Après six mois d’une guerre entre Israël et le Hamas débutée après le massacre du 7 octobre 2023, une bande de Gaza transformée en un cimetière à ciel ouvert où reposent pêle-mêle, des dizaines de milliers d’enfants palestiniens, près de deux cents humanitaires et une centaine de journalistes venus de nombreux pays, où sévit la famine et où personne ne peut fuir, des clés de compréhension s’avéraient nécessaires.
Dans
ce court essai fort pertinent, Michel Goya, ancien militaire et docteur en
histoire propose une analyse dépassionnée et fondée sur des données factuelles
tout en la traitant sur le temps long. A l’instar ce qu’il a réalisé dans un
ouvrage consacré à l’Ukraine (L’ours et le renard, une histoire immédiate de
l’Ukraine, avec Jean Lopez, Perrin, 352 p.), il s’attache ainsi à décrire
le fait militaire à l’œuvre dans la bande de Gaza entre l’État d’Israël et les
mouvements palestiniens depuis 1967 à Gaza mais plus encore depuis la fondation
du Hamas en 1987, ce mouvement terroriste qu’Israël favorisa pour diviser un
mouvement palestinien qu’il pensait alors écraser plus facilement.
Face
à la guerre asymétrique conduite par le Hamas, Israël mena ainsi des opérations
de police plus qu’une véritable guerre. Des opérations de police visant à
réduire, à écraser, à éliminer toute menace. C’est ce qu’il appelle
« tondre le gazon ». Et qu’à force de répéter cette tactique,
celle-ci viendrait à bout du Hamas. Mais ce dernier ne fit que renaître en
permanence. Et Israël s’est épuisé. Le 7 octobre a fait volé en éclats cette
stratégie car pour la première fois le Hamas a porté la guerre, sa guerre, sur
le sol israélien. Ni une barrière de sécurité, ni des décennies d’occupations
militaires et d’assassinats ciblés n’ont pu l’éviter. L’attaque du 7 octobre a
ainsi cruellement démontré l’échec de cette stratégie menée notamment par le
Premier ministre, Benjamin Netanyahou.
Michel Goya montre ainsi qu’Israël, cumulant de nombreuses erreurs stratégiques, s’est enfermé dans un piège. Emprunt d’un profond fatalisme où toute perspective de paix durable semble lointaine, voire impossible, l’essai de Michel Goya est une amère constatation de la fuite en avant des deux belligérants qui fabriquent aujourd’hui les ennemis de demain. Mais demain est un autre jour qui paraît bien lointain.
Par Laurent Pfaadt
Michel Goya, L’embrasement, comprendre les enjeux de la guerre Israël-Hamas Perrin/Robert Laffont, 240 p.
Pour le 700ème opus de sa collection Essais, Folio a choisi une réflexion sur l’histoire et plus particulièrement celle de Thomas Hobbes. L’histoire justement, celle des idées politiques, a retenu de ce dernier le Léviathan, traité politique paru en 1651 et Du citoyen (1642-1647)
Dans
ces deux textes inédits en français et tirés d’articles écrits par Hobbes et
Lord William Cavendish dont Hobbes fut le précepteur, le penseur anglais
s’appuie sur l’histoire romaine, et plus particulièrement sur Tacite pour
avancer ses idées qui constitueront la matrice du Leviathan à savoir la
souveraineté et la puissance politique.
A cette époque, l’étude et la connaissance de l’histoire étaient à la base de la formation humaniste de tout noble ou aristocrate. Car l’histoire ne devait pas seulement servir d’exemple mais permettre d’appréhender les changements politiques qui s’opéraient et notamment dans cette Angleterre pré-révolutionnaire. Précédés d’une longue introduction de Jauffrey Berthier, maître de conférences en philosophie politique à l’université de Bordeaux et Nicolas Dubos, lui-aussi universitaire et auteur d’un ouvrage consacré à Hobbes qui recontextualisent, ces deux textes constituent de précieux inédits pour comprendre la pensée de l’un des plus influents philosophes de l’histoire européenne des idées.
Par Laurent Pfaadt
Thomas Hobbes, William Cavendish, Discours sur l’histoire Folio Essais, 272 p.
