Goerner illumine Würth

Nelson Goerner © Benoit Linder

Le pianiste
argentin clôturait
la deuxième
édition du festival
piano au musée
Würth.

Écouter Nelson
Goerner constitue
toujours une
expérience unique
car à l’image de ces
grands pianistes qui traversent notre planète et s’arrêtent parfois
près de nous, aucune interprétation ne se ressemble.

Le petit auditorium du musée Würth d’Erstein ne s’était
certainement pas préparé à une telle expérience. Pourtant le
pianiste roumain Herbert Schuch avait semblé, avec ses variations
Diabelli, donner le ton : celui de la recherche du juste sentiment
humain, où l’introspection dispute à l’expression. Son hommage au
grand Beethoven dont il remporta le concours éponyme à Vienne
tint beaucoup de la révérence. Ces miniatures relevèrent d’un
minutieux travail de marqueteur, assemblant lentement avec
assurance, gravité et émotion, les pièces de la grande fresque de
ce compositeur qui, parvenu au soir de sa vie, se tourne vers Bach,
l’autre grand maître de la variation. A ce titre, Schuh fut parfait.
Métronome dans une main et mélancolie dans l’autre, il sut
épouser les tempêtes pianistiques de son idole tout en s’amusant
avec. On eut parfois l’impression de revenir dans ces salons
viennois où le génie de Bonn se produisit.

Cependant, rien ne présageait le choc Goerner. Ni les disques au
demeurant excellents, ni cette réputation qui le précède. Veines
palpitantes et masque romantique de circonstance, Goerner vint
au festival avec le grand répertoire. D’abord Schubert qu’il
sublima avec son touché prodigieux parvenant à retranscrire à
merveille les passages tourmentés dans cet océan de tranquillité.
Puis Brahms et ce monument que constituent les Variations
Paganini que Goerner édifia dans un granit noir où les marteaux
du piano taillèrent dans ce roc qui, au fur et à mesure de
l’interprétation, devint si friable qu’il explosa.

À n’en point douter, le noir lui sied à merveille puisqu’aux
commandes de son vaisseau musical, Goerner embarqua alors,
dès les premiers accords, les spectateurs pour un voyage sur ce
Styx que constitue la musique de Fréderic Chopin. Ses nocturnes
furent autant d’étapes enfiévrées et ténébreuses où le pianiste sut
parfaitement mettre en exergue les différentes variations de
rythmes tandis que les liaisons furent subtilement amenées. La
troisième sonate paracheva ce monument sonore. Le presto finale
s’apparenta à une conversation entre le soliste et le diable et à
entendre Goerner, on comprit que le diable n’eut pas le dernier
mot, ou plutôt la dernière note. Les spectateurs se souviendront
encore longtemps de ce concert qui marquera certainement la
jeune histoire d’un festival désormais appelé à durer.

Laurent Pfaadt