Mathieu Tillier, lauréat du Sheikh Zayed Book Award 2023

L’historien français remporte le plus important prix littéraire du monde arabe dans la catégorie culture arabe dans une autre langue

Le professeur d’histoire islamique médiévale à la Sorbonne était plus habitué au silence d’austères bibliothèques universitaires plutôt qu’aux flash et aux ors d’Abu Dhabi. De son propre aveu, ce prix fut une surprise. « Je ne m’attendais pas du tout à ce prix. Le livre qui a été couronné est sorti il y a quelques années. Même s’il a reçu un bon accueil dans la communauté scientifique, le fait qu’il soit écrit en français ne me laissait pas présager qu’il serait remarqué par les organisateurs de ce prestigieux prix » nous a-t-il confié en exclusivité. Il va pourtant devoir s’y faire, surtout lorsqu’un membre de la famille royale des Emirats Arabes Unis viendra lui remettre le prix, fin mai lors de la cérémonie des lauréats. Son livre L’invention du cadi. La justice des musulmans, des juifs et des chrétiens aux premiers siècles de l’Islam, publié aux éditions de la