La tendresse au TNS

Un spectacle enthousiasmant pour cette entrée dans la saison, un de ceux dont on sort avec le sourire, heureux d’avoir vécu un moment pétillant de vie, brillant, intelligent et constructif.


Conçu et mis en scène par Julie Berès de la Cie « Les Cambrioleurs » sise à Brest, ce spectacle a été créé le 16 novembre 2021 à la Comédie de Reims.

La metteure scène Julie Berès avait présenté en 2019 au TNS, dans le cadre de « L’autre saison », la pièce « Désobeir » dans laquelle le problème de l’émancipation des femmes était posé.

Elle revient avec un sujet parallèle concernant cette fois les hommes, la construction de la masculinité, comment se soumettre ou plutôt échapper aux injonctions de devoir s’affirmer en tant qu’homme.

Après un long travail d’enquête et de recherche historique et sociologique, en s’adjoignant des collaborateur-trices,  Kevin Kreiss, Alice Zéniter, Lisa Guez et la chorégraphe Jessica Noita, elle a mis au point  ce formidable spectacle.

Ça démarre à toute allure, un groupe de jeunes garçons, déboulent sur le plateau, sortant d’une sorte d’entrepôt gris, se précipitent sur les murs pour écrire à la hâte le titre « la tendresse » puis très vite encore  ils se lancent dans une danse effrénée témoignant d’une folle énergie, c’est la véritable entrée dans le spectacle au cours duquel les huit jeunes comédiens ne se départiront pas de cette splendide détermination à s’exposer, à faire passer par le langage du corps autant que par la parole dite ou chantée les contradictions qui les traversent, les mobilisent, les paralysent aussi parfois. Car il ne suffit pas de naître garçon pour devenir homme comme le démontrent dans la pièce ces scènes où l’un comme l’autre sera confronté aux injonctions multiples et ancestrales qu’on ne manque pas de lui rappeler. L’illustre à la perfection cette énumération de tout ce qu’un homme finit par acquérir comme situation enviable s’il obtempère à ces sortes de commandements omniprésents dans les traditions éducatives, souvent tenus comme des évidences, inutiles à expliciter.

Les huit interprètes, tous de formation et d’origines différentes, Bboy Junior, Natan Bouzy, Charmine Fariborzi, Alexandre Liberati, Tigran Mekhitarian (en alternance avec Ryad  Ferrad) Djamil Mohamed, Romain Sheiner, (en alternance avec Guillaume Jacquemont) Mohamed Seddiki (en alternance avec Said Ghanem) danseurs, performeurs, comédiens jouent à  se remettre en question avec une sincérité, une authenticité  et un humour qui nous les rendent proches et touchants. Ils abordent toutes les grandes questions qui interrogent leur identité d’homme et la bouleversent, aussi bien leur allure physique qui se doit d’être sportive que leur mental qui doit être rassurant et sans faiblesse. Ils abordent la relation homme-femme et les parcours très compliqués et anxiogènes qu’elle engendre, chacun en faisant part à sa façon ce qui peut susciter entre eux des désaccords sur leur point de vue, et même de chamailleries, des réflexions désobligeantes, des moqueries blessantes, d’où parfois des corps à corps violents et cette impression du vécu en live qui retient toute notre attention et nous amuse tant les répliques ont d’à-propos.

Rien ne semble avoir été oublié dans ce parcours du combattant et seront évoqués la relation avec ces pères qui s’affichent autoritaires mais souvent absents, l’art de la drague, la peur des femmes, la jalousie qui révèle la violence qu’on a en soi, la crainte d’être homo ou d’être taxé de pédé, et cette recherche d’en finir avec cet affichage de la virilité qui se fait jour peut-être en raison de l’inquiétude que suscite le mouvement Meetoo, l’envie d’aller vers la tendresse, autant de thèmatiques qui, sans didactisme, seront abordées parfois en solo souvent par des démonstrations  de danses urbaines, de hip hop virtuose  et  même par les superbes performances de danse classique  de Charmine Fariborzi et Natan Bouzy.

Dans ce décor plutôt banlieusard, signé Goury où les praticables permettent des évolutions circassiennes,  sous les lumières nuancées de Kelig Le Bars, les  interprètes costumés selon leur personnalité par Marjolaine Mansot et Caroline Tavernier nous ont offert un très beau travail de groupe témoignant d’une complicité manifeste et jouissive qui a emporté l’adhésion enthousiaste du public.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 4 octobre 2023

En salle Koltès jusqu’au 14 octobre