Julia Hartwig) et lui valut plusieurs prix dont celui d’Irena Sendler, du nom de cette résistante polonaise qui sauva des milliers d’enfants juifs et récompense deux personnes, l’une aux Etats-Unis et l’autre en Pologne, qui enseignent le respect et la tolérance.

Le projet financé à 100 % par la ville de Lublin a même donné lieu en 2011 à une exposition baptisée « Lublin Mémoire d’un lieu » où un mur de voix a permis de faire entendre celles qui se sont tues mais également celles des Justes qui ont sauvé les juifs de Lublin. Aujourd’hui, le centre de la porte Grodzka accueille non seulement ce mémorial mais également un théâtre, des projets sur l’apiculture ou les briqueteries de la ville et promeut un important volet éducatif et pédagogique à destination des écoles. Grâce à cela, le personnel du centre combat chaque jour l’oubli. Pour autant, le travail de mémoire entrepris par le Centre et son directeur ne s’arrête jamais car de nombreux dossiers parmi ces 43 000 restent vides par manque d’informations. Tomasz Pietrasiewicz n’a donc pas fini de creuser.

Par Laurent Pfaadt

Pour en savoir plus et visiter le Centre de la Porte Grodzka – théâtre NN rendez-vous sur leur site : https://teatrnn.pl/en/

la lune noire de Los Angeles

Voilà trente ans qu’il hante nos nuits. Trente ans à avoir été persécuté par William Gladden (Le Poète) et Wesley Carver (L’épouvantail), à avoir été embobiné par Mickey, à avoir été rassurés par Harry Bosch et Renée Ballard, à avoir enfin été fasciné par tous ces personnages ayant revêtu les visages de Clint Eastwood, de Matthew McDonaughley ou de Titus Welliver.


Michael Connelly dans le métro
©Sanaa Rachiq

Avec James Lee Burke, Michael Connelly est celui qui a poussé le plus loin l’unité d’une œuvre dans le roman policier, certains parlant à juste titre de métacycle avec ces romans qui se chevauchent, s’entrecroisent, se répondent. Avec James Ellroy, il est celui qui a décrit avec le plus de fascination Los Angeles, ses rues tortueuses, ses bas-fonds. L’homme confesse se réveiller tôt et écrit sans plan, ce qui paraît stupéfiant au regard de l’architecture si bien charpentée de sa cathédrale littéraire et de ses vitraux romanesques où se reflètent avec tant de précision et de noirceur les rayons de cette lune maléfique.

Trente ans après Les égouts de Los Angeles, Michael Connelly nous embarque dans une nouvelle affaire criminelle avec ses miasmes en compagnie de nos deux compagnons d’insomnie : Renée Ballard et Harry Bosch. La première a repris le bureau des affaires non résolues et a recruté dans son équipe, pour notre plus grand plaisir, un Harry Bosch tiré de sa retraite. Qu’il est bon de te revoir Harry ! Car ce cold case qui s’annonce ardu ne t’est pas inconnu. Oh non ! Il s’agit du dossier McShane, ce tueur qui assassina la famille Gallagher avant de l’enterrer dans le désert. Elle t’avait laissé un goût amer car tu n’avais pas réussi à prouver le crime de ce salopard. Malgré tes 73 ans, tu es donc bien décidé, avant de tirer définitivement ta révérence, à rendre justice aux Gallagher.

Une fois de plus Michael Connelly excelle à bâtir une histoire qui attrape immédiatement son lecteur et ne le lâche qu’à la dernière page. On accompagne avec toujours autant passion notre fin limier dans ses investigations, livrant à l’assassin un nouveau duel homérique. Mais avançant dans le roman, quelque chose d’imprévu se produit. Oui, la fin est proche mais de qui ? De l’assassin piégé par Bosch? Ou de Bosch lui-même, victime d’une maladie incurable ? Pour connaître l’épilogue de ce 27e tome et peut-être de l’œuvre de Connelly, il vous faudra bien plus qu’une seule nuit blanche.

Par Laurent Pfaadt

Michael Connelly, L’étoile du désert, traduit de l’anglais par Robert Pépin
Aux éditions Calmann Lévy, 416 p.

