Le Petit fiancé, récits du ghetto de New York

La gloire littéraire est un héritage imprévisible, fluctuant. L’histoire
de la littérature regorge ainsi de tombeaux d’écrivains, certes
talentueux, mais oubliés. Cependant, il arrive parfois que quelques
éditeurs, ces Howard Carter des lettres, pénètrent ces mêmes
tombeaux et en exhument quelques trésors. Ainsi, dans le New York
juif du début du 20e siècle sommeillait Abraham Cahan. Arrivé en
1882 de sa Lituanie natale et fuyant l’antisémitisme tsariste,
Abraham Cahan imposa très vite son talent littéraire dans ce New
York yiddish qui allait voir éclore les Isaac Bashevis Singer et
Bernard Malamud.

Directeur de la revue en langue yiddish Forverts entre 1903 et 1946
qui compta plusieurs centaines de milliers de lecteurs, Abraham
Cahan décrivit ainsi dans ses œuvres le microcosme de cette
communauté. Ses récits du ghetto de New York, Le Petit fiancé et
Circonstances, magnifiquement traduits par Isabelle Rozenbaumas,
permettent aujourd’hui de plonger avec délice dans ces aventures
où le tragique côtoie le burlesque. Le récit de ces immigrants est
ainsi traversé par les déchirures de l’exil. Les personnages tragi-
comiques de Cahan peinent à masquer la nostalgie de leur terre
natale. Ils sont touchants car leur douleur est universelle. Un peu
comme dans un film de Woody Allen où la comédie à la fois burlesque, ici en l’occurrence la fierté déçue du futur beau-père du
fiancé, et cynique – comme peut l’être l’humour juif – rivalise avec la
pudeur de leurs sentiments. On rit et on pleure en même temps. Une
faille née de la privation des racines dans laquelle se cache la joie
d’êtres critiquant une Amérique qu’ils ne voudraient cependant
quitter sous aucun prétexte. Un dilemme qu’habille magnifiquement
la prose d’Abraham Cahan.

Par Laurent Pfaadt

Abraham Cahan, Le Petit fiancé, récits du ghetto de New York,
traduits par Isabelle Rozenbaumas,
Aux éditions ZOE, 192 p.