Le Ravissement

un film d’Iris Kaltenbäck

1er long métrage remarquable, Le Ravissement, prix SACD au Festival de Cannes 2023, élève Hafsia Herzi (révélation 2007 de La Graine et le Mulet) au rang de grande héroïne romanesque, une sœur d’Adèle H qui aurait trouvé comment attirer l’attention de son amoureux et le garder, mais à quel prix !


© Mact Productions – Marianne Productions – JPG Films – BNP Paribas Pictures

Lydia est sage-femme. Elle sort d’une rupture amoureuse. Sa meilleure amie, Salomé, est enceinte. C’est Lydia qui l’accouche. Les jours suivants, Salomé vit très mal son post-partum. Le film explore ce que provoque l’arrivée d’un enfant dans un couple mais aussi son impact sur une relation d’amitié très forte. Lydia et Salomé (excellente Nina Meurisse) se retrouvent à la fois plus unies et dans l’élan de la rupture inéluctable de leur amitié. Lydia entretemps a rencontré Milos, un chauffeur de bus qui travaille essentiellement la nuit. Milos est arrivé quand il était enfant, avec sa famille qui fuyait la guerre en Serbie. Il ne veut pas être aimé, ne veut vivre que l’instant présent et ne penser ni au passé ni se projeter dans l’avenir. Alexis Manenti, César du meilleur espoir masculin dans Les Misérables en 2020 campe ici un homme taciturne loin de ses rôles d’homme fort et viril. Lydia, en revanche, a tant besoin d’être aimée, c’est d’ailleurs elle qui donne son nom à l’enfant que Salomé met au monde : Esmée, « celle qui est aimée ».

La réalisatrice a voulu emmener Hafsia Herzi dans le romanesque, dans le silence et la solitude, l’ayant poussée à exprimer beaucoup par peu de mots, à la recherche de l’émotion juste. Sage-femme est un métier et il fallait qu’on y croie. Un travail en amont a été opéré par Hafsia Herzi pour maîtriser les gestes de la parturiente. Le tournage de la séquence d’accouchement de Salomé s’est fait  dans une vraie maternité avec un dispositif propre au documentaire. « J’ai voulu filmer le travail de la sage-femme, qui travaille en étroite collaboration avec la mère pour mettre l’enfant au monde, avec une précision documentaire, sans recourir au discours. J’avais le sentiment que montrer ce métier par les gestes, c’était ce qu’il y avait de plus cinématographique. Je voulais filmer les gestes de cette sage-femme, qui grandissent jusqu’au passage à l’acte. »

L’idée du scénario est partie d’un fait divers mais la réalisatrice n’a pas mené d’enquête au-delà : « Je me suis vite rendue compte que je voulais aborder les passions qui animent et déchirent les gens par un autre biais que le droit. » Ce fait divers raconté en deux phrases : une jeune femme emprunte l’enfant de sa meilleure amie et fait croire à un homme qu’elle en est la mère, a ouvert les vannes de l’imaginaire. Il s’agissait de s’éloigner du naturalisme pour aller vers la fiction avec un personnage romanesque et de s’amuser avec les codes de ce genre. On pense à Truffaut par l’utilisation de la voix off, le procédé de l’ouverture et fermeture à l’iris, l’annonce en préambule du destin tragique. On pense au Ravissement de Lol V. Stein, le roman de Duras. À In the mood for love à l’écoute de la musique qui accompagne les errements de la jeune femme dans Paris de nuit, revisitée. Quant à Hafsia Herzi, elle semble une femme échappée des tableaux de Jean-Jacques Henner dont elle visite une exposition avec Milos. L’affiche du film est un hommage à sa beauté romantique.

Le Ravissement joue sur les registres du réalisme et du romanesque et ouvre sur le thriller. Lydia entre dans une spirale du mensonge et le film ménage un suspens jubilatoire pour le spectateur qui se demande comment elle va en sortir. Que celui qui voit le film en préserve le mystère !

Elsa Nagel