Pour certains pianistes, il y a des compositeurs qui tombent sous le sens. Pour Clément Lefebvre, il s’agit indiscutablement de Maurice Ravel. Après Rameau et Couperin, l’ancien vainqueur du Concours international de piano James Mottram de Manchester en 2016 nous livre un second enregistrement tout en poésie, magnifiquement porté par la sonorité de son Yamaha.
Son Ravel est plein de charme, d’une sensibilité exquise à l’image de cette magnifique Pavane pour une infante défunte. Nulle démonstration de force mais une fidélité au compositeur portée par une conception toute personnelle qui laisse la place au rêve. Son Tombeau de Couperin est une sorte de Rubens musical avec ses couleurs vives, éclatantes. L’auditeur se laisse ainsi porter par une forme de béatitude fort agréable et ne souhaite qu’une seule chose : que cela ne s’arrête pas.
Clément Lefevre sera présent au festival Piano au Musée Würth à Erstein, le 11 novembre 2021
La célébration du centenaire de la mort de Camille Saint-Saëns offre, comme à chaque anniversaire, l’occasion de réécouter sa musique symphonique et concertante à travers un foisonnement d’enregistrements. Parmi ce dernier se distingue incontestablement le disque de l’orchestre de la Philharmonie Südwestfalen, orchestre philharmonique de Westphalie du sud dirigé par son chef, Nabil Shehata.
Puisant dans son ADN romantique, l’orchestre offre ainsi une première symphonie de belle facture, célébrant avec brio les motifs éclatants de l’œuvre. La Bacchanale est, quant à elle, interprétée avec tout l’orientalisme musical requis. La violoncelliste Astrig Siranossian, compère de Nabil Shehata au sein du West-Divan Orchestra de Daniel Barenboïm, n’a ainsi qu’à se glisser dans l’écrin musical façonné par le chef et son orchestre pour nous interpréter un très beau concerto qui mérite d’être redécouvert et surtout, d’être rangé, grâce à cette interprétation assez inspirée, aux côtés des plus grands. Celle qu’on a découvert dans les concertos de Khatchatourian et Penderecki, dans un disque célébré par la critique, confirme ainsi avec Saint-Saëns son incroyable talent. Avec son jeu subtil et tout en couleurs, elle imprime sur ce concerto une marque indélébile qui la classe désormais au rang des interprètes de référence de l’œuvre.
La soprano polonaise Aleksandra Kurzak signe un
merveilleux disque consacré à Mozart
On ne présente plus Aleksandra Kurzak, l’une des plus belles voix du moment et compagne du ténor Roberto Alagna avec qui elle triomphe dans le monde entier. Mais, à chaque fois, à chaque note, à chaque concert, on tombe sous le charme de cette tessiture si singulière, emprunte à la fois de noblesse et de raffinement.
Ce nouveau disque consacré aux héroïnes de Mozart, de la Flûte enchantée à l’Enlèvement au sérail en passant par Cosi fan Tutte ou Zaïde, transpose littéralement l’auditeur dans cet univers mozartien. Et l’alchimie opère instantanément. Avec sa facilité incroyable de jouer de son amplitude vocale, passant aisément sur les ut et les contre-ut, Aleksandra Kurzak n’abuse pas pour autant de son talent. Pas de démonstration donc, ce qui est fort appréciable. Ses mélodies, parfaitement secondées par le Morphing Chamber Orchestra avec qui le dialogue est parfait, semblent écrire une histoire, raconter quelque chose. Pas besoin d’imposer son pouvoir pour l’exercer semble nous dire la soprano. Avec ce disque merveilleux, Aleksandra Kurzak nous couvre ainsi de baisers. Royaux pour l’occasion.
Par Laurent Pfaadt
Aleksandra Kurzak, Mozart Concertante, Morphing Chamber Orchestra Chez Aparté
Œuvre moins connue que son West Side Story, Candide, opérette en deux actes, relate, comme son nom l’indique les aventures du héros voltairien. Sorte de grand gâteau à la crème, très sucré, tirant ses influences à la fois de l’opérette à la française et notamment d’Offenbach mais également du bel canto et de Chostakovitch, l’œuvre a connu un échec retentissant lors de sa création en 1956. Enregistré à l’occasion de l’année Bernstein, cette nouvelle version permet quelque peu de réviser notre jugement.
Pour l’occasion, le London Symphony Orchestra (LSO) sous la conduite de l’expérimentée cheffe d’orchestre américaine Marin Alsop, a joué le jeu de la friandise. Exploitant merveilleusement la dimension burlesque de l’œuvre pour en tirer une interprétation haute en couleurs, Marin Alsop laisse l’orchestre londonien respirer afin d’éviter l’indigestion. L’écoute en est plus plaisante, les chanteurs prenant dans cette douceur toute leur place. Leonardo Capalbo apparaît très convaincant en Candide tandis que Jane Archibald offre une incroyable prestation en Cunégonde, virevoltante dans « Glitter and be gay ». Sans oublier évidemment la toujours pétillante Anne-Sophie Otter brillante en Old Lady et dont le « I am Easily Assimilated » restera certainement dans toutes les têtes.
Par Laurent Pfaadt
Leonard Bernstein, Candide, London Symphony Orchestra, dir. Marin Alsop, LSO label
Un coffret rend hommage au violoniste et chef d’orchestre
letton Gidon Kremer
Que dire de Gidon Kemer si ce n’est qu’il est, comme l’a affirmé en 1975 Herbert von Karajan « le plus grand violoniste du monde » à une époque où vivaient Yehudi Menuhin ou Leonid Kagan. Ce mot de l’un des plus grands chefs d’orchestre du 20e siècle que l’on retrouve dans ce merveilleux coffret à la tête des Berliner Philharmoniker, pour un superbe concerto de Brahms où Kremer fait rayonner le faux Gudagnini de son grand-père, traduit l’importance de Gidon Kremer non pas dans l’histoire du violon mais dans l’histoire de la musique tout court, en digne successeur des Joseph Joachim et Henri Vieuxtemps.
Lauréat du concours Tchaïkovski en 1970 et ayant suivi les cours du grand Oïstrakh, Gidon Kremer s’imposa très vite sur les scènes européennes, notamment en Allemagne et en Autriche. Ce coffret qui réunit ses enregistrements chez Erato, Teldec et EMI Classics fait bien évidemment la part belle aux grandes œuvres du répertoire concertant (Beethoven, Brahms, Schumann ou Sibelius) en compagnie des plus grands orchestres et chefs (Riccardo Muti, Christoph Eschenbach, Sir Simone Rattle, Nikolaus Harnoncourt avec un magnifique Beethoven où Kremer impose son incroyable cadence). Le génie de Kremer se mesure, s’apprécie à chaque CD, à chaque morceau. L’auditeur est ainsi frappé par sa capacité à interpréter avec la même maestria une musique de film de Nino Rota, une sonate de Schumann et les étranges et dissonants concertos d’Alfred Schnittke.
A ce titre, ce coffret montre à quel point Kremer a très tôt été un ardent promoteur de la musique contemporaine. Interprète de Philip Glass, d’Arvo Pärt dont il est l’un des proches, d’Astor Piazzolla, de Peteris Vasks , de Giya Kancheli ou de Sofia Gubaidulina, le violoniste letton a surtout entretenu une relation particulière avec le compositeur russe Alfred Schnittke qui lui dédia son quatrième concerto. Cette musique où l’on peut « ressentir la respiration, la vulnérabilité et la vie intérieure profondément tordue d’un artiste à l’individualité forte » a très vite fasciné Kremer.
Et pour encourager cette musique parfois difficile d’accès au regard des « tubes » beethovéniens ou mozartiens, Gidon Kremer créa, il y a vingt-cinq ans – et ce coffret est aussi l’occasion d’un anniversaire – la Kremerata Baltica, formation de chambre qu’il dirige encore aujourd’hui sur les scènes du monde entier et réunissant des musiciens baltes. L’auditeur sera particulièrement attentif à Distant Light (Tala Gaisma) de Peteris Vasks, concerto pour violon et orchestre de chambre que Kremer écrivit à la demande du compositeur
Les diverses œuvres réunies sont aussi l’occasion d’entendre les compagnons de route de Gidon Kremer depuis près d’un demi-siècle : les pianistes Martha Argerich avec qui donna le magnifique récital de Berlin en 2006, Vadim Sakharov et Oleg Maisenberg particulièrement magique dans une très belle interprétation de la deuxième sonate pour violon et piano de Bartok et enfin l’altiste Yuri Bashmet avec qui il partage la passion de Schnittke, notamment dans le Concerto for Three. Façon de dire qu’avec Kremer la musique reste toujours une histoire de passion.
Par Laurent Pfaadt
Gidon Kremer, The Warner Collection, Complete Teldec, Emi Classics et Erato Recordings, 21 CD Chez Warner Classics
Les 2e et 3e concertos pour piano de Rachmaninov constituent encore des passages obligés du disque pour tout pianiste désireux de construire une carrière sur la durée. Le Coréen Jae-Hyuck Cho, également organiste (que les Français ont pu apprécier en 2019 avec un disque remarqué sur l’orgue de la Madeleine chez Evidence), est allé à Moscou se confronter à ces deux sommets pianistiques. En compagnie du Russian National Orchestra, l’orchestre de Mikhail Pletnev qui a cédé pour l’occasion sa baguette au chef autrichien Hans Graf, le pianiste a gravi lentement les accords qui mènent au sommet.
Sans se presser et avec une intelligence mise au service de sa formidable technique, Jae-Hyuck Cho délivre une très belle interprétation, très subtile, sans tomber dans le piège de la performance. Avec l’orchestre, la complicité est évidente notamment dans l’adagio du Rach 3, Hans Graf laissant au pianiste toute la place qui lui revient avant que n’éclate la virtuosité de Jae-Hyuck Cho dans ce très beau final. Preuve que les grandes aventures s’écrivent toujours collectivement.
Par Laurent Pfaadt
Rachmaninov, Piano concertos n°2 & 3, Jae-Hyuck Cho, Russian National Orchestra, dir. Hans Graf, Chez Evidence
On avait laissé sur notre platine CD le requiem de Verdi et l’orchestre de la radio bavaroise avec le magnifique enregistrement du regretté Mariss Jansons en 2014. Et voilà qu’à l’occasion du 80e anniversaire de Riccardo Muti, l’orchestre nous rappelle que le chef d’œuvre sacré du maître du bel canto fait partie de son ADN.
Dans cette interprétation de légende enregistrée au Herkulessaal en 1981 qui compte une distribution d’anthologie – Jessye Norman, Agnès Baltsa, José Carreras et la basse Yevgueni Nesterenko disparue en mars dernier – le passionné de musique embarque pour un voyage au pays des morts qu’il n’est pas prêt d’oublier. Après le fracas d’un Dies Irae à faire trembler le paradis, la barque musicale de Riccardo Muti navigue avec bonheur et délectation dans ce requiem. Porté par quelques-unes des plus belles voix de cette fin de 20e siècle et par un chœur célébré dans le monde entier, passant avec la même excellence du Sanctus à l’Agnus Dei, l’auditeur est tantôt secoué, tantôt charmé par tant de beautés. Car comment ne pas rester ébahi devant ce sublime Lacrymosa porté en autres par des Norman et Carreras à leur sommet, ou devant le ténébreux Confutatis où résonne avec solennité le timbre de Nesterenko.
Indubitablement, un disque à posséder.
Par Laurent Pfaadt
Giuseppe Verdi, Messa Da Requiem, Chor und Symphonieorchester des Bayrischen Rundfunks, dir. Riccardo Muti Chez BR Klassik, RMM
D’abord l’instrument. Puis l’interprète. C’est ce que ressent l’auditeur dès les premières notes de ce très beau disque signé Tedi Papavrami, l’un des violonistes classiques les plus talentueux de sa génération. Le violoniste albanais nous offre ainsi, dix-sept ans après un premier enregistrement, un nouveau périple à travers ces chefs d’œuvre de Jean-Sébastien Bach. Tantôt empreints de gravité comme dans la troisième Partita, tantôt plus virevoltants (Première partita), le violoniste avance avec humilité dans l’univers du génie. Pas de vibrato mais une technicité pure, sans fioriture, bluffante comme dans cette double de la Première Partita. C’est véritablement un Bach aux multiples couleurs qui jaillit du violon dans cet enregistrement dont il faut souligner la très belle prise de son réalisée dans l’écrin de l’Arsenal de Metz. Des couleurs sans vernis avec une interprétation qui sent le bois dont on fait les orgues, les violons. D’abord l’instrument. Ensuite l’interprète donc.
Et puis vient la Chaconne, cet Everest du violon que Tedi Papavrami transforme en Eden. Il y restitue à merveille la grande sensibilité inhérente à l’œuvre qui lui donne ce caractère intemporel absolument remarquable. Elle est une sorte de sablier que l’on regarde se vider en prenant conscience que le temps perdu ne se rattrape jamais. Un pur moment de grâce.
Par Laurent Pfaadt
Tedi Papavrami, Bach, Sonatas et Partitas, Chez Alpha Classics
Après avoir traversé l’histoire de la musique d’Hildegarde de Bingen à Alex Nante, Marianne Piketty et son ensemble, le Concert Idéal, ont arrêté leur barque musicale dans la lagune de la Sérénissime. Violon sous le bras, Marianne Piketty est allée à la rencontre du mythique Vivaldi. Mais sa quête n’a pas eu pour but de trouver le Vivaldi des Quatre Saisons mais plutôt celui des salons où résonnaient encore les sonates et symphonies aujourd’hui oubliées du prêtre roux.
Ce disque est le résultat de cette opiniâtreté et, il faut bien le dire, de l’excellence musicale du Concert Idéal. Dès les premiers accords de cette incroyable reconstitution du concerto pour violon et violoncelle « per Chiaretta e Teresa » ou de cette sonate « al Santo Sepolcro », on reste bouche bée devant l’alchimie musicale ainsi produite. C’est un Vivaldi intime et sensible qui nous ait dévoilé notamment dans le larghetto du concerto pour violon en si mineur RV390. En compagnie d’autres compositeurs vénitiens dont le non moins célèbre Tomaso Albinoni, passé à la postérité pour son Adagio, le Concert Idéal nous offre ainsi quelques diamants ainsi que les premiers enregistrements mondiaux d’œuvres appelées à figurer au répertoire baroque dans les années à venir. Voguant sur les canaux musicaux de Venise, le disque du Concert Idéal n’a ainsi jamais aussi bien porté son nom…
Par Laurent Pfaadt
Vivaldi, l’âge d’or, Le Concert Idéal, Marianne Piketty, Chez Evidence
Après avoir traversé l’histoire de la musique d’Hildegarde de Bingen à Alex Nante, Marianne Piketty et son ensemble, le Concert Idéal, ont arrêté leur barque musicale dans la lagune de la Sérénissime. Violon sous le bras, Marianne Piketty est allée à la rencontre du mythique Vivaldi. Mais sa quête n’a pas eu pour but de trouver le Vivaldi des Quatre Saisons mais plutôt celui des salons où résonnaient encore les sonates et symphonies aujourd’hui oubliées du prêtre roux.
Ce disque est le résultat de cette opiniâtreté et, il faut bien le dire, de l’excellence musicale du Concert Idéal. Dès les premiers accords de cette incroyable reconstitution du concerto pour violon et violoncelle « per Chiaretta e Teresa » ou de cette sonate « al Santo Sepolcro », on reste bouche bée devant l’alchimie musicale ainsi produite. C’est un Vivaldi intime et sensible qui nous ait dévoilé notamment dans le larghetto du concerto pour violon en si mineur RV390. En compagnie d’autres compositeurs vénitiens dont le non moins célèbre Tomaso Albinoni, passé à la postérité pour son Adagio, le Concert Idéal nous offre ainsi quelques diamants ainsi que les premiers enregistrements mondiaux d’œuvres appelées à figurer au répertoire baroque dans les années à venir. Voguant sur les canaux musicaux de Venise, le disque du Concert Idéal n’a ainsi jamais aussi bien porté son nom…
Par Laurent Pfaadt
Vivaldi, l’âge d’or, Le Concert Idéal, Marianne Piketty Evidence