Irving Penn se fait tirer le portrait

Irving Penn (Spanish Hat by Tatiana du Pessix copyright The Irving Penn Foundation)

Première grande
rétrospective
française du célèbre
photographe de
mode

A l’occasion du
centenaire de sa
naissance, le Grand
Palais a décidé de
célébrer le grand
photographe de
Vogue. Organisé
conjointement avec
le Metropolitan
Museum of Art de New York et la Fondation Irving Penn, Paris
rend ainsi l’hommage mérité à ce photographe majeur du 20e
siècle qui contribua, comme tant d’autres, à faire de Paris, la
capitale mondiale des arts.

Et la période d’Irving Penn à Paris n’échappe pas au cliché de
l’artiste travaillant dans un atelier miteux, sans eau ni électricité.
L’histoire aurait pu d’ailleurs tenir lieu de scénario d’un film d’un
Woody Allen qu’il photographia au demeurant. Et pour cause, au
lendemain d’une guerre qu’il couvrit en Italie et en Inde (et dont
l’exposition se fait l’écho) après avoir intégré en 1943 grâce à
Alexander Liberman, le magazine Vogue, Irving Penn s’installe à
Paris, rue de Vaugirard. Là, il tombe immédiatement amoureux de
cette lumière nacrée qui se dégage du lieu. Après New York où ses
portraits firent de lui, un photographe incontournable, Penn
poursuivit à Paris sa révolution photographique en compagnie de
celle qui devint sa muse, Lisa Fonssagrives, comme en témoigne
l’extraordinaire Spanish Hat by Tatiana du Plessix (Dovima) mais
également en magnifiant des anonymes devenus les symboles
d’un art de vivre parisien. Ainsi, les papes de la haute couture
(Versace, Miyake, St Laurent), les grands artistes (Le Corbusier,
Dali, Duchamp), écrivains (Auden, Wolfe, Mc Cullers, Capote dont
il immortalisa le visage en 1965), les grandes stars du cinéma
(Arthur Penn, son frère, Ingmar Bergman, Alfred Hitchcock)
forment ainsi dans cette exposition une galerie de portraits
convoqués pour cet hommage grandiose.

Car, on pourra nous dire ce que l’on veut, Irving Penn n’est jamais
aussi génial que lorsqu’il met le noir et le blanc au service de son
art. La couleur amoindrit son génie, c’est évident. Elle le rend
commun. Avec le noir et le blanc et ses décors minimalistes
(simple tapis, fond uniforme ou angle de mur) ou son cadrage
serré comme dans ce portrait de Picasso où le peintre apparaît
comme un démiurge, Irving Penn transcende son modèle et d’une
certaine, le met à nu psychologiquement. L’exposition entre
d’ailleurs astucieusement dans la fabrication de ses portraits.
Penn recevait simplement ses modèles. Il les mettait à l’aise,
discutant avec eux autour d’un café afin qu’ils se libèrent. Cela
donna une Marlène Dietrich angoissée, un Jean Cocteau dont la
pose marmoréenne se fissure dans le regard ou un Francis Bacon
sur le point d’être submergé par la folie. Car à y regarder de plus
près, il y a assurément du Picasso dans les photos de Penn quand
on songe à ce même Jean Cocteau dont la pose rappelle une figure
de proue de navire ou ce Peter Ustinov à l’attitude étrangement
cubiste.

Et lorsque Vogue l’enverra à quatre coins du monde, du Dahomey
à la Nouvelle-Guinée en passant par le Maroc ou Cuzco, avec son
studio portatif, la magie opéra de la meme manière sur les cultures
et leurs représentants. Même s’il est vrai qu’on a parfois
l’impression de se trouver devant des photos coloniales, il
n’empêche que face à cette Woman with three leaves (1971) prise
au Maroc et dont le visage est entièrement caché par un grand
voile noir, on ne peut s’empêcher de penser au manteau de l’ange
bleu. Des anonymes du monde entier aux plus grandes stars, l’art
d’Irving Penn va au-delà du simple cliché et pénètre comme le
redoutait certaines civilisations l’âme du modèle, d’une culture.
Pour la rendre encore plus majestueuse.

Irving Penn, Grand Palais jusqu’au 29 janvier 2018

Laurent Pfaadt

A découvrir le fantastique catalogue de l’exposition :
Irving Penn : le centenaire, RMn-Grand Palais,
372 p, 367 ill, 2017