Cœur instamment dénudé

Texte et mise en scène de Lazare, artiste associé au TNS

Lazare nous a déjà proposé des spectacles étonnants, ce dernier
nous a paru particulièrement déjanté. C’est un conte qui
chevauche les siècles et n’hésite pas à le souligner à travers les
noms des personnages et les situations dans lesquelles ils évoluent
autrefois et actuellement.

Voilà la jeune Psyché (Ella Benoit)  dont le nom sort des
 » Métamorphoses  » d’Apulée écrites entre 160 et 180, jeune fille
apparaissant habillée comme les filles d’aujourd’hui et qui capte
l’attention de tous, ce qui ne manque pas de susciter la jalousie de
Vénus (Laurie Bellanca), une femme belle et élégante qui, suivant la
légende, envoie son fils Cupidon (Paul Fougère), un jeune garçon
plutôt empoté, décocher  une flèche pour rendre la jeune fille
amoureuse d’un individu médiocre. C’est Cupidon qui tombe
amoureux et fait tout son possible pour cultiver cet amour en se
rendant invisible et en se cachant de sa mère. Les aléas de leurs
rencontres font un spectacle qui joue avec les codes, ceux du
langage, de la musique, du jeu.

Le jeu est ici primordial, les comédiens se montrant d’une grande
capacité à devenir, selon les circonstances rocambolesques de
l’histoire, tantôt acrobates, tantôt chanteurs, puis récitants,
(musiciens,Veronika Soboljevski et Louis Jeffroy) passant d’un
registre à l’autre avec une incroyable maîtrise. (Collaboration
artistique Anne Baudoux). Nous allons de surprise en surprise, et
plongeons dans la comédie voire le burlesque quand s’y ajoutent les
costumes extravagants, ou les déguisements (costumes, Virginie
Gervaise).

Les allusions, les références traversent les réflexions teintées de
poésie et de philosophie. La nature et ses beautés font des clins
d’oeil à des considérations plus terre à terre. Grossièreté et finesse
tissent ensemble de curieux propos.

Ça danse, ça chante, ça saute, ça court, ça grimpe ça se roule par
terre avec une énergie incroyable.

C’est un monde qui vibre de partout, se chamaille, se provoque, se
lance sans cesse des défis dans lequel on aime aussi. On voit donc
Cupidon transporter Psyché dans un lieu merveilleux, le Palais
sensuel, où là, sans lui monter son visage, il devient son amant.
Cependant, malgré la vie douce et luxueuse qu’on lui offre Psyché
s’ennuie et désire revoir sa famille. Ayant obtenu l’aval de Cupidon
elle retrouve ses soeurs (Ava Baya et Anne Baudoux) qui lui font part
de leur méfiance concernant cet amoureux qui refuse de montrer
son visage. Gagnée par le doute, elle décide  de le surprendre, allume
une lampe et découvre Cupidon. Mais ayant fait tomber une goutte
d’huile brûlante sur sa main, elle le blesse, il s’enfuit et rejoint sa
mère à qui il révèle son histoire, ce qui exacerbe la colère de Vénus.
Nombre de péripéties s’ensuivront qui manifesteront sa vengeance,
avant un relatif « Happy end ».

A travers le dynamisme du plateau et les péripéties de l’histoire se
font jour des rappels à la réalité, la nôtre, souvent superficielle,
égocentrique, manipulée par des slogans qui font l’éloge du
« progrès » et du « mieux vivre »

On pense aux chansons de Boris Vian, lui qui savait si bien manier la
dérision qui fait mouche et mettre en évidence avec talent et
humour les défauts de notre société.

S’y révèlent aussi  les grands desseins de la destinée humaine, en
particulier l’émancipation, celle de Psyché mise en route dès
l’enfance et qui se construit à travers les épreuves et celle de
Cupidon plus difficile à gagner car ce grand dadais a du mal à
échapper à sa mère, la belle Vénus, autoritaire, séductrice et jalouse.

C’est un spectacle total qui donne beaucoup à voir, à entendre, à
penser.

Marie-Françoise Grislin

Représentation  du 11 janvier 2022 au TNS