Isla Negra

Isla Negra est une vieille bâtisse baroque et noire accrochée à un
flanc de montagne battu par les vents et dominant l’océan. A
l’intérieur vit Jonas, un vieillard acariâtre surnommé « le Vieux ».
On évite de le croiser sous peine de prendre quelques plombs dans
le derrière et lui-même se complaît dans sa réclusion volontaire
tout juste troublée par quelques âmes charitables tout aussi
excentriques que lui.

Jusqu’au jour où deux notaires, sorte de Laurel et Hardy modernes
viennent sonner à sa porte pour lui signifier son expulsion. Entre
alors en scène Audiard et le Vieux devenu une sorte de Bernard
Blier entre en résistance avec ses dialogues gratinés et sa vision du
monde soi-disant pessimiste.

Aussi irascible qu’il soit, le Vieux nous apparaît cependant touchant.
Ici se niche le talent de l’écrivain pour tirer de ces êtres originaux et
singuliers échappant à la normalisation des corps et des pensées,
une attachante individualité. Alliage de Robin des bois et de
Robinson Crusoé, Jonas est à la fois le dernier guerrier des temps
anciens où solidarité et respect des autres et de l’environnement
comptaient plus que tout mais également, une sorte de prophète, de
patriarche d’un nouveau modèle à inventer.

A travers sa galerie de personnages tantôt truculents, tantôt
pathétiques, à laquelle il faut également rajouter la maison, l’auteur nous dépeint une société qui marche souvent sur la tête avec ses
contradictions, ses faux-semblants et surtout, ses lâchetés
quotidiennes et son égoïsme triomphant.

Le récit sculpté par une écriture vivante, tantôt saignante comme
une côte de bœuf, tantôt nimbée d’une sauce au vin, se révèle,
comme à chaque fois avec Delfino, d’une justesse où le rire hésite
entre hilarité et cynisme. En somme une Comedia del arte à la
française, théâtre burlesque où les harlequins finissent par se
transformer en bouffons du quotidien. L’atterrissage est difficile
mais c’est là tout l’intérêt du livre…

Par Laurent Pfaadt

Jean-Paul Delfino, Isla Negra,
Aux Editions Héloïse d’Ormesson, 242 p.