Anatomie d’un monstre

© Musée de la Révolution française, Vizille, Photo RMN-Grand Palais - M. Bellot
© Musée de la Révolution française, Vizille, Photo RMN-Grand Palais – M. Bellot

 

L’historien Jean-Clément Martin déconstruit le mythe de Robespierre 

Trop longtemps la figure de Robespierre a été soit
mythifiée, soit diabolisée. A lui seul, il a personnifié la dérive totalitaire, sanglante d’une Révolution française qui a fini par dévorer, tel Saturne, ses propres enfants.

D’emblée, Jean-Clément
Martin, professeur émérite à la Sorbonne prévient son lecteur : « Pour Robespierre, la Révolution n’est pas terminée ». S’attaquant à cette légende noire entretenue par de nombreux intellectuels pour mieux la décortiquer, l’auteur révèle ainsi dans sa biographie
l’homme derrière la statue et met en lumière les failles, les
arrangements intellectuels de l’Incorruptible.

Souvent tout mythe s’accompagne d’une prédestination, toute
destinée semble avoir été tracée dès le berceau. Pour celui qui fut orphelin de mère à 6 ans et abandonné par son père, rien de tel. A la veille de la Révolution et durant les premiers mois de ce grand bouleversement, Robespierre n’est qu’un inconnu parmi la cohorte de nouveaux députés qui siègent aux Etats généraux puis à  l’Assemblée constituante. Ecrasé par les figures de Marat, Danton ou
Desmoulins, il s’implique peu dans les bouleversements de cette
première année.

Son positionnement stratégique dans le Club des Jacobins dont il prend la tête entre attente silencieuse et radicalité le propulse sur le devant de la scène. « Il va devenir tout à la fois le censeur intransigeant et craint de la Révolution, le responsable désigné de toutes les violences et le guide désavoué par ses propres troupes » écrit ainsi l’auteur pour
décrire la situation complexe dans laquelle se trouve Robespierre.

Cette place l’obligea à mener plusieurs combats quitte à adopter des positions antagonistes. Ainsi, il hésita sur la guerre ou sur la mort du roi. L’auteur montre également que Robespierre fut un animal
politique, luttant habilement contre Danton, les Girondins tout en attendant patiemment son heure qui arriva en juillet 1793. Ce qui ressort de l’ouvrage, c’est que loin d’être un monstre ou un demi-dieu, Robespierre demeura un acteur politique de la Révolution française parmi tant d’autres, avec ses hésitations, ses compromis – l’auteur se plaît d’ailleurs à souligner son absence de pensée
structurée –  ses manœuvres dont il ne perçut pas toujours les répercussions. Et en bon stratège politique, il sut se saisir du pouvoir au gré de circonstances favorables.

« Il fut incontestablement l’un de ceux qui inventèrent la Révolution, mais il le fit, comme tous, sans en être totalement conscient, le plus souvent sans en maîtriser les réalisations, encore moins les conséquences » écrit Jean-Clément Martin. Tout s’acheva, comme on le sait, le X
Thermidor 1794. Sa légende noire naquit sur un échafaud encore tiède car il fallait trouver un bouc-émissaire à la dérive fanatique de la Révolution et que Robespierre, dont les vies publique et privées se confondaient, représentait le candidat idéal. Ainsi naissait le monstre qui, après plus de deux siècles de purgatoire dont l’a sorti Jean-Clément Martin, se révéla finalement être d’une banalité
terriblement humaine.

Jean-Clément Martin, Robespierre, la fabrication d’un monstre,
Perrin, 2015.

Laurent Pfaadt