8 jours en mai

Le 30 avril 1945, il est 15h30 lorsque retentit un coup de feu dans le bunker de la chancellerie du Reich. Adolf Hitler, Führer de tous les Allemands, responsable de la seconde guerre mondiale et de la Shoah, vient de se suicider. Dehors, les Soviétiques sont aux portes de l’épicentre du Troisième Reich. A 18h35, un télégramme de Martin Bormann, numéro 2 du régime arrive chez l’amiral Karl Dönitz l’informant de sa nomination en tant que président du Reich. 


Karl Dönitz

Ce fameux Reich de mille n’a alors plus que huit jours à vivre. Jusqu’à la capitulation sans condition de la Wehrmacht, le 8 mai à Reims s’ensuivent d’interminables manœuvres pour sauver ce qu’il reste de l’Allemagne et de sa puissance. C’est ce que raconte à merveille Volker Ullrich dans cet essai passionnant de bout en bout et qui se lit d’une traite. Une sorte de page-turner historique où tout est véridique.

L’auteur raconte l’agonie d’une bête blessée à mort qui tente, par tous les moyens et tous les stratagèmes, de survivre. Mais dans le même temps, en se fondant sur une multitude de sources notamment les journaux et les carnets intimes de nombreux acteurs, il survole, tel un aigle dans le ciel européen, l’ensemble de la situation pour suivre tantôt ces SS aux abois qui ignorent que leur Führer est mort et tuant leurs dernières victimes dans les marches de la mort, tantôt la progression des armées alliés, remportant ces inutiles batailles sanglantes où périssent quantité d’adolescents fanatisés par cet autre aigle qui, quatre ans pus tôt, avait mis l’Europe à genoux.

« A la fin de la journée du 30 avril, l’incertitude était donc totale sur la tournure qu’allaient prendre les évènements » écrit ainsi Ullrich. Les sentiments qui prédominent alors à la tête de la Wehrmacht et dans la SS sont emprunts de sidération et d’incrédulité. Goering a été écarté quelques jours auparavant et Himmler qui a tenté de négocier une paix séparée à l’ouest, doit se conformer au choix d’Hitler de nommer Dönitz. L’entrevue entre les deux hommes est d’ailleurs fascinante, Dönitz conservant un pistolet à portée de main au cas où…L’amiral installe son quartier général à Flensbourg, près de la frontière danoise et nomme le comte Schwerin von Krosigk comme chef d’un gouvernement provisoire où l’on retrouve les généraux Keitel et Jodl ainsi que le ministre de l’Armement, Albert Speer. 

Ne se limitant pas à la simple énumération des faits, l’historien allemand entre dans la psyché des acteurs pour nous dévoiler les ressorts de comportements parfois irréels. Car, comme lors de la bataille des Ardennes, quelques mois plus tôt, les dirigeants du Reich tentent de jouer un dernier va-tout, politique celui-là. Ils s’activent pour fracturer le camp allié en voulant signer la paix à l’ouest afin de mieux continuer le combat à l’Est contre l’URSS. Les tractations relatées avec brio par l’auteur resteront vaines mais l’aveuglement de Dönitz causa la mort inutile de nombreux Allemands voire même l’encouragea lorsqu’il décida d’exécuter les jeunes soldats qui avaient fait preuve de plus de clairvoyance que leurs chefs. Et dans le même temps, le lecteur assiste, médusé mais également, il faut le dire, fasciné, au délitement de la société national-socialiste. Il a fallu dix ans pour l’édifier. Huit jours suffirent pour qu’elle s’effondre à l’image d’un Joseph Goebbels, ce chancelier de 24 heures qui se suicide avec femme et enfants.

En alliant une prodigieuse érudition qui entre dans les moindres détails comme celle du suicide d’Hitler et de la crémation de son cadavre, presque heure par heure, à un rythme narratif qui fait penser aux historiens anglo-saxons, entre vision panoramique et arrêts sur images, Volker Ullrich réussit le double pari de nous donner à comprendre ces quelques jours d’incertitudes marquant la jonction entre la fin d’une Allemagne et le début d’une autre en même que de composer une fresque sur laquelle de futurs écrivains trouveront matière à un récit tout aussi exceptionnel. Assurément l’un des meilleurs livres d’histoire de cette année 2023.

Par Laurent Pfaadt

Volker Ullrich, 8 jours en mai, L’effondrement du IIIe Reich, traduit de l’allemand par Denis-Armand Canal
Chez Passés composés, 352 p.