L’historienne
Julie d’Andurain signe un ouvrage de référence sur l’histoire des troupes
coloniales
Marsouins,
tirailleurs, goumiers, bigors ou zouaves. Ces noms qui nous disent vaguement
quelque chose renvoient à un passé colonial et une époque où la France agrégea
sous son autorité des combattants issus du monde entier. Des noms croisés dans
nos manuels scolaires et venus d’une époque révolue et parfois oubliée à
dessein. Mais les tirailleurs sénégalais et autres indigènes sont revenus ces
dernières années, hanter notre mémoire collective notamment par le biais du
cinéma, si bien qu’un ouvrage s’avérait salutaire pour y voir plus clair. Julie
d’Andurain, professeur à l’université de Lorraine à Metz et autrice d’un
Gouraud très réussi, s’est emparée de cette lanterne pour produire la première
histoire militaire et politique des troupes coloniales et tenter de nous
éclairer.
Dans
un propos clair, concis et très approfondi, l’autrice détaille ainsi la lente
structuration des troupes coloniales au sein de l’armée métropolitaine, puis
son absorption à cette dernière selon deux périodes quasi équivalentes. De
1880 à 1920, la conquête coloniale constitua ainsi un âge d’or des troupes
coloniales. C’est l’époque des explorations, des expéditions financées par des
fonds privés, soutenues par un puissant lobby parlementaire à travers les
figures d’Eugène Etienne, député d’Oran et Albert Sarraut, plusieurs fois
ministre notamment des colonies, et appuyées sur des organes de presse qui
formèrent ce qu’on appela le parti colonial. Une vision politique qui amène
l’autrice à détailler une pensée coloniale qui ne fut pas unie, loin de là, et
s’analyse selon les armes et les régiments avec cependant une constante :
le rôle du commandement. Parmi ces chapelles idéologiques, celle de
l’indigénisme qui eut notamment pour promoteur le général Charles Mangin,
concepteur de la fameuse force noire, l’intégration des troupes africaines à
l’armée française qui s’illustra notamment au chemin des Dames, en avril 1917
lorsque près de 7 000 tirailleurs périrent dans la désastreuse offensive. Mais
nous rappelle Julie d’Andurain, « la rencontre entre Charles Mangin et
le projet d’armée noire relève donc d’un contexte global, non d’un projet
personnel »
Un
contexte qui, passé l’hécatombe d’une Grande Guerre qui mobilisa près de 600
000 indigènes, ouvrit la seconde période, celle du reflux et de l’absorption
des troupes coloniales dans l’armée métropolitaine. A partir de 1923 puis sous
le cartel des gauches qui voulait « tuer la guerre », les choses
évoluèrent. Dans les colonies, les administrateurs ont remplacé les officiers.
Les régiments algériens et marocains allaient se battre durant le second
conflit dans l’armée métropolitaine avant que la décolonisation n’enterre
définitivement les troupes coloniales en les reléguant à des corps d’élite.
Avec ce livre, Julie d’Andurain raconte ainsi une histoire de France à travers la « coloniale », de la IIIe République qui la glorifia avec ses héros (Lyautey, Galliéni, Gouraud) à la Cinquième qui en fit le deuil. Une histoire politique, sociale, culturelle, patrimoniale mais également une histoire de la géographie de la France et de son Empire où l’on apprend une multitude de choses comme par exemple que le Sahara fut déjà, dans les années 20 et bien avant l’arme nucléaire, le terrain des expérimentations militaires avec l’aviation dans le ciel marocain. Une histoire qui résonne encore aujourd’hui dans ce mythe de la puissance perdue qui nous a conduit à mener certaines guerres sur le continent africain. Une histoire où faire le zouave avait encore un sens.
Par Laurent Pfaadt
Julie d’Andurain, les troupes coloniales, une histoire politique et militaire Passés composés, 400 p.
A lire également :
Julie d’Andurain, le général Gouraud : un destin hors du commun, de l’Afrique au Levant Chez Perrin, 2022
Dwight Myers aurait dû sen douter : les criminels ont toujours un ego surdimensionné et cherche en permanence des adversaires à leur taille. Et s’il pensait en fuyant le LAPD pour la petite ville californienne de Bakersfield après une vie personnelle gâchée, qu’il pourrait mener une existence tranquille, il a vite déchanté lorsque son bip a signé le début d’un nouveau cauchemar.
