Mille et Un Prix

La cérémonie du 17e Sheikh Zayed Book Award a consacré à la fois grands noms de la culture arabe et nouveaux talents

A l’image d’un conte de fées moderne, tant pour les spectateurs que pour les vainqueurs, les Emirats Arabes Unis avaient mis les petits plats dans les grands. Cérémonie tirée au cordeau digne des Oscars, hymne national et visite d’un membre de la famille royale pour récompenser des lauréats qui s’étaient mis sur leur trente-et-un. Il n’en fallait pas moins pour inscrire un peu plus ce prix dans la galaxie des grands prix littéraires de la planète au côté de l’International Booker Prize remis au même moment à Londres. Mais si de ce côté-ci de la planète, le livre à l’honneur s’intitulait Le pays du passé (Time Shelter), ici dans l’Emirat, il fallait plutôt parler de cité de l’avenir. Celle d’un pays qui inscrit un peu plus son nom dans l’histoire en tant que grande nation culturelle moderne. Et s’il ne fallait qu’une preuve de ce rayonnement, on citerait le nombre toujours plus important de candidatures émanant de femmes écrivaines. C’est d’ailleurs de ces dernières et de la création littéraire féminine dont il est question dans le travail de la chercheuse tunisienne Jalila Al Tritar récompensée dans la catégorie critique artistique et littéraire. Une autre femme, l’héroïne du roman de Saïd Khatibi, The end of the desert, a également valu à son créateur le prix jeune auteur.


The six winners of the SZBA 2023
© SZBA

Si le comité scientifique présidé par le Dr Ali Bin Tamim a choisi deux grandes lumières de la culture arabe, celle des mots du grand poète irakien Ali Jaafar Al-Allaq ainsi que celle du compositeur et musicien égyptien Omar Khairat qui a souligné lors de la réception de son prix récompensant la personnalité culturelle de l’année, que « la musique était l’âme de tous les arts », ce même comité a également voulu récompenser le travail de longue haleine entrepris par ceux qui concourent à faire d’une idée, d’une vision un livre à vocation universelle : les traducteurs et les éditeurs. Si ces derniers étaient représentés sur la scène par El Ain, une maison d’édition égyptienne fondée depuis une vingtaine d’années et qui compte déjà à son actif plusieurs « Goncourt » arabes – l’International Prize for Arabic Fiction – le Sheikh Zayed Book Award est également venu couronner le travail patient, de longue haleine, digne d’un enlumineur – il a mis cinq ans à traduire le livre de Michel Schneider sur le plagiat (Voleurs de mots, Gallimard) – du tunisien Chokri Al Saadi. « On s’efforce d’être fidèle au texte. Mais la fidélité parfaite n’existe pas. Il y a des degrés de fidélité et la tâche du traducteur consiste à s’approcher le plus possible de cet état de perfection de la traduction » estime ainsi celui dont le prix a également permis de mettre en lumière toute la richesse de la langue arabe.

Restait bien évidemment notre fierté nationale de voir Mathieu Tillier monter sur scène et recevoir son prix des mains du prince Sheikh Nahyan bin Zayed Al Nahyan, Président du Board of Trustees of the Zayed Bin Sultan Al Nahyan Charitable and Humanitarian Foundation and Président de l’Abu Dhabi Sports Council, pour son livre traitant du système judiciaire durant les premiers siècles de l’Islam qui a coiffé au poteau ceux d’historiens établis comme l’autre historien français de la shortlist, Gabriel Martinez-Gros (De l’autre côté des croisades, Passés composés) ou Béatrice Gründler et son livre The Rise of the Arabic Book publié par l’université d’Harvard en 2020. Une surprise uniquement pour son auteur tant l’ouvrage qui croise papyrus arabes, droit musulman archaïque et textes canoniques syriaques a immédiatement suscité l’attention du comité scientifique après avoir passé les fourches caudines des évaluateurs, sorte d’étape préalable, qui proposent une liste de trois ouvrages. « L’un des évaluateurs avait mis l’ouvrage de Mathieu Thillier en tête de sa liste. Et celui-ci a séduit le jury par son académisme et son sérieux notamment dans la recherche des sources. Et dans ce prix, on n’évalue pas une œuvre mais un livre. Voilà pourquoi il a gagné » estime Floréal Sanagustin, professeur de langue et de civilisation arabes à l’université de Lyon et membre du comité scientifique du SZBA.

HH Sheikh Nahyan bin Zayed Al Nahyan
© SZBA

La présence de deux finalistes français et l’obtention du prix par Mathieu Tillier vont-ils permettre au Sheikh Zayed Book Award de gagner en notoriété en France ? Il faut l’espérer. « Je pense que le prix Sheikh Zayed obtenu par Mathieu Thillier va faire boule de neige car c’est un grand prix littéraire. Il faudrait cependant dans les prochaines années d’autres lauréats issus de pays non anglophones afin poursuivre ce rayonnement » insiste le professeur Sanagustin.

« Ce qui doit survenir ne saurait s’éviter, ce qui n’est pas écrit ne t’est pas destiné » proclame ainsi le conte du pêcheur et du démon des Mille et Une Nuits. Autant dire que cette année, le Sheikh Zayed Book Award a écrit une nouvelle fois son nom dans la légende du livre arabe, une légende appelée, comme le célèbre conte, à demeurer dans toutes les têtes.

Par Laurent Pfaadt

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Portrait d’Omar Khairat, Prix Sheikh Zayed Book Award personnalité culturelle 2023 :

http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/omar-khairat-sheikh-zayed-book-award-2023/