25 juin 2005. Mahyar Monshipour, champion du monde WBA des poids super-coqs, défend au Futuroscope de Poitiers son titre face au mexicain Julio Zarate. Pour Hebdoscope, il revient sur ce combat qui fait désormais parti des annales de la boxe française.
6 … 7 … 8 … Boxe
Cela faisait exactement 40 mois que je n’avais plus entendu ce décompte, si tenté que lors du dernier décompte, un 18 mars, je l’aie réellement écouté, entendu !!!
On était au quatrième round de la cinquième défense de mon titre. On était au Futuroscope, à onze kilomètres de mon domicile, devant le postier, le cafetier, le restaurateur, le pharmacien et tous ceux qui constituaient mon monde de tous les jours. Mon quotidien.
C’était un 25 juin, un samedi, de ceux propices aux joutes sportives. J’avais déjà effectué une longue préparation pour affronter un rugueux japonais, Shigeru Nakazato, le 29 avril précédent à Marseille. J’étais sorti vainqueur d’un véritable bras de fer en six reprises et après un court repos de trois-quatre jours, mes pas m’avaient à nouveau ramené à la salle et sur la piste.
Les deux combats n’étaient séparés que de huit semaines. Un trop court temps pour récupérer et recommencer. Mais de concert avec Mohamed Benama, « Ben », nous avions fait un mixte de deux préparations combinées. Il ne s’agissait pas là de préparer un combat, le gagner, se reposer et en préparer un nouveau. Il s’agissait de repartir aussitôt et repréparer une guerre. Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit sur un ring, ce cercle mal nommé.
Une alarme était apparue la semaine précèdent le combat. Une alerte, un appel à la prudence. J’étais assis dans le petit jardin de notre pavillon de la cité américaine toute proche du Centre hospitalier universitaire (C.H.U) Jacques Coeur. Il faisait beau et j’avais envie de voir la beauté de l’horizon formé de l’union du ciel et de la mer, de voir la beauté de cette moitié de l’humanité habillée de petits morceaux de tissus dès que la mer et le soleil apparaissent.
J’avais envie de flânerie et d’inconscience. J’avais envie d’ailleurs.
Et là, après une seconde préparation faite de sueur, de coups et de courses à en perdre le souffle, il fallait que je me batte à nouveau, encore et encore. Car je n’étais ni bagarreur, ni agressif. Je voulais bien revêtir l’habit de lumière du destructeur que je donnais à voir, il ne fallait pas pousser, pas si tôt. Aussi, affable avec les autres, je m’enfermais pourtant sur moi au dernier moment, juste avant la mise à mort.
Mise à mort.
Le lac, celui de l’amphithéâtre du Futuroscope était rempli de milliers de passionnés, de poitevins, de connaissances, de copains et d’amis. Ils étaient venus me voir triompher. Les autres, ceux qui viennent te voir lécher le sol, ramper, rouler, rompre, mourir…il fallait les décevoir.
Recevoir l’ovation à mon entrée sur le ring. Mes yeux humides, d’abord par l’émotion de cet accueil, ensuite par ma dévotion pour l’hymne de mon pays. Comme d’habitude, je l’ai chanté. J’ai chanté la marseillaise. Elle était jouée pour moi donc je l’ai chantée.
Julio était déjà là entouré de son équipe, une équipe de « pros » venue de Mexique. Il était là à m’attendre parce que le champion rentre en dernier sur le ring. Il n’a pas à attendre. Deux années avant, exactement vingt-quatre mois avant, c’était moi qui avais dû attendre en challenger le champion. Aujourd’hui, c’était moi le champ.
Puis le face à face, moi les yeux rivés et Julio, avec un buste mobile qui me fixait avec des yeux qui traçaient une arabesque au rythme des mouvements de son buste.
Boxe
L’arbitre, Monsieur Guillermo Perez Pineda, a commencé à se mouvoir autour de nous, discret, comme un papillon autour de deux flammes, deux flammes qu’il toise sans jamais toucher au risque de se brûler. Il tournait autour de nous, ponctuant ses pas de quelques gestes pour nous inviter à boxer, pour nous séparer, pour enlever des bras entremêlés. Des pas de danse qui ne durent que trois minutes et se succèdent jusqu’à la mort …
D’habitude, je sautais au cou de mes prétendants dès les premières secondes pour, à l’image du tigre qui agrippe sa proie, lui broyer les vertèbres, l’étouffer et l’amener vers une lente mais certaine agonie, longue de six à huit rounds. C’était toujours ainsi. N’étant pas un puncheur, mais un destructeur, j’harcelais mes adversaires jusqu’à les faire rompre après la mi-combat.
Mais là, j’avais peut-être encore la tête au soleil. Comme grillé par la chaleur de l’astre. J’étais étourdi, sans avoir mon objectif en tête. Je me suis contenté du minimum : dominer sans écraser. Tout allait bien, mais j’ai oublié que j’avais en face de moi un Mexicain, un dur à cuire, un serpent, un rude descendant des aztèques.
Au quatrième round, alors que depuis le début du combat, Julio s’arrêtait toujours net après de vaines tentatives de touche au foie, tentatives effectuées par un uppercut isolé. Il avait habitué mon corps à bloquer ce coup puis à me relâcher sans suite dans les idées. Mais il enchaîna avec un uppercut au menton et une droite. L’uppercut me toucha de plein fouet me déformant le visage, me faisant tourner le crâne sur son axe, me faisant chuter en arrière et me sauvant d’un knock-out certain. Je tombe en arrière et, en même temps, m’effondre sur moi-même. Sans cette chute, sa droite aurait atteint sa cible – ma mâchoire – et il aurait certainement fallu m’évacuer sur une civière. Au revoir le titre, salut la gloire. Or tombant en arrière et sur moi-même comme un bâtiment en destruction, dynamité, j’étais sauvé.
« Mahyar, ce n’est pas ici, au Futuroscope que tu vas perdre ??? Non, relève-toi et fais-lui la guerre » me suis-je dit
Lucide parce que fort et très bien entraîné, un regard vers Ben et un hochement de tête voulant dire « ça va Ben », je me relève et je lui cours dessus à l’annonce « Boxe » de l’arbitre. Tel un diable je me jette sur lui et je lui montre que je suis aussi le descendant de guerriers, de chevaliers ayant parcouru et conquis le monde, de la Grèce à l’Inde, de la Sibérie à l’Egypte. Si tu descends des aztèques, je suis un descendant des conquérants perses.
Quatre rounds où je me suis contenté du minimum. Quatre autres pour le faire rompre. Je lui ai couru tout ce temps dessus, pendant douze minutes d’un cauchemar pour lui, douze de rédemption pour moi. Il partait à gauche, j’étais déjà à sa droite. Il partait à droite, j’étais déjà à sa gauche. Et il ne pouvait reculer, adossé dos aux cordes. Les quatre cordes entourant le carré du ring étaient désormais les frontières de sa geôle. Il ne pouvait plus m’échapper.
« Mais que diable allait-il faire à cette galère. Il est vrai ; mais quoi ! on ne prévoyait pas les choses … » Comme lui aurait demandé Géronte et comme lui aurait répondu Julio.
Quatre rounds à me taper et quatre autres à me fuir. A la fin du huitième round, après exactement trente et une minutes de ce bras de fer, il rompit, s’avoua vaincu et me laissa encore Roi. Le Roi est mort, vive le Roi
Par Laurent Pfaadt