Le Pacte antisémite, le début de la Shoah en Galicie orientale

Dans l’immensité de ce que Marie Moutier-Bitan appelait les champs de la Shoah, titre de son ouvrage précédent (Passés composés, 2021) qui fut en tous points remarquable et correspondait à ces territoires d’Union soviétique envahis par la Wehrmacht et la SS le 22 juin 1941, entre marécages et cités soviétiques, le lecteur semblait, géographiquement, un peu perdu. Et pour placer sur la carte la Galicie orientale, cette région à cheval entre la Pologne et l’ouest de Ukraine, il a fallu à la fois l’ouvrage de référence de Timothy Snyder mais surtout les deux enquêtes de Philip Sands.


Le Pacte antisémite, le nouvel ouvrage de l’historienne se veut la vision micro du précédent. En prenant comme point de départ la fameuse photo du pogrom de Lvov, début juillet 1941 qui suivit l’entrée des troupes allemandes en Union soviétique, Marie Moutier-Bitan a souhaité « étudier à hauteur d’homme, au ras du sol, ces bouleversements brutaux et meurtriers au sein de la population locale ». Et le cadre qu’elle dessine de ce tableau où sévit cette Shoah par balles qui se répandit dans tous les territoires soviétiques est saisissant.

Passants regardant un jeune garçon attaquer un Juif avec un balai dans une rue de Lviv,
juin-juillet 1941
crédit : United States Holocaust Memorial Museum, courtesy of Leonard Lauder

Plantant le décor de la vie de ces juifs de l’Est, entre shtetl et campagnes environnantes, entre commerçants juifs et paysans ukrainiens souvent illettrés, Marie Moutier-Bitan restitue à merveille ce climat antisémite hérité de cette Russie du Protocole des sages de Sion qui véhicula les pires stéréotypes sur les juifs, sur leur prétendue richesse, sur leur perfidie.

Les intérêts des différents acteurs du génocide vont converger dans ce tableau et forger ce pacte antisémite qui, en Galicie orientale, s’abattit sur les quelques 570 000 juifs de la région. Idéologue pour les envahisseurs, social et économique pour les habitants locaux, politique pour les partisans d’une Ukraine indépendante, chacun y trouva son compte. Mais « comme tout pacte avec le diable, l’indépendance ukrainienne avait un prix : il fallait se salir les mains et entrer dans la danse macabre que Hitler avait composée » écrit-elle à propos des motivations indépendantistes.

On connait la suite. Dès l’invasion de l’URSS, le 22 juin 1941, les premiers massacres furent perpétrés par les hommes de l’Einsatzgruppen C sous les commandements d’Otto Rasch et de Paul Blobel, responsable plus tard de l’opération 1005 visant à faire disparaître les corps, et aidé de collaborateurs ukrainiens et de voisins. De Sokal à la frontière polonaise à Lvov, le 1er juillet 1941, en passant par Dobromyl, Marie Moutien-Bitan suit les traces de sang que laissèrent les signataires de ce pacte ignoble dans les champs fertiles de l’ouest de l’Ukraine. Grâce aux nombreux témoignages qu’elle a collecté au sein de l’association Yahad-In Unum présidée par Patrick Desbois et sa mise en situation littéraire très réussie, elle donne à voir et à sentir l’enfer qui s’abattit sur les populations juives locales.

Le Pacte antisémite est bel et bien un livre de chair et malheureusement de cendres. Sur ces dernières, Marie Moutier-Bitan a élevé un magnifique mémorial de papier qui transporte entre passé et présent son lecteur dans l’œil de ce cyclone que personne n’imaginait et qui, pourtant, advint.

« Toutes les fêtes s’étaient transformées en torture, les jours de joie en jours de deuil. Il n’y avait plus pour elle de printemps ni d’été ; à chaque saison, c’était l’hiver pour elle. Le soleil se levait, mais ne la réchauffait pas. Seul l’espoir persistait, indéracinable ». Les mots de l’écrivain Joseph Roth, lui-même originaire de cette Galicie orientale et mort avant le début de la seconde guerre mondiale, résonnèrent très certainement dans ces champs d’horreur. Ils ont aujourd’hui rencontré ceux, importants, de Marie Moutier-Bitan. 

Par Laurent Pfaadt

Marie Moutier-Bitan, Le Pacte antisémite, le début de la Shoah
en Galicie orientale
Chez Passés composés, 315 p.