A lire également Les ténèbres et la nuit (Le Livre de poche, 528 p.) une autre enquête de Harry Bosch et Renée Ballard dans  Notre duo d’enquêteurs est rattrapé par les fantômes du passé et défié par les hommes de minuit, un duo d’assassins particulièrement coriace.

Les enfants de Tintin

Le deuxième volume français de la grande aventure du journal de Tintin qui révéla notamment Alix paraît enfin

Ils furent des milliers, de 7 à 77 ans, à attendre chaque jeudi, sa venue dans les kiosques ou dans leur boîte aux lettres. Dans chaque numéro, le meilleur de la BD : Le secret de l’Espadon de Blake et Mortimer ou Le temple du soleil d’Hergé pour les plus anciens. Capitaine Sabre, Les Casseurs ou Chlorophylle pour les derniers chanceux, en 1988, auxquels appartint votre serviteur.


Près de sept ans après un premier volume, les éditions Moulinsart et Dargaud nous replongent ainsi dans la grande aventure du journal de Tintin. Ce deuxième tome est ainsi consacré au succès qu’il rencontra en France où le premier numéro est publié le 28 octobre 1948, deux ans après son lancement en Belgique. Reprenant la couverture de l’édition belge du 16 septembre 1948, l’hebdomadaire frappe fort : la première histoire d’Alix de Jacques Martin (Alix l’Intrépide) et une nouvelle aventure de Tintin : L’Or noir.

« Telle est la nationale par rapport à l’autoroute, les deux versions du journal Tintin, la belge et la française, n’arrêtent pas de se croiser et recroiser, se rapprochant ou s’éloignant l’une de l’autre au gré des années » Le succès de l’édition française fut très vite au rendez-vous et des générations entières se passionnèrent pour Ringo, Bernard Prince et ces autres aventures graphiques qui se succèdent au fil des pages de ce second volume. Les passionnés découvriront ou redécouvriront ces aventures d’Edgar P. Jacobs dans Le théâtre du mystère signé Rivière et Carin ou les premières planches du désormais mythique Pilote sans visage de Jean Graton.

Quiconque a lu le journal de Tintin ne l’oublia jamais. La grande aventure du journal de Tintin est ainsi plus qu’une compilation de bande-dessinées. On frissonnait devant l’ombre jaune et Bob Morane. On rigolait avec la dernière page et Cubitus. Glissés entre les différentes aventures, des reportages sur les inventions et découvertes en Chine ou la forêt amazonienne nous laissaient croire que Tintin n’était pas mort avec Hergé mais surtout qu’il vivait en nous. Ce livre replonge chacun de nous dans une enfance qu’il a quitté à regret, dans une nostalgie bienveillante faîte de souvenirs qui nous ont construit grâce à l’imaginaire et au talent de tous ces auteurs. On était devenu, grâce au journal de Tintin et comme il le proclamait, des « super-jeunes » à défaut d’être ses enfants.

Et comme un écho lointain à cet anniversaire d’un journal qui révéla d’autres enfants de Tintin notamment Alix, voici que paraît également ces jours-ci la 42e aventure du plus célèbre des héros romains. Le scénario signé Robert Seiter embarque Alix dans une aventure à la Indiana Jones, à la recherche du bouclier d’Achille, une arme qui pourrait donner des idées à des Grecs bien décidés à profiter de la guerre civile entre Pompée et César pour affirmer leur indépendance. Notre héros, toujours accompagné de son brave Enak est cette fois-ci assisté d’une autre brune sublime (grâce au trait magnifique de Marc Jailloux), Oratis qui n’est autre que la sœur d’Adréa rencontrée dans Le Dernier spartiate. Et notre petit groupe retrouve également une vieille connaissance, Arbacès, sorte d’Olrik romain, bien décidé à tout mettre en œuvre pour retrouver cette arme absolue.

Avec ses quelques clins d’œil fidèles aux albums de Jacques Martin en campant un Alix intègre et épris de justice, sa dimension mythologique, la société secrète des Myrmidons, Le bouclier d’Achille est assurémentun très bon cru. Les passionnés comme les néophytes seront ravis.

