La loi de son maître

Première biographie passionnante de Joseph Darnand, chef de la Milice sous le régime de Vichy

Le bois dont on fait les héros est-il également celui qui modèle les traîtres ? A priori non mais avec l’ancien chef de la milice, il semble bien que le moule servit deux fois. Car Joseph Darnand reste une énigme, celle d’une destinée trop vite expédiée dans cette infamie qu’il embrassa assurément mais qui révéla également une complexité faite de contractions. Car comment un patriote aimant profondément son pays a-t-il pu le trahir en s’associant aux pires crimes de son histoire commis sous l’égide du régime de Vichy ? Est-ce pour cela que l’historiographie ne lui a accordé que peu de place parce que l’histoire de France ne pouvait accepter que l’un de ses membres ait pu la servir et la trahir avec la même passion ?


Pour explorer cette part d’ombre que chaque héros porte en lui, ce marbre capable de se fissurer au contact de l’histoire, il nous faut suivre Eric Alary, historien spécialiste de la seconde guerre mondiale et de la collaboration qui, en sculpteur avisé, taille en toute objectivité et à partir de sources neuves et méconnues ainsi que d’archives inexplorées, le portrait de Joseph Darnand.

Darnand c’est avant tout l’histoire d’un homme ordinaire de l’Ain que la Grande guerre va élever au rang de héros. Homme d’action, du coup de poing, il ressort du premier conflit mondial décoré et adulé. « Son courage initial aurait pu le conduire vers un autre destin » écrit ainsi Eric Alary. L’histoire aurait pu en rester là. Intervienta lors ce que l’histoire peine souvent à expliquer : la psyché, les sentiments et les frustrations que cerne parfaitement Eric Alary. Un homme en quête de reconnaissance qui glisse lentement vers le crime organisé durant cet entre-deux guerres des ligues et de la montée des extrêmes avec ses relents antisémites et nationalistes. Un homme que le désir d’ascension aveugla et qui fit sienne l’idéologie d’un maréchal Pétain qu’il vénéra. Voilà le terreau sur lequel grandit le Darnand de la seconde guerre mondiale. En 1942, « il est désormais évident que Darnand est collaborationniste par opportunisme, mais aussi par idéologie » nous dit l’auteur.

Les Allemands, mieux que quiconque, surent séduire cette créature fidèle. « Il n’est toujours qu’un pion que des chefs qui s’affrontent au sommet de l’État placent à l’endroit qui les arrange. Il en est conscient et il en abuse pour une gloire illusoire » pour nous dire que Darnand, loin de subir, choisit son destin. Ce fut alors la course à l’abîme avec l’exécution de ministres juifs comme Jean Zay et Georges Mandel et l’intégration dans la Waffen SS après avoir prêté serment au Führer en novembre 1944. A ce titre, Eric Alary apporte un éclairage intéressant sur la chaîne de commandement qui conduisit à l’assassinat de l’ancien ministre de l’Intérieur, le 7 juillet 1944 dans la forêt de Fontainebleau. Si Darnand ne donna pas l’ordre fatidique, il cautionna l’opération en ne prenant aucunes sanctions contre les meurtriers.

La figure de Joseph Darnand est ainsi l’histoire d’une dérive criminelle dans une époque de convulsions qui ont amené un homme à transiger avec sa conscience par simple opportunisme. Plus qu’un livre brillant, cette biographie constitue également un avertissement : en des temps troublés, sans boussole, les héros peuvent aussi devenir des monstres.

Par Laurent Pfaadt

Eric Alary, Joseph Darnand, de la gloire à l’opprobre
Chez Perrin, 384 p.