Déjeuner sur papier

Il y a 120 ans était attribué le premier prix Goncourt. L’occasion d’un repas de famille en forme de livre

Chaque année, début novembre c’est la même chose. Une nuée de journalistes attend une poignée d’hommes et de femmes de lettres composant un auguste aréopage réuni dans un restaurant pour annoncer le sacre d’une nouvelle étoile des lettres. Puis la traditionnelle photo autour d’une table. Le 21 décembre 1903, John-Antoine Nau recevait pour Force ennemie, roman fortement inspiré du Horla de Guy de Maupassant le premier prix Goncourt devenu aujourd’hui le principal prix littéraire français, auréolé d’une gloire qui dépasse très largement ses frontières si l’on en croit les divers choix de pays tels que la Pologne, la Roumanie ou cette année celui du Rio de la Plata (Uruguay-Argentine).


Leila Slimani
copyright Laurence Houot/Culturebox

Pour se plonger dans l’histoire de ce prix crée par le testament d’Edmond Goncourt, à l’occasion de son 120e anniversaire, rien de tel que de parcourir le livre passionnant de Jean-Yves le Naour, spécialiste de la Grande guerre et de Catherine Valenti. Bien évidemment les auteurs passent en revue les lauréats, de Maurice Genevoix à Jean-Christophe Rufin en passant par Bernard Clavel et Romain Gary, seul récipiendaire de deux prix après un canular resté célèbre. Un prix qui couronna des romans difficiles ou populaires comme le lauréat de cette année, Veiller sur elle de Jean-Baptiste Andrea. Il y a les absents du prix comme Jean-Marie Gustave Le Clezio, Antoine de Saint-Exupéry et Raymond Dorgelès, futur inamovible président du jury pendant dix-neuf ans et défait en 1919 par un certain…Marcel Proust dans ce qui reste comme l’un des grands duels de l’histoire du Goncourt, ce « Goncourt du siècle ». « Bien des auteurs ont eu le Goncourt mais « le Goncourt a eu Proust » écrivent ainsi les auteurs. Le livre remet à l’honneur des figures aujourd’hui oubliées comme celles de René Maran qui remporta le prix de 1921 pour Batouala, un « Goncourt décerné à un Noir » comme le titra Le Journal ou celle de Philippe Hériat, victorieux des prix Renaudot (1931), Goncourt (1939 pour Les Enfants gâtés), et de l’Académie française (1947),et revient sur quelques scandales littéraires comme lors de l’édition 1951 lorsque Julien Gracq, couronné pour Le Rivages des Syrtes, refusa le prix.

Et puis il y a ce restaurant Drouant dans le 2e arrondissement où depuis 1914 se réunissent les jurés pour décider des futurs lauréats au milieu de savoureuses agapes. D’ailleurs, ici les fauteuils de l’Académie française ont été remplacés par dix couverts. Car à y regarder de près, le prix Goncourt ressemble un peu à un déjeuner de famille. Il y a les jurés qui, tels des parents, veillent sur leurs progénitures comme maman Edmonde et sa vie incroyable et papa Hervé qui est une vraie langue de vipère. Leurs frères et sœurs qui s’invitent parfois. L’oncle Bernard, jamais avare de livres pour nous et qui saoule avec le foot. L’oncle Sacha et ses blagues. Tante Colette et ses histoires croustillantes pas comme tante Christine qui fout le bourdon. Oncle Patrick qui raconte l’histoire comme personne. Pas comme oncle Régis qu’on comprend pas toujours. Et puis oncle Roland qui a fait la guerre et vient tous les dimanches ou oncle Amin avec son accent immortel comme un rocher.

Autour de la table, les fils et filles prodigues (Leila et Mathias) se régalent, pas comme ceux qui attendent en vain la reconnaissance de leurs parents (Amélie) ou qui, invités régulièrement, mangent dans la cuisine avec Renaudot. Les trublions qui une fois sur deux (surtout Romain !) transforment le repas en pujilat ou quittent la table (Virginie) et ceux qui, rassasiés, ne laissent que des miettes à leurs voisins de table (Michel ou Andrei).

Tout cela nous a donné faim. Il est temps de se mettre à table, Le Naour et Valenti attendent de servir. Le menu du jour promet.
Miam !

Par Laurent Pfaadt

Jean-Yves Le Naour et Catherine Valenti, 120 ans de prix Goncourt. Une histoire littéraire française, Omnibus/Perrin, 576 p

A lire bien évidemment le dernier lauréat, Jean-Baptiste Andrea, Veiller sur elle, L’Observatoire, 592 p.