Par Laurent Pfaadt

La grande aventure du journal de Tintin, Escale en France, 1948-1988, volume 2
Editions Moulinsart/Le Lombard, 776 p.

Marc Jailloux, Roger Seiter, Jacques Martin, Le bouclier d’Achille
Chez Casterman, 48 p.

Ma vie

Les différentes attaques du Hamas ainsi que la riposte menée par Israël ont projeté l’État hébreux un demi-siècle en arrière, presque jour pour jour dans l’une des plus graves crises que connut le pays et qui menaça son existence même : la guerre du Kippour. Comme en 2023, le Premier ministre d’alors, Golda Meir, avait sous-estimé ses ennemis : « De tous les évènements dont j’ai traité dans ce livre, il n’en est pas un dont il me soit plus difficile de parler ici que la guerre d’octobre 1973 dite du Yom Kippour » écrit-elle dans son autobiographie publiée en 1975 et qui reparaît judicieusement ces jours-ci.


Celle que l’on nomma la « grand-mère d’Israël » et fut l’une des premières femmes chef d’un gouvernement naquit en 1898 à Kiev dans une famille pauvre confrontée très tôt à un antisémitisme latent que retranscrivit très bien l’écrivain américain Bernard Malamud dans L’homme de Kiev (Rivages) et qui se déchaîna pendant la seconde guerre mondiale.

Ayant émigré aux Etats-Unis, à Milwaukee puis en Israël avant une Shoah qui emporta de nombreux membres de sa famille, Golda Meir s’engagea très vite dans la construction du nouvel état d’Israël. Elle fut aux côtés de David Ben Gourion lorsque ce dernier proclama, le 14 mai 1948, l’indépendance d’Israël. « Mes yeux étaient pleins de larmes et mes mains tremblaient (…) Quoi qu’il arrivât désormais, quel que fut le prix que nous dussions payer pour cet acte, nous avions ressuscité le Foyer national juif (…) Nous devenions une nation comme tant d’autres, maîtresse pour la première fois depuis vingt siècles, de ses destinées » écrit-elle.

Mais le prix à payer fut lourd, très lourd. Un prix dont elle s’acquitta en tant qu’ambassadrice en Union soviétique puis membre de plusieurs gouvernements. Golda Meir traversa ainsi ces années d’incertitude marquées par plusieurs guerres qu’elle relate. Elle côtoya Molotov, Kissinger, le roi Abdullah ou Nixon avant d’accéder au poste de Premier ministre en 1969 tout en conservant une vie personnelle marquée par une simplicité qu’elle exprime librement dans ses mémoires. Déesse de la vengeance des athlètes assassinés au JO de Munich en 1972, elle remporta l’année d’après, une guerre du Kippour qui constitua pour elle une victoire à la Pyrrhus. Au lendemain de cette dernière sur les armées égyptiennes et syriennes, Golda Meir lançait pourtant : « Le monde en général et les ennemis d’Israël en particulier devraient se mettre dans la tête que les circonstances qui coûtèrent la vie à plus de 2500 Israéliens dans les combats ne se reproduiront plus »

Une phrase qui résonne aujourd’hui avec force et amertume et annonce peut-être une nouvelle histoire.

Par Laurent Pfaadt

Golda Meir, Ma vie, traduit de l’anglais par Georges Belmont et Hortense Chabrier
Aux éditions Les Belles Lettres, 672 p.

Little Girl Blue

un film de Mona Achache

Avec entre autres réalisations Les Gazelles et 6 épisodes de la série HPI, on n’attendait pas de Mona Achache un film comme Little Girl Blue avec sa noirceur et sa réflexion qui plonge au cœur de l’intime. Il nous renvoie à notre propre questionnement sur nos origines, les non-dits et leur répercussion sur les générations suivantes. Avec Marion Cotillard, elles composent un film hommage à Carole Achache, la mère de Mona, disparue en mars 2016, en s’étant donnée la mort.