Eden,
une gamine de onze ans surdouée, vue pour la dernière fois au moment de prendre
ce bus qu’elle laissa filer, vient de disparaître. Eden qui ressemble à sa
fille Nancy. Pour l’instant, le polar est assez classique, le profil du flic
somme toute assez commun. C’était sans compter notre auteur, modeste
journaliste sportif breton qui signe là son premier roman. Sa mise en scène est
très réussie avec sa dimension cinématographique. On s’y attend mais on la
veut. C’est comme regarder un thriller à la télé avec Morgan Freeman ou Woody
Harrelson.
On
sait donc à quoi s’attendre. On imagine Myers, 33 ans, beau gosse cabossé façon
Mark Wahlberg, Megan Bailey, la journaliste en Eva Mendes avec ses cheveux
châtains et sa peau hâlée. Des flash-backs de disparitions d’autres enfants
insérés donnent un petit côté Mindhunter. Et puis l’astuce de Penalan
est de ne rien révéler jusqu’au bout. Donc on avale les pages en attendant la
confrontation finale.
On pense s’attendre à tout. Les jours passent, l’espoir se réduit, d’autres meurtres interviennent, des pistes se refroidissent, des parents suspectés, des interrogatoires avec des glaces sans teint. Et Eden qui s’est volatilisée tandis que Myers commence à vaciller. Au milieu de la nuit vient alors l’épilogue, inattendue. Eh oui, c’est toujours pareil avec les bons polars. On pense être plus malin et puis non. Alors on respire un bon coup. On laisse Myers repartir dans sa Ford Crown Victoria. Quelque chose nous dit qu’il reviendra, un peu plus cabossé. Car d’autres criminels à l’intelligence machiavélique se cachent, tapis, dans l’ombre de nos sociétés. Face à eux, des adversaires redoutables, tapis, eux, dans l’imaginaire d’auteurs comme Christophe Penalan. Ça promet.
Par Laurent Pfaadt
Christophe Penalan, Eden. L’affaire Rockwell, coll. Chemins nocturnes Aux éditions Viviane Hamy, 384 p.
Le directeur musical du National Symphony Orchestra de Washington que dirigea en son temps Mstislav Rostropovitch, et chef invité du London Symphony Orchestra, Gianandrea Noseda, nous propose une intégrale des symphonies de Beethoven enregistrées en public entre janvier 2022 et juin 2023. Au regard de ses interprétations remarquées et très bien construites de celles de Chostakovitch, cette intégrale de l’œuvre symphonique du génie de Bonn a évidemment piqué notre curiosité.
Et
il faut dire que le résultat est à la hauteur des attentes. Car il est
difficile de tirer son épingle du jeu de la multitude d’interprétations qui
conjuguent merveilles et fiascos. Ici, Noseda s’en tire très bien en proposant
une approche singulière de chaque symphonie qui correspond d’ailleurs à la
réalité d’un compositeur à l’humeur changeante et à celle d’époques
radicalement différentes. Pas d’idéologie donc. On ne joue ainsi pas l’héroïque
comme la pastorale, on ne traite pas les symphonies dites « féminines »
comme les « masculines ». Les féminines sont d’ailleurs approchées
avec beaucoup d’égards, presque de « courtoisie musicale » où le chef
déploie des trésors de romantisme pour séduire sa partition. Eh oui, on n’est
pas italien pour rien ! Dans la 8e symphonie, Noseda a
d’ailleurs choisi de rester classique, de la concevoir comme un hommage à
Haydn.
Les
7e et 5e symphonies sont plus viriles, le chef veut, à
raison d’ailleurs, en faire des héroïnes avec leurs énergies respectives qu’il
libère sans verser toutefois dans l’anarchie. Il les transforme en Spartiates
aux Thermopyles luttant contre la fatalité avec ses effets sonores parfaitement
maîtrisés et des entrées solides et réussies. Noseda délivre alors son Molon
labe, son « Viens les prendre » pour citer Leonidas face
aux Perses qui lui demandaient de déposer les armes dans le finale de la
cinquième, accompagné de percussions d’airain et de cuivres transformés en
bardes.
