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de grands noms du romantisme allemand et nordique

Schumann, Mendelssohn, Brahms, Grieg, Sibelius : durant le mois
de décembre, de grands noms du romantisme allemand et
nordique étaient à l’affiche des concerts d’abonnement de
l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg.

Aziz Shokhakimov
© Jean-Baptiste Millot

Au programme de leur concert de Noel, l’OPS et son chef Aziz
Shokhakimov avaient inscrit l’oratorio Christus de Mendelssohn ainsi
qu’une des symphonies pour cordes de jeunesse. Écrite pour quatre
voix solistes, chœur et orchestre, l’œuvre que son auteur laissa
inachevée en 1847 lorsqu’il mourut dans sa trente huitième année
témoigne de sa grande aisance dans l’écriture vocale. L’influence de
Bach y est notable, notamment celle de la Passion selon Saint-
Mathieu que le jeune Mendelssohn avait exhumée et jouée à Leipzig
en 1829, devant un parterre où figuraient entre autres le poète
Heine et le philosophe Hegel. Quant à Christus, son dernier oratorio,
il ne sera donné que bien après sa mort, en 1852. Dans le concert
strasbourgeois du 10 décembre, que nous avons pu entendre la
veille lors de la générale, on remarque d’abord un très bon quatuor
vocal. Shokhakimov se montre particulièrement soucieux de la
clarté de la partie orchestrale et de la justesse du chœur
philharmonique de Strasbourg, tout en préservant la beauté
mélodique de l’œuvre. Dans la symphonie pour cordes n°12 en sol
mineur, composée à l’âge de quatorze ans (donc avant le génial Songe
d’une nuit d’été), le chef souligne la fraîcheur et la juvénilité de la
partition, écrite pourtant dans une tonalité assez sombre.

Intercalés entre cette partition de jeunesse et l’oratorio tardif de
Mendelssohn, le programme comportait aussi Advent de Walter
Braunfels, compositeur allemand de la première moitié du XXè
siècle, qui gagna en son temps une certaine notoriété grâce à son
opéra Die Vögel. Tiré de la pièce d’Aristophane Les Oiseaux, il figure
au programme de l’Opéra du Rhin, en janvier 2022. Advent, fragment
de Das Kirchenjahr, série de cantates épousant le déroulement de
l’année liturgique, est une pièce orchestrale et vocale à la sonorité
agréable, presque voluptueuse, à défaut d’offrir autre chose. Elle
précédait une des grandes œuvres de Brahms, les Variations sur un
thème de Haydn, répertoire dans lequel on était curieux d’entendre
Shokhakimov. Il en propose une interprétation verticale, mettant en
valeur l’harmonie contrapunctique au détriment d’un certain
velouté mélodique, dans une couleur générale très claire.

Une semaine auparavant, les 2 et 3 décembre, Alexandre Tharaud, pianiste en résidence durant la saison 2021-2022, jouait le concerto
pour piano de Grieg. Connaissant les grandes qualités mélodiques et
poétiques du pianiste, on est un peu surpris, dès les premières
mesures, par la puissance et la force qu’il insuffle à l’œuvre. Cela
étant, durant le premier allegro et l’adagio, on se prend volontiers à
ce jeu pianistique, bien relayé par l’orchestre et la direction de
Shokhakimov, avant d’être décontenancé par un dernier mouvement
dont le pianiste savonne bizarrement le thème introductif avec une
répartie orchestrale dont la violence un peu confuse semble ici hors
de propos.

Le concert avait débuté par une œuvre rarement jouée, l’ouverture
de Hermann et Dorothée composée par Schumann en 1851. Inspirée
de l’œuvre éponyme de Goethe, dont l’action se situe durant les
guerres révolutionnaires françaises en Allemagne, la musique
déploie un entrelacs de thèmes mélodieux entrecoupés d’une
Marseillaise aux accents inquiétants, dans une atmosphère étrange
typique du dernier Schumann. Pour finir, une très grande
interprétation de la première symphonie de Sibelius, longuement
applaudie par le public et par les musiciens d’un orchestre
visiblement conquis par son directeur. Dès le solo introductif de la
clarinette (magnifiquement donné par Jeremy Oberdorf), on devine
que le chef opte pour une conception particulièrement âpre, sombre
et anguleuse de l’œuvre. On pense davantage au finlandais Paavo
Berglund qu’à l’américain Léonard Bernstein, pour évoquer deux
grands noms de l’interprétation sibélienne. Retenant les cuivres
dans une couleur blafarde et jouant sur la puissance des cordes et
des bois, Shokhakimov fait preuve d’un art du clair-obscur
consommé. Ainsi abordée, cette symphonie de jeunesse fait déjà
entendre un Sibelius de la maturité, quand le sentiment humain fusionne avec la minéralité du monde.

Par Michel Le Gris

Orchestre philharmonique de Strasbourg

La fermeture des salles de spectacles depuis le dernier automne
entrave bien évidemment le déroulement de la saison 2020-21 de
l’Orchestre philharmonique de Strasbourg. Si la plupart des
concerts ont bien lieu, c’est néanmoins dans une salle privée de son
public, avec des musiciens pour la plupart masqués jouant des
programmes parfois modifiés du fait du nombre restreint de
pupitres autorisés sur scène. Dans cette ambiance
sciencefictionnelle,  les concerts sont enregistrés en vue d’une
diffusion radiophonique (Radio Classique, Accent 4) ou télévisuelle
(Arte). J’ai toutefois eu le bonheur d’être physiquement présent
durant certaines séances d’enregistrement.