Copyright Tandem

Janis Joplin chante sur le générique sa chanson éponyme. Qui est la petite fille triste dont il est question ? La réalisatrice devenue orpheline ou bien Carole, éternelle spleeneuse que sa fille essaye de mieux comprendre ? Le film interroge le pourquoi du suicide de cette femme qui laissa des milliers de photos, des carnets, des lettres et des enregistrements. « Le désir 1er de ce film était de donner un corps à ma mère pour une conversation avec elle. » La réalisatrice fut très inspirée de choisir Marion Cotillard pour incarner au sens propre du terme Carole Achache. Sous nos yeux, elle endosse son costume pour son rôle, met une perruque, des lentilles de contact pour cacher ses yeux bleus. Le film va ainsi procéder en nous montrant l’actrice à l’œuvre. Pour Mona Achache, plus qu’une incarnation, c’est une résurrection de sa mère qui s’est opérée par le jeu et la présence de sa comédienne. Pas de répétitions ! « Le tournage, chronologique, a été une expérience de vie insensée, d’une extrême intimité. Chaque jour, son corps, son visage et sa voix se métamorphosaient. Au fur et à mesure, la confusion devenait totale. Carole et Marion fusionnaient. Cela a été bouleversant pour moi, mais pour toute l’équipe sur le plateau aussi. Une résurrection, le temps d’un tournage. »

Outre le travail sur le physique, la voix a été l’enjeu d’une troublante confusion, Carole ayant laissé de nombreux enregistrements. Elle était une intellectuelle des années 70. Une femme de son temps, la fille d’une femme de lettres qui fréquentait l’intelligentsia parisienne dont Jean Genet à qui elle vouait une grande admiration au point de fermer les yeux sur l’emprise perverse qu’il exerçait sur la petite Carole. Mona Achache propose un film passionnant à la démarche formelle et esthétique admirable, mêlant images d’archives de cette époque si riche et si neuve, rebelle, avec des extraits de films des années 20, films muets très expressifs. C’est toute cette période qui est questionnée, libre et sexuellement libérée au risque de perdre son âme, avec l’évocation de Carole à New York qui vit la prostitution mais aussi avec les libertés que s’autorisaient les hommes … C’était l’époque ! Comment également vivre l’injonction de sa mère brillante écrivain à devenir une personne exceptionnelle ? Être une personne banale c’est être voué à la mort, accepter le conformisme, selon Yourcenar, est une misérable maladie. Mona Achache interroge les archives et écoute sa mère pour comprendre son geste désespéré avec le souci de rompre une malédiction familiale féminine qui se perpétue. Mona Achache a signé une œuvre cinématographique atypique, un film où l’intime touche au collectif, en transcendant son sujet par des moments de pure poésie. « Je voyais de la lumière dans tout ce noir. Il y a cette citation de Marguerite Yourcenar dans le film, dont la découverte a été une révélation pendant mon chemin d’écriture. « Qu’est-ce que vous emporteriez si la maison brûlait ? J’emporterais le feu. » Voilà. Notre maison a brulé et ma mère a été emportée avec. Mais c’est ce feu que je voudrais transmettre à mes enfants. »

Elsa Nagel

Radio live-La relève

Un spectacle d’une grande intelligence, très bien construit, montrant combien le journalisme peut être respectueux de la parole d’autrui et comment avec finesse et sensibilité il peut nous la faire connaitre.


©radio live production

Nous voilà immergés pour plus de deux heures dans la réalité des interviews conduites par une vraie journaliste Aurélie Charon qui se présente d’emblée comme telle, productrice à France -culture et qui nous révèle d’entrée de jeu d’où vient ce spectacle et comment il est construit.

D’abord il y a, dès 2011  avec Caroline Gillet, des documentaires sur la jeunesse diffusée à la radio (France Inter et France culture) puis en 2013 le désir de mettre en contact les jeunes avec lesquels des liens s’étaient créés et de faire avec eux une sorte d’émission en public intitulée « Radio live » pour montrer combien ces jeunes gens rencontrés dans différents pays du monde étaient plein de dynamisme, d’engagement, ayant dû souvent surmonter des situations difficiles, voir traumatisantes. L’étape actuelle intitulée
« La relève » veut faire parler aussi les jeunes générations.

