Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis

« Plus discrète qu’une épouse infidèle rejoignant son amant, la lune rasait les nuages, impatiente d’aller retrouver le soleil qui l’avait précédée depuis longtemps au couchant ». Ouvrir le livre de Nétonon Noël Ndjékéry c’est comme entrer dans la maison d’un griot, s’assoir avec lui et, avec comme horizon ce lac Tchad s’entendant à perte de vue, l’écouter nous relater de sa voix et de sa plume envoûtantes le destin de Zeïtoun. Arraché aux siens par une razzia et flanqué de deux compagnons d’infortune, Tomasta Mansour, ancien esclavage devenu eunuque et théologien respecté et Yasmina, « la Blanche », Zeïtoun va ainsi vivre une épopée sur les routes des caravanes, des rives du lac Tchad aux dunes d’Arabie. Se saisissant de la question de l’esclavage transsaharien, l’auteur, Grand Prix Littéraire National du Tchad pour l’ensemble de son œuvre en 2017, a construit un ouvrage qui s’apparente à la fois à une fresque grandiose et à un monument littéraire de référence.

Tantôt terrible, tantôt burlesque, le récit oscille magnifiquement sur les bords de ce lac romanesque où le lecteur contemple à la fois la beauté et la cruauté des êtres humains comme on aperçoit la grâce d’un oiseau ou la férocité d’un crocodile. Dressant le récit de ces bannis, ces victimes devenues héros d’une formidable utopie, Nétonon Noël Ndjékéry fait entrer de plein fouet la littérature tchadienne, africaine dans la langue française en la revigorant, en la vivifiant et surtout en la sublimant dans son universalité. Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis n’est pas qu’un simple récit, certes tout en images, avec ses métaphores et cette poésie qui rappelle parfois celle du grand Amin Maalouf. Non, il y a quelque chose de plus grand : cette grande idée d’une Afrique maîtresse de son destin comme lorsqu’elle présida aux destinées de la Terre à l’aube de l’humanité.

Le lecteur ressort littéralement envoûté de cette histoire et de cette leçon. Devant les rives du lac Tchad, son esprit se perd dans cette confluence à la fois littéraire et historique où la petite histoire rejoint la grande comme une multitude de rivières se déversant dans l’horizon de l’humanité. L’arc-en-ciel de Nétonon Noël Ndjékéry est là, reliant l’Afrique à la Terre, la langue française africaine à ses sœurs. Quelle fierté pour le lecteur d’arpenter cet arc-en-ciel. Là, il y scrute cette île, cette utopie où nos héros trouvèrent refuge. La plume du griot suspend alors son vol comme une alouette rousse accrochée à un papyrus et on ne demande qu’une seule chose : qu’il se saisisse de son calame et qu’il écrive une fois de plus son histoire.

Par Laurent Pfaadt

Nétonon Noël Ndjékéry, Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis,
Hélice Hélas, 360 p.