Le bal des pyromanes

Il y a 90 ans les nazis arrivaient au pouvoir. Un anniversaire en forme d’avertissement

Un enfant se réveillant d’un cauchemar en pleine nuit. Au-dessus de son lit, à travers la fenêtre, dansent les flammes ravageant le Reichstag. Nous sommes dans la nuit du 27 au 28 février 1933, quelques semaines après l’arrivée démocratique des nazis au pouvoir et cet enfant n’est autre que le fils de l’ambassadeur de France à Berlin, André-François Poncet. Pour comprendre cet évènement, il convient de revenir près d’un an en arrière, le 1er juin 1932 exactement. Ce jour-là, le chancelier Heinrich Brüning vient de démissionner après avoir interdit les SA et les SS, ces groupes paramilitaires du parti nazi d’Adolf Hitler.


Hitler et Hindenbourg
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On ne le rappelle jamais assez mais Hitler est arrivé au pouvoir démocratiquement, nommé par le vieux président Hindenburg. Dans une Allemagne écrasée par le traité de Versailles et terrassée par la crise économique de 1929 qui a vu passer en dix-huit mois le nombre de chômeurs de 3,5 à 6 millions, le parti hitlérien a gagné les cœurs. En 1928, il totalisait 2,6% des voix. Aux élections du 31 juillet 1932, le parti qui compte alors 1,5 millions d’adhérents a atteint 37,3% des voix. Entre-temps, Hitler a été défait par le maréchal Hindenburg à l’élection présidentielle mais n’a pas renoncé à s’emparer du pouvoir.

Dans l’ombre du vieux maréchal, deux hommes complotent alors : Kurt von Schleicher et Franz von Papen. Tous deux vont servir de marchepieds à Hitler en le sous-estimant, en pensant pouvoir utiliser les idées nationalistes du tribun nazi à leur profit. Von Papen est nommé chancelier le 1er juin 1932 tandis que von Schleicher, deus ex machina du vieux président, occupe le poste de ministre de la Défense et tente de convaincre Hitler d’accepter le poste de vice-chancelier. Mais ce dernier, flairant le piège, refuse. « Hitler avait refusé une participation au gouvernement, mais accepté de tolérer un cabinet présidentiel réorienté à droite, et négocié en contrepartie la promesse qu’on organiserait de nouvelles élections au Reichstag et qu’on lèverait l’interdiction de la SA et de la SS. Hitler pouvait être heureux de cet arrangement : sans s’engager fermement, il avait gardé tous les atouts en main » écrit ainsi Volker Ullrich dans sa monumentale biographie d’Adolf Hitler et qui publiera en mars 8 jours en mai, la dernière semaine du Reich, récit enlevé des derniers jours du régime nazi (Passés composés).

Nazis et communistes œuvrent alors pour détruire le régime tandis que dans la rue, les violences redoublent. Les élections se succèdent sans parvenir à résoudre les crises politiques et économiques. Les électeurs sont fatigués tandis que dans les arcanes du pouvoir, les manœuvres se poursuivent précipitant l’Allemagne dans l’abîme.

Cette stratégie du pire constitua le baiser de la mort à la République de Weimar. Von Schleicher n’y survivra pas, exécuté lors de la nuit des longs couteaux en 1934 tandis que Von Papen récoltera une infamie historique en étant jugé et acquitté lors du procès de Nuremberg en compagnie des principaux dirigeants nazis puis condamné à plusieurs années de travaux forcés par un tribunal de dénazification de l’Allemagne de l’Ouest.

Le 6 novembre 1932 se tiennent de nouvelles élections législatives. Le parti nazi, avec 250 députés et 34,1% est certes en recul, mais il demeure le premier parti d’Allemagne. « Hitler a perdu son pari, mais les nazis demeurent le premier parti de la Chambre. « Qui a gagné ? » se demande le Vossische Zeitung le mardi matin, pour en conclure que personne n’est sorti vainqueur de l’élection (…) La crise continue » écrit Paul Jankowski, historien américain qui revient sur cet hiver 1932-1933 qui changea la face du monde.

La machine infernale est pourtant bien lancée et rien de l’arrêtera. Après la crise économique, les manœuvres politiciennes achevant une République de Weimar à l’agonie et ce que Christian Baechler appela dans son livre éponyme, La trahison des élites (Passés composés, 2021) qui vient d’obtenir le prix Guizot de l’Académie française récompensant un ouvrage d’histoire générale, le fruit est mûr pour l’ancien caporal. Le 30 janvier 1933, Hindenburg se résout à appeler Hitler à la chancellerie. « Le vieillard est là, debout, appuyé sur sa canne, saisi par la puissance du phénomène qu’il a, lui-même, déclenché. A la fenêtre voisine, se tient Hitler, salué par un jaillissement d’acclamations, par une tempête de cris » relate alors André-François Poncet qui assista à la scène.

A cet instant, tout le monde pense que l’arrivée du Führer sera une expérience sans lendemain, un feu de paille qui malheureusement emportera le Reichstag, l’Allemagne et l’Europe entière. Les cendres du Parlement allemand sont encore chaudes lorsque les nazis se mettent à brûler les livres d’écrivains honnis tels que Brecht, Remarque ou Döblin tel que l’a magnifiquement raconté Uwe Wittstock dans son livre Février 1933 (Grasset, voir article Seuls dans Berlin). Aux livres succéderont les hommes. On connait la suite…

Par Laurent Pfaadt

Notre sélection :

André François-Poncet, Souvenirs d’une ambassade à Berlin, 1931-1938, Tempus, 480 p. 2018

Volker Ullrich, Adolf Hitler, une biographie. L’ascension, 1889-1939, Gallimard, 1232 p. 2017

Paul Jankovski, Tous contre tous, L’hiver 1933 et les origines de la Seconde Guerre mondiale, Passés composés, 384 p. 2022

Christian Baechler, La trahison des élites allemandes, Essai sur le rôle de la bourgeoisie culturelle (1770-1945), Passés composés, 648 p. 2021

Jean-Paul Bled, Hindenburg, l’homme qui a conduit Hitler au pouvoir, Tallandier, 336 p. 2020

Benjamin Carter Hett, Comment meurt une démocratie, la fin de la République de Weimar et l’ascension d’Hitler, L’Artilleur, 512 p. 2022 

Voir mon article : http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/comment-meurt-une-democratie/