L’apothéose est atteinte avec la 9e symphonie, majestueuse comme enveloppée dans son hermine harmonique. On se croirait dans une cathédrale en plein couronnement avec un prodigieux Washington Chorus. Haendel était quelque part dans l’assistance. Il a versé quelques larmes. Il peut, le nouveau roi d’Italie vient d’entrer.
Par Laurent Pfaadt
Beethoven, complete symphonies, National Symphony Orchestra, The Kennedy Center, dir. Gianandrea Noseda Coffret 5 Cds, NSO Media label
Horace
Vernet était à l’honneur d’une importante rétrospective au château de
Versailles et d’une monographie passionnante
Nous
l’ignorons mais Horace Vernet est en permanence avec nous. Dans les musées.
Dans nos livres scolaires. Sur les couvertures de romans. Mais surtout dans nos
têtes, parfois même sans le savoir, sans que l’on connaisse son nom. Tous les
Français qu’ils soient de naissance, d’adoption ou de coeur ont grandi et
vivent avec ses tableaux devenus des images familières qui ont fait de nous des
citoyens.
Plus
qu’aucun autre peintre, Horace Vernet représenta l’histoire de France. Peintre
des batailles pour reprendre le titre d’un roman d’un célèbre écrivain
espagnol, il est celui de Fontenoy, de Bouvines, du pont d’Arcole, de Valmy, de
Iéna. Placé devant elles, le visiteur ne peut que s’émouvoir, se sentir, devant
ces grands formats, écrasé par le poids de l’histoire.
Né
en 1789, quinze jours avant la prise de la Bastille, comme un présage, Horace
Vernet trouva vite en Théodore Géricault un mentor dont il réalisa le portrait
et avec qui il partagea la passion des chevaux comme ceux, magnifiques de la
Chasse au lion au Sahara (1836) de la Wallace collection. Du cheval au
cavalier et au roi, il n’y eut qu’un pas ou un saut que Vernet effectua
allègrement. Et pour célébrer ce roi de la peinture historique, Versailles
convoqua, le temps d’une exposition, à la cour, nobles venus de provinces avec
leurs plus beaux présents picturaux, diplomates étrangers arrivés des
Etats-Unis, d’Allemagne, d’Italie ou de Lettonie et illustres inconnus avec ces
tableaux issus de collections particulières à l’instar de La mort du prince
Poniatowski à la bataille de Leipzig (1816). Tous ces visiteurs venant
rejoindre ces Princes du sang et de la peinture installés dans la galerie des
batailles.
La
parade picturale pouvait donc commencer avec ces tableaux qui se regardent en
cinémascope. Sur grand écran. Le spectateur est immédiatement happé et plongé
dans le décor. Il devient, consciemment ou à son insu, un personnage à part
entière de l’œuvre. Comme dans L’Enlèvement d’Angélique (1820) où il
semble impuissant à pouvoir empêcher le rapt.
La
scénographie versaillaise amène tout naturellement le visiteur vers les salles
d’Afrique aménagée par le roi Louis-Philippe pour célébrer les victoires de
l’armée française. Horace Vernet s’y déploie en majesté pour y célébrer cette
autre majesté, le duc d’Aumale, 4e fils de Louis-Philippe dont il
fut proche notamment dans la monumentale Prise de la smalah d’Abd-el-Kader
par le Duc d’Aumale à Taguin (1843-1845). Avant cela, la toile inachevée de
La prise de Tanger (1847) commandée par Louis-Philippe pour la salle du
Maroc permet d’appréhender la technique de l’artiste : peindre en coin ou
sur un côté. Comme une bataille qui se gagne par les flancs.
D’une
maîtrise assez impressionnante – on raconte qu’il était capable de réaliser un
portrait en une seule séance de pose, d’un seul jet de pinceau – Vernet allait
ainsi faire des merveilles en racontant l’histoire de France. Son portrait de
Laurent, Marquis de Gouvion-Saint-Cyr, maréchal de France (1764-1830) en1824 est emprunt d’un clair-obscur tout à fait remarquable avec ses reflets
sur les broderies de l’uniforme du militaire. Et qu’il s’agisse de ses tableaux
monumentaux ou de petits formats, Horace Vernet reste fascinant dans le soin
apporté aux détails. Chaque visage de la multitude de soldats de ses batailles
titanesques apparaît différent, avec, à chaque fois, une expression unique.
