Fils de rois et de prostituées

L’historienne Julie d’Andurain signe un ouvrage de référence sur l’histoire des troupes coloniales

Marsouins, tirailleurs, goumiers, bigors ou zouaves. Ces noms qui nous disent vaguement quelque chose renvoient à un passé colonial et une époque où la France agrégea sous son autorité des combattants issus du monde entier. Des noms croisés dans nos manuels scolaires et venus d’une époque révolue et parfois oubliée à dessein. Mais les tirailleurs sénégalais et autres indigènes sont revenus ces dernières années, hanter notre mémoire collective notamment par le biais du cinéma, si bien qu’un ouvrage s’avérait salutaire pour y voir plus clair. Julie d’Andurain, professeur à l’université de Lorraine à Metz et autrice d’un Gouraud très réussi, s’est emparée de cette lanterne pour produire la première histoire militaire et politique des troupes coloniales et tenter de nous éclairer.


Dans un propos clair, concis et très approfondi, l’autrice détaille ainsi la lente structuration des troupes coloniales au sein de l’armée métropolitaine, puis son absorption à cette dernière selon deux périodes quasi équivalentes. De 1880 à 1920, la conquête coloniale constitua ainsi un âge d’or des troupes coloniales. C’est l’époque des explorations, des expéditions financées par des fonds privés, soutenues par un puissant lobby parlementaire à travers les figures d’Eugène Etienne, député d’Oran et Albert Sarraut, plusieurs fois ministre notamment des colonies, et appuyées sur des organes de presse qui formèrent ce qu’on appela le parti colonial. Une vision politique qui amène l’autrice à détailler une pensée coloniale qui ne fut pas unie, loin de là, et s’analyse selon les armes et les régiments avec cependant une constante : le rôle du commandement. Parmi ces chapelles idéologiques, celle de l’indigénisme qui eut notamment pour promoteur le général Charles Mangin, concepteur de la fameuse force noire, l’intégration des troupes africaines à l’armée française qui s’illustra notamment au chemin des Dames, en avril 1917 lorsque près de 7 000 tirailleurs périrent dans la désastreuse offensive. Mais nous rappelle Julie d’Andurain, « la rencontre entre Charles Mangin et le projet d’armée noire relève donc d’un contexte global, non d’un projet personnel »

Un contexte qui, passé l’hécatombe d’une Grande Guerre qui mobilisa près de 600 000 indigènes, ouvrit la seconde période, celle du reflux et de l’absorption des troupes coloniales dans l’armée métropolitaine. A partir de 1923 puis sous le cartel des gauches qui voulait « tuer la guerre », les choses évoluèrent. Dans les colonies, les administrateurs ont remplacé les officiers. Les régiments algériens et marocains allaient se battre durant le second conflit dans l’armée métropolitaine avant que la décolonisation n’enterre définitivement les troupes coloniales en les reléguant à des corps d’élite.

Avec ce livre, Julie d’Andurain raconte ainsi une histoire de France à travers la « coloniale », de la IIIe République qui la glorifia avec ses héros (Lyautey, Galliéni, Gouraud) à la Cinquième qui en fit le deuil. Une histoire politique, sociale, culturelle, patrimoniale mais également une histoire de la géographie de la France et de son Empire où l’on apprend une multitude de choses comme par exemple que le Sahara fut déjà, dans les années 20 et bien avant l’arme nucléaire, le terrain des expérimentations militaires avec l’aviation dans le ciel marocain. Une histoire qui résonne encore aujourd’hui dans ce mythe de la puissance perdue qui nous a conduit à mener certaines guerres sur le continent africain. Une histoire où faire le zouave avait encore un sens.

Par Laurent Pfaadt

Julie d’Andurain, les troupes coloniales, une histoire politique et militaire
Passés composés, 400 p.

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Julie d’Andurain, le général Gouraud : un destin hors du commun, de l’Afrique au Levant
Chez Perrin, 2022