Le soir du 28 janvier, l’orchestre enregistrait les seconde, quatrième
et sixième parties d’un des chefs d’œuvre de la musique occidentale,
Le Chant de la terre de Gustav Mahler. Dans ce moment planétaire
qui est aujourd’hui le nôtre, l’écoute de l’immense lied final Der
Abschied revêt une dimension toute particulière, d’autant que
l’interprétation offerte ce soir-là ne mérite que des éloges  tant pour
la prestation vocale de la jeune mezzo Marianne Crebassa(déjà
remarquée il y a trois ans lors de l’enregistrement des Troyens) que
pour la direction orchestrale du chef Stanislav Kochanovsky,
originaire de Saint Petersbourg et dont les concerts publiques avec
l’Orchestre de Paris en octobre dernier ont eux aussi été très
remarqués. A Strasbourg, circonstance sanitaire oblige, on a
renoncé au grand orchestre mahlérien et opté pour la très habile
version pour tout petit orchestre (une quinzaine d’instruments !)
écrite par Arnold Schoenberg. Il n’empêche : même ainsi, la
puissance dramatique de cette grande œuvre est telle qu’elle s’avère
inébranlable, surtout quand elle est si bien interprétée et si bien
jouée par l’ensemble des musiciens sur scène. Que ce soit dans Der
Einsame im Herbst (Le solitaire en automne), dans Von der Schönheit
(De la beauté) ou dans Der Abschied (L’adieu), le grand style
mahlérien que le chef insuffle à l’orchestre et la voix marmoréenne
de la soliste rayonnent dans cette musique inspirée par la poésie
chinoise de l’époque Tang, disant le caractère éphémère de
l’existence en contraste avec l’inaltérable beauté du monde. Dans
une prodigieuse déclamation finale, sur des paroles de Mahler lui-
même, ‘’la terre adorée, partout, fleurit au printemps et reverdit :
partout toujours, l’horizon bleu luira ! Éternellement…
Éternellement’’, un Éternellement (ewig) repris sept fois pianissimo au son du célesta. 

Enregistrés lors d’une autre séance (où je n’étais pas), les premier,
troisième et cinquième mouvements chantés par le ténor Andreas
Schager furent, m’a-t-on rapporté, d’un niveau comparable. S’il en
est bien ainsi, cette grande symphonie pour voix solistes et
orchestre aura vraiment resplendi à Strasbourg ; car, déjà, en 2012, 
elle avait excellé sous la baguette  de Marko Letonja, lequel achève
aujourd’hui son mandat de directeur de l’orchestre dans des
circonstances que ni lui, ni personne n’avait pu imaginer.

Adam Laloum portrait

Cette année musicale 2021 commençait par un concert joué et
enregistré d’un seul tenant, le vendredi soir 15 janvier, avec la
participation du jeune mais déjà très connu pianiste Adam Laloum.
La suite de Pulcinellade Stravinski précédait le second concerto
pour piano de Brahms. Plus encore que ses autres œuvres
concertantes, celui-ci est une vraie symphonie pour piano et
orchestre, doté qui plus est de non pas trois mais de quatre
mouvements. Le jeu de l’orchestre y revêt une importance égale à
celui du pianiste. A l’instar de toutes les grandes œuvres, ce
concerto autorise des approches très variées, ce dont témoigne la
masse de documents discographiques laissée par les plus grands
pianistes. On peut notamment l’aborder dans un climat automnal et
assagi, celui de la dernière musique de chambre de Brahms. Mais on
peut aussi souligner ce qu’il possède de fébrile et de conflictuel.
C’est en tout cas cette option vitaliste qu’aura retenu Adam Laloum,
pour sa prestation strasbourgeoise du moins, car il m’a confié avoir
déjà abordé l’œuvre dans d’autres perspectives. Toujours est-il que
sous ses doigts ce choix est soutenu avec vaillance. On apprécie tout
particulièrement sa capacité à faire entendre, jusque dans les
passages les plus virtuoses et les moments les plus risqués,
l’évidence du chant au sein même de la texture harmonique. L’ardeur
des tempi n’empêche nullement le mouvement lent de déployer toute sa gravité. 

Tant de qualités pianistiques auraient vraiment mérité un soutien
orchestral plus inspiré. Le chef anglais Duncan Ward, consciencieux
mais flegmatique, aura d’abord fait entendre un Stravinsky terne et
pauvre en couleurs, dépourvu de tout espèce d’humour. Dans
Brahms, tout paraît un peu enlisé alors même que l’effectif restreint
(pour raison sanitaire) pouvait laisser espérer un jeu instrumental
acéré. Dans le sublime début, le dialogue cor-piano manque
vraiment d’aura et de mystère. Cela ne s’arrange guère avec le
premier tutti d’orchestre, pâteux et prosaïque, augurant mal de la
suite. Seul le troisième mouvement adagio, au demeurant répété
trois fois, parvint pour finir à un dialogue piano-orchestre
satisfaisant. 

Michel Le Gris, pour la revue Hebdoscope