Un dispositif scénique simple et pertinent évoque un studio d’enregistrement, (Alix Boillot). Côté jardin, à une petite table, un peu en retrait et dans l’ombre ont pris place les deux jeunes gens auxquels la journaliste posera des questions, autre lieu, côté cour,  celui où la musicienne et chanteuse Emma Prat s’est installée avec sa guitare électrique, plus en avant la table où Amélie Bonnin fait ses dessins, les projette ainsi que les photos sur les écrans dont un immense en fond de scène ; et sur le devant du plateau une grande télé. Sur un petit bandeau lumineux défilent des renseignements, des réflexions, comme celle-ci « En silence tout peut arriver ».

Le premier à s’avancer sur le plateau c’est Yannick Kamanzi qui commence par tracer au sol avec du scotch jaune les contours du Rwanda, son pays natal, désigner les pays frontaliers dont le Congo, précisant que c ’est sur cette frontière qu’il est né, ce qui le fait douter de son identité de rwandaise.

Peu à peu, au fur et à mesure des questions posées judicieusement par Aurélie son histoire se révèle avec le problème inévitable posé par le génocide qui a eu lieu avant sa naissance en 1994 et auquel sa famille a échappé n’étant pas présente alors dans le pays.

Cependant, cet événement dramatique dont on ne lui a pas parlé pour le préserver, l’a bien sûr rattrapé.  Sur l’écran est projeté le paysage montagneux et verdoyant du pays, sur la télé, le salon, où, dit-il, il est devenu lui-même. Ainsi les images contextualisent-elles les paroles. Cette méthode sera utilisée avec à-propos tout au long de la représentation. Pendant qu’apparait le visage de sa sœur adulte, il se met à danser.

Le principe du spectacle étant de faire se croiser la vie de différents jeunes gens, ce soir-là, c’est Hala, une jeune syrienne qui va venir répondre aux questions d’Aurélie et converser avec Yannick.

Hala trace sur le sol la carte du Moyen-Orient puis nous apprenons que sa famille est Alaouite, une communauté mal acceptée en Syrie et que son père opposant est allé en prison parce qu’il avait mis le feu à une école lui a-t-on dit, évidemment faux ! Il est opposant politique à Hafez el-Assad et c’est pour cela qu’il est en prison.

De son côté Yannick s’interroge sur le pardon car il a fini par apprendre que durant le génocide sa grand-mère a été tuée par les Tutsis et demande « où était Dieu pendant ce temps ? ».

C’est alors qu’il entame un magnifique solo de danse dans lequel avec une expressivité bouleversante il  montre avec son corps tout ce qu’il a appris et ressenti de l’horreur du génocide.

Ses révélations, sur son parcours, chacun est amené à les formuler grâce au questionnement plein de bienveillance et de curiosité de la journaliste. Elles sont accompagnées et ponctuées par les chants entonnés par la musicienne, par la projection de dessins réalisés par la dessinatrice et  par les photos de leur famille. On y verra la grande sœur de Yannick, sa mère, lui-même, enfant serré contre son père qui vient enfin d’accepter qu’il devienne danseur.

On y rencontrera les sœurs d’Hala et leur mère pour apprendre qu’après son retour d’Egypte où il avait donné une conférence sur les minorités leur père a été une nouvelle fois arrêté, torturé et qu’il en est mort. La décision de partir a été prise alors par toutes les trois, leur mère décidant de rester par esprit de résistance. Deux d’entre elles sont actuellement à Lyon.

IIlustration du « live » une jeune fille surgit sur le plateau et souligne à quel point il est important de changer de pays, nous apprenons qu’elle vient d’Ukraine et sera présente dans une des prochaines représentations.

Et puis cette photo de Sam le petit cousin de Yannick, prise lors du voyage de ce dernier dans son pays. Sam a 10 ans et on voit son interview filmée et projetée sur l’écran. Les yeux tournés vers le ciel et réfléchissant il dit qu’il faut vivre et se tourner vers l’avenir. Il est l’incarnation ce cette « relève » qui met en rapport plusieurs générations avec leurs questionnements et les réponses qu’ils font à la vie.

La radio et la scène deviennent de formidables lieux de rencontre et d’échange et nous en avons été des témoins très touchés.

La série se poursuit avec d’autres intervenants jusqu’au 18 novembre au TNS Hall Grüber

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 7 novembre au TNS