Ce
souci du détail se combine à une peinture vivante, toujours en mouvement. Les
épaulettes brillantes du militaire dans le Siège de Saragosse (1819)
semble sortir de la toile. L’habit blanc du combattant à cheval dans Le
combat de la forêt de l’Habra, le 3 décembre 1835 (1840) semble virevolter
dans les airs.
C’est
ce qui a permis une immédiate identification avec l’histoire de France, cette
façon qu’il a eu de la rendre vivante et le permettre à tous de se
l’approprier. « Pour Vernet, le récit était essentiel : tout était
sujet à tableau » estime Valérie Bajou, conservatrice générale au
musée national des châteaux de Versailles et de Trianon dans le magnifique
catalogue qui accompagne l’exposition et tient lieu de monographie de
référence. Margot Renard, post-doctorante en histoire de l’art à l’université
de Gand, explique d’ailleurs cette alchimie par la rencontre d’un peintre et de
son époque allant même jusqu’à dire au sujet de son rapport à Napoléon que
« le rôle de Vernet dans l’élaboration de la postérité napoléonienne
est majeur, au point de pouvoir l’envisager comme le créateur de Napoléon
Bonaparte ». Louis-Philippe dont Horace Vernet fut proche, demeura
l’artisan politique de la réhabilitation et de l’intégration de l’empereur et
l’Empire au récit national avec notamment le retour des cendres de Napoléon en
1840. Les tableaux des batailles de Iéna, de Friedland, de Wagram peintes en
1836 et son célèbre Napoléon sur son lit de mort (1826) participèrent
également de cette réhabilitation.
Cette proximité du pouvoir lui permit d’accéder à des fonctions importantes : colonel de la garde nationale, il combattit les insurgés de 1848 pour défendre son roi. Directeur de l’académie française à Rome, il fut ensuite élu à l’académie des beaux-arts, le 24 juin 1876, devenant ainsi immortel et entrant définitivement dans nos récits nationaux.
Par Laurent Pfaadt
Horace Vernet (1789-1863), sous la direction de Valérie Bajou, château de Versailles/éditions Faton, 448 p.
Une
très belle exposition du musée d’art et d’histoire du judaïsme complétée d’un
livre de photos nous font revivre l’atmosphère unique et à jamais perdue de la
cité grecque
Il
est des villes qui portent en elles la promesse d’un voyage, d’un fantasme. Des
villes-monde. Odessa, Trieste, Salonique. Cité à la croisée des chemins entre
Mitteleuropa et Méditerranée, elle a vu naître les grands saints de l’Église
slave, Cyrille et Méthode, Mustapha Kemal, futur Atatürk ou le grand-père de
Nicolas Sarkozy.
Paul Zepdji @mahj
Elle
personnifia jusqu’à sa destruction par les nazis en 1943 une utopie
multiethnique de communautés vivant en harmonie, les unes à côté des autres,
les unes avec les autres. On s’entendait pour fermer le samedi et lors des
fêtes juives. C’est ce que montre à merveille l’exposition du musée d’art et
d’histoire du judaïsme de Paris. S’appuyant sur la donation photographique de
Pierre de Gigord, collectionneur passionné de l’Empire Ottoman, dont elle a
tiré cent cinquante clichés des photographes de la ville, Paul Zepdji à la fin
du XIXe siècle puis Ali Eniss, drogman au consulat d’Allemagne de la ville,
l’exposition retrace ainsi merveilleusement un demi-siècle de la vie de cette
communauté juive venue s’installer ici après avoir fui les persécutions
espagnoles du XVe siècle.
