Atalante et l’empereur

La Vierge néerlandaise de l’écrivaine néerlandaise Marente de Moor arrive enfin en France. Préparez-vous à affronter l’un des meilleurs livres de cette rentrée littéraire


Atalante fut une héroïne, la seule femme des Argonautes engagée dans la quête de la Toison d’or. Cette peau de bélier dorée a aujourd’hui été revêtue par Katharina Loix van Hooff, ancienne éditrice du domaine étranger de Gallimard qui vient de fonder une nouvelle maison d’édition baptisée justement Les Argonautes. Bien décidée à gravir l’Olympe de la littérature européenne, notre Athéna de l’édition a décidé de lancer sa première guerrière, la néerlandaise Marente de Moor, autrice mondialement connue mais qui, paradoxalement, n’avait jamais été traduite en français.

L’Atalante de La Vierge néerlandaise se nomme Janna, jeune femme de dix-huit ans envoyée par son père à Aix-la-Chapelle, l’ancienne capitale de Charlemagne, auprès d’un vieux maître d’armes, Egon von Bötticher, pour y apprendre le fleuret. Débute alors une histoire d’amour entre deux êtres que tout oppose à commencer par l’âge dans une sorte de remake de la Belle et la Bête. Bötticher sera son Jason, héros d’un monde antique aux valeurs d’airain mais périmées. Son prince Bolkonsky de ce Guerre et Paix qui l’accompagne partout notamment dans cet entre-deux guerres et paix. Son empereur dans ce royaume hors du temps. Son pygmalion de l’épée dont elle sera le fourreau.

Lancée dans la quête de cette Toison d’or de papier, ces lettres échangées entre son père médecin et Egon von Bötticher pendant la Première guerre mondiale et dont le mystère de la relation parcourt le livre à coups de parades et de ripostes, notre Atalante trouva sur sa route quelques compagnons, ces Dioscures sabreurs, Friedrich et Siegbert, ou « la loutre », sorte d’Echion allemand conteur d’aventures du vieux Bötticher. D’ailleurs, la gémellité traverse, de part en part, ce livre. Une gémellité séparée de miroirs. Il y a les vrais jumeaux qui finissent, dans l’amour et le combat, par se dissocier de part et d’autre de leurs sabres. Les faux jumeaux Egon von Bötticher et son ami Jacq, le père de Janna, séparés par ces miroirs de papier entre progressisme et romantisme. Les jumelles du fleuret enfin, Janna et Hélène Mayer, la championne olympique, sorte de Médée trahissant les idéaux de Bötticher, qui finissent par s’affronter dans un duel onirique.

Marente de Moor construit ici un magnifique roman d’apprentissage avec une jeune femme qui découvre l’amour et l’adversité de la vie. Avec son style perforant comme un fleuret, à la fois sec et plein de poésie, elle fait de l’escrime la métaphore d’une vie coincée entre deux mondes, entre deux guerres, entre monstres d’une guerre passée et créatures d’une guerre à venir. La vierge néerlandaise, symbole des Pays-Bas, est aussi un roman sur la fin d’une époque, celle où la mort se voulait héroïque et non industrielle. Atalante finira par ramener la Toison d’Or chez elle. Lors de leur voyage retour, les Argonautes passèrent par le Rhin avant de faire demi-tour. Retenons-les un peu avec ce superbe roman.

Par Laurent Pfaadt

Marente de Moor, La Vierge néerlandaise
Les Argonautes éditeur, 352 p.