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#Lecturesconfinement : L’année 2020 Etat d’urgence de Plantu par Alberto Toscano

Un livre assez particulier est
entré dans ma bibliothèque en
ce mois de novembre 2020. J’ai
employé relativement peu de
temps pour le parcourir avec
attention, de la première à la
dernière page, mais ensuite je
suis revenu au début en
réfléchissant, avec encore plus
d’attention, sur une énormité de
souvenirs. C’est ainsi que ce
livre très particulier n’arrête pas
de m’accompagner durant cette
fin d’année encore plus
particulière. Il s’agit de la dernière œuvre de Jean Plantu, publiée
par les éditions Calmann Lévy sous le titre « Etat d’urgence ». Nous
avons tous l’habitude de regarder les dessins de Plantu, à la Une du
Monde, comme s’il s’agissait – et en effet il s’agit – d’éditoriaux en
pleine règle. Le défi habituel de ce grand journaliste et artiste est
celui de peindre chaque jour la réalité en utilisant l’encre de l’ironie.
J’ai sous mes yeux, en écrivant ces lignes, à la fois le livre « L’année de
Plantu 2020 – Etat d’urgence » et le quotidien Le Monde du 24
novembre. On y voit le dessin de Plantu : un homme plongé dans
son fauteuil et dans son petit univers à base d’ennui et de télé, avec
derrière lui un calendrier 2020 et les mots « Tous les jours, c’est
dimanche ». Plein de dimanches sans l’envie ni la possibilité de faire
la fête. Evidemment ce dessin ne fait pas partie du livre mais les autres ne sont pas moins significatifs. Ils sont le fruit de ce cocktail
d’humour, d’art et d’intelligence qui est à la base de la popularité de
Plantu.

En parcourant à nouveau les pages de ce livre, j’ai donc vécu encore
une fois les jours de cette année dramatique qu’on est en train de
quitter. La lecture du livre a été pour moi émouvante et parfois dure,
comme la réalité que nous sommes en train de vivre. Dans ce livre,
Plantu nous propose une relecture, en version Covid, de l’un de ses
plus célèbres desseins. Il est dominé par la phrase de Sénèque :

« Vivre, ce n’est pas attendre que l’orage passe. Vivre, c’est apprendre à danser sous la pluie ». On voit donc danser sous l’orage
(avec un parapluie en forme de « masque chirurgical ») une
Marianne, une infirmière, un citoyen lambda, un médecin et
naturellement la petite souris, symbole de ce dessinateur.

En 2020, les Français (mais d’autres aussi, comme les Italiens) ont
appris une nouvelle géographie, à base de zones de couleurs
différentes. Être en « zone rouge » ne signifie plus être administrés
par la gauche, mais sortir de chez soi le moins possible, en
conduisant une vie pleine de contraintes. Quant à Plantu, sa vie
personnelle est depuis plusieurs années soumise à des contraintes
bien plus dures et inquiétantes que l’ont été les nôtres de ce 2020. Il
est tout le temps sous escorte à cause des menaces qui pèsent sur
lui pour certains de ses dessins et pour l’activité de l’association
Cartooning for peace, qu’il a fondé en 2016 avec Kofi Annan, alors
secrétaire général de l’Onu. Certains dessins de Plantu lui ont valu
la très menaçante hostilité des milieux de l’islamisme radical. Ce
dessinateur est devenu un symbole de la liberté de la presse et un
ennemi de ceux qui – en ce 2020 comme à la rédaction de Charlie
Hebdo en janvier 2015 – ont montré leur opposition à l’exercice de
ce droit. Aujourd’hui comme dans les moments difficiles de notre
passé d’Européens, l’ironie et la satire peuvent couter très chères. Il
est facile parler de liberté de la presse, mais il est bien difficile la
pratiquer au quotidien.

Correspondant de la presse italienne à Paris depuis 34 ans, Alberto
Toscano a écrit plusieurs livres sur la relation franco-italienne. Parmi
eux Les Italiens qui ont fait la France de Léonard à Pierre Cardin
(Armand Colin, 2019)

L’année 2020 Etat d’urgence de Plantu (Calmann-Levy)
par Alberto Toscano

Le baroud de déshonneur du Troisième Reich

ArdennesAprès Berlin et Stalingrad, Anthony Beevor signe un nouveau livre de référence sur la bataille des
Ardennes.

La première question qui nous vient à l’esprit avant même d’ouvrir l’ouvrage est celle-ci : la bataille des
Ardennes aurait-elle pu changer le cours de la guerre ? Anthony Beevor, auteur désormais mondialement connu et spécialiste émérite de la
seconde guerre mondiale, répond sans hésiter : non.

Avec le style enlevé qui est le sien et qui a fait le succès de ses livres précédents, Anthony Beevor plonge dans cet hiver glacial entre décembre 1944 et février 1945 où la Wehrmacht, alors en pleine déconfiture sur le Front de l’Est, tente de barrer la route de l’Allemagne aux forces Alliés débarquées six mois plus tôt sur les plages de Normandie. Grâce à une accalmie à l’Est, Hitler regroupe ses forces et lance le 16 décembre 1944 la fameuse contre-offensive des Ardennes.

Les Alliés, qui ont sous-estimé l’attaque, sont vite débordés et, pendant plusieurs jours, affrontent une Wehrmacht galvanisée, aidée par les meilleures unités de la SS qui profite d’une couverture aérienne défaillante. Mais l’auteur montre bien qu’avant d’être une quasi-victoire allemande, la bataille des Ardennes faillit surtout être une quasi-défaite des Alliés car « l’effet de surprise avait joué, mais il n’avait pas provoqué du côté américain l’effondrement du moral escompté ».

La percée allemande des premiers jours de l’offensive a surtout mis en lumière les dysfonctionnements du camp allié notamment en matière de renseignement. Anthony Beevor explique d’ailleurs en détail les dissenssions au sein de l’état-major qui allaient conduire à une rupture durable dans l’unité du camp occidental.

Le grand attrait de l’ouvrage montre aussi bien la guerre dans les états-majors, en cela la présence de cartes nous permet de suivre jour après jour et parfois heure après heure les grandes manœuvres des armées et leurs conséquences stratégiques. Mais l’auteur nous emmène également au coté des hommes de part et d’autre de la ligne de front en compagnie du commandant SS Joachim Peiper ou de Kurt Vonnegut, le futur grand écrivain de science-fiction qui servit dans le 423e régiment d’infanterie de l’armée américaine.

La bataille des Ardennes resta également dans les mémoires ses crimes de guerre ayant, à cette occasion, « atteint un degré de sauvagerie sans précédent sur le front Ouest ». L’auteur n’omet pas les exactions des troupes allemandes notamment à Malmédy mais il relate également les massacres de prisonniers allemands par des soldats américains assoiffés de vengeance et qui furent couverts par leur hiérarchie militaire.

Grace à son style narratif très vivant appuyé sur une solide documentation parfois inédite et sa capacité à aborder la guerre à hauteur d’homme pour une meilleure compréhension des enjeux, l’ouvrage d’Anthony Beevor constitue la réréfence de cette bataille qui fut le dernier soupir d’un monstre agonisant.

Anthony Beevor, Ardennes 1944 : le va-tout de Hitler, Calmann-Lévy, 2015

Laurent Pfaadt