Entre
ces murs bâtis par les Romains et où demeure toujours l’arc de Galère, cet
empereur du début du IVe siècle tombé sous le charme de la cité, photographié
par Zepdji et devenu la porte de ces civilisations qui construisirent avec
leurs fils et leurs filles notamment juifs la légende de la ville, le visiteur
est invité à entrer dans cette dernière. A l’aide de plans fort précieux,
l’exposition montre ainsi la division de Salonique en trois quartiers
(chrétien, juif et musulman avec une forte proportion de sabbatéens, ces juifs
convertis à l’Islam). Ces derniers prennent ensuite vie sur ces tirages
effectués d’après les négatifs sur verre qui emmènent les visiteurs dans ces
rues nimbées de la mémoire des civilisations passées, celle des Byzantins, des
Sarrasins, des Croisés, des Ottomans, des Juifs et qui maquillèrent leur
architecture byzantine-ottomane de cet art déco arrivé au début du 20e
siècle. Ces clichés prennent des airs de voyage dans le temps. On a
l’impression de capter les odeurs de poisson du port, d’entendre les rires des
enfants place de l’Olympe ou de croiser des clients sortant du Splendid Palace
ou des cafés.
Les juifs majoritairement séfarades, représentèrent jusqu’à 50 % de la population. Ils sont là sur ces clichés, tantôt en costumes traditionnels, tantôt représentés en portefaix mais l’œil du visiteur qui s’attarde avec nostalgie devant ces photographies se remplit de quelques larmes devant ce monde qu’il sait disparu, d’abord dans les flammes de l’incendie de 1917 qui défigurèrent définitivement cette ville à nulle autre pareille et où près de la moitié des trente-trois synagogues furent réduites en cendres. Puis dans cet autre incendie qui allait, un quart de siècle plus tard, consumer l’Europe entière.
Par Laurent Pfaadt
Salonique, la Jérusalem des Balkans, jusqu’au 21 avril 2024, Musée d’art et d’histoire du judaïsme, 1870-1920, Paris 3e
A lire le très beau catalogue signé Catherine Pinguet, Salonique, 1870-1920 CNRS éditions, 172 p.
La
collection des Mondes anciens achève sa trilogie sur la Grèce antique avec un
magnifique volume consacré à la Grèce hellénistique
Coincée
entre la Grèce classique et l’Empire romain, entre Périclès et Hadrien, la
Grèce hellénistique apparaît comme une période transitoire. Il y eut bien
évidemment la parenthèse Alexandre le Grand mais après 323 av. J-C, la Grèce
hellénistique semblait devoir demeurer l’épitaphe d’un monde finissant avant
l’émergence puis l’apogée d’un nouveau. Une croyance que démonte ce nouveau
volume de la collection des mondes anciens qui vient refermer la trilogie
consacrée à la Grèce antique.
La
Grèce hellénistique constitua une époque avant tout marquée par une
fragmentation politique surtout après la mort d’Alexandre le Grand et la
division de son empire entre ses lieutenants. Des grandes batailles d’Alexandre
au Granique (334 av. J-C) ou à Issos (333 av. J-C) face au roi perse Darius
III, aux luttes incessantes et moins connues mais non moins passionnantes entre
les anciens lieutenants du grand conquérant et leurs successeurs comme à
Raphia, près de Gaza en 217 av. J-C durant les guerres de Syrie (274-168 av.
J-C) où Ptolémée IV affronta Antiochos III, le livre rend éminemment
compréhensible les enjeux géopolitiques grâce à des cartes extrêmement
pertinentes qui permettent de mesurer l’importance de cette reconfiguration
civilisationnelle qui ne prit véritablement fin qu’avec l’intégration de
l’Égypte des Lagides à la République romaine finissante. Dans cet art de la
guerre qui se transforma avec une phalange devenue légion et l’émergence d’une
nouvelle thalassocratie, les auteurs analysent parfaitement ces sociétés
militarisées en s’aventurant grâce aux découvertes archéologiques dans la cité
pour montrer justement la construction d’une armée royale appuyée sur des clans
ainsi que l’évolution de l’urbanisme, du commerce et d’une vie quotidienne où
perdura l’esclavage grec classique.
Une
riche iconographie procurant comme à chaque fois avec les volumes de cette
collection, un plaisir non dissimulé,
ménage des pauses avec ces focus sur l’autel de Pergame, monument emblématique
du baroque hellénistique et qui figura un temps parmi les sept merveilles du
monde, sur la victoire de Samothrace édifiée à la suite de la bataille de Cos
(262/261 avant J-C) remportée par les Antigonides sur les Lagides et bien
évidemment sur la Venus de Milo, chef d’œuvre de la statuaire grecque. Ces
trésors permettent ainsi de prendre conscience que cette période développa une
intense activité artistique tant dans la réalisation de monuments que dans la
production d’oeuvres littéraires avec Polybe ou Pline l’Ancien, premiers
propagandistes de cette nouvelle civilisation qui s’inscrivit dans la
continuité des derniers feux de la Grèce comme civilisation prédominante de la
Méditerranée. Car le livre montre également que la Grèce hellénistique ne se
réduisit pas aux frontières des royaumes grecs mais s’étendit jusqu’au sud de
l’Égypte et au Proche-Orient des Nabatéens de Petra et de Jésus.
Victoire Samothrace
Le
livre explique ainsi très bien cette continuité avec la Grèce classique puis
son influence sur Rome et son empire. Comme un passage de témoin
civilisationnel. Une continuité qui se manifesta dans la transmission de
l’hellénisme, ce courant politique, philosophique et artistique qui se diffusa
au sein des élites romaines, de Scipion l’Africain à l’empereur Hadrien. « Le
destin de l’hellénisme apparaît paradoxal : sa pérennité tient à son
adoption par les élites romaines, victorieuses des cités et des rois
hellénistiques » écrivent ainsi les auteurs. Un hellénisme marqué
notamment par l’éphébie, ce temps d’instruction civique et militaire très prisé
de certains généraux romains. Un hellénisme qui survécut à la chute de Rome et
que les auteurs convoquent via des représentations tirées du Moyen-Age, de la
peinture baroque et du cinéma pour mieux illustrer leur propos.
Livre politique, archéologique et sociologique, la Grèce hellénistique offre ainsi une plongée passionnante dans une époque charnière de l’Antiquité faite de ruptures et de continuité. « Et Rome, unique objet d’un désespoir si beau, du fils de Mithridate est le digne tombeau » écrivit Racine dans sa pièce Mithridate, ce roi du Pont défait par le général romain Pompée. Un tombeau qui allait devenir berceau.
Par Laurent Pfaadt
Christophe Chandezon, Catherine Grandjean, Gerbert-Sylvestre Bouyssou, La Grèce hellénistique et romaine, d’Alexandre à Hadrien (336 avant notre ère – 138 de notre ère) coll. Mondes anciens, Belin, 816 p.
A lire également : Laurent Gohary, Scipion l’Africain, Realia/Les Belles Lettres, 416 p.
On avait quitté Cortès et les membres de son expédition lors de la rébellion de Tenochtitlan qui faisait suite au massacre du Grand Temple par les troupes de José de Alvarado, le 22 mai 1520. Hernan Cortès était alors absent. A son retour, il découvrit le chaos et des Aztèques bien décidés à chasser les conquistadors. Un chaos magnifiquement retranscrit dans cette deuxième partie de la BD que Christian Chavassieux et Cedric Fernandez consacrent au célèbre conquistador.
Grâce
à un scénario bien en place toujours narré par La Malinche, appelée tantôt
Malintzin ou Dona Marina, la compagne de Cortes qui lui donna un fils, le récit
avance comme un sillon tracé entre les deux fanatismes, espagnol et aztèque,
comme un sentier vers ce nouveau monde, cette nouvelle civilisation à venir.
Cette dernière se matérialisera dans ce cœur du monde unique, celui du fils de
Cortès et de la Malinche. Un nouveau monde tout en fureur et en mouvement, aux
couleurs éclatantes, aux reflets de feu et de sang dans ces batailles
terribles, de bleus et de verts dans ces costumes et parures aztèques de toute
beauté.
Avançant vers le dénouement de la conquête de l’empire aztèque avec la prise de Tenochtitlan, le 13 août 1521 qui deviendra bientôt Mexico, les auteurs parviennent à construire un Cortès ambivalent, à la fois cruel et magnanime, homme de la couronne espagnole en quête d’or et visionnaire d’un monde métissé que vient d’ailleurs confirmé le traditionnel et précieux cahier historique placé, comme à chaque fois dans cette collection, en fin d’ouvrage, permettant ainsi de contextualiser cette bande-dessinée très réussie.
Par Laurent Pfaadt
Christian Chavassieux, Cédric Fernandez, Cortès Tome 2 – le Cœur du monde unique Glénat, 56 p.
Un
magnifique ouvrage revient sur l’histoire d’AC/DC. De quoi préparer leur venue
en France
Voilà
plus d’un demi siècle qu’ils nous convient en enfer via leur autoroute musicale
rythmée par le tocsin de leurs tubes. Cinquante ans plus tard alors qu’ils
reviennent en France pour leur unique concert à l’hippodrome Longchamp, il
devenait plus que nécessaire de se replonger dans le livre que Philippe
Margotin consacra à AC/DC à l’occasion du demi-siècle d’existence du groupe.
Tout
commence en 1973 en Australie. Deux frères d’origine écossaise, Malcolm et
Angus Young fondent ce qui deviendra l’une des formations les plus mythiques de
ce demi-siècle musical. La petite histoire raconte que c’est la sœur des
frères Young, Margaret qui, en voyant AC/DC « alternating current/direct current » (courant alternatif/courant
continu) sur un aspirateur eut l’idée du nom. Le 31 décembre 1973, influencé
par Slade et Alice Cooper notamment, le groupe donne son premier concert puis,
deux ans et demi plus tard, après avoir signé chez Atlantic Records, sort en
Europe, le 30 avril 1976, son premier album, High Voltage, prélude à
leur conquête du vieux continent. Il contient déjà quelques-uns de leurs
innombrables tubes : TNT, The Jack etIt’s a long way to
the top (If you wanna Rock n roll) que reprendra Metallica lors de
l’ouverture de leurs tournées. La déferlante ACDC est en route. Elle ne
s’arrêtera pas et continue toujours.
Les
albums s’enchaînent, Powerage (1978) qui matérialisa le passage au hard
rock, Highway to hell (1979) qui leur offrit la renommée mondiale, Back
in black (1980), For Those About to Rock
(We Salute You) en 1981, The Razor’s Edge (1990)
qui resta un an et demi dans les classements américains. Mais également les
tubes sur lesquels le livre revient abondamment en convoquant l’anecdote, la
petite histoire comme cette cornemuse sur It’s a long way to the top (If you
wanna Rock n roll) jouée par Bon Scott, une chanson que Brian Johnson
refusa toujours d’interpréter. Tout comme ces concerts, du Marquee, le temple
du rock anglais, à l’été 1976 au Madison Square Garden de New York en 1998. En
France où le groupe est venu à plusieurs reprises notamment au Pavillon de
Paris le 9 décembre 1979, l’accueil a toujours été incroyable. Pour preuve, les
50 000 places du concert du 13 août prochain se sont vendus en trois heures.
Cinquante plus tôt, en 1976, le groupe assurait la première partie de Raimbow à
Colmar !
Leurs
chansons deviennent des hymnes du cinéma d’action américain, des années 90 avec
Big Gun dans Last Action Hero avec Arnold Schwarznegger jusqu’à
nos jours et Stephen King, le roi du roman fantastique américain, leur proposa
de réaliser la musique de son film Maximum Overdrive. Cela donne Who
made who. AC/DC est définitivement entré dans la pop culture.
Bien
évidemment, comme dans chaque groupe, les drames frappèrent la formation sans
l’anéantir, renforçant ainsi le mythe : les décès de Bon Scott (1980) et
de Malcolm Young (2017), les départs et retours de Phil Rudd et Cliff Williams,
l’absence de Brian Johnson remplacé par un Axel Rose des Guns n Roses
dans une sorte de mercato surprenant. Le livre de Philippe Margotin, servi par
une très belle infographie, n’omet rien, bien au contraire.
Le groupe, confronté à l’évolution des styles musicaux connut au début au milieu des années 1980, une panne et refusa même un million de dollars des Rolling Stones pour interpréter leur première partie. Mais il était dit qu’AC/DC ne serait jamais débranché. Donc si vous voulez tout savoir d’AC/DC ou simplement découvrir ce groupe mythique, alors ce livre est pour vous. En fait non, c’est juste un livre indispensable à toute bibliothèque. Point.
Par Laurent Pfaadt
Philippe Margotin, AC/DC, le groupe, les albums, la musique Glénat, 288 p.
Power
Up Tour, la nouvelle tournée européenne d’ACDC entre le 17 mai et le 17
août 2024 passera notamment à l’hippodrome de Longchamp de Paris, le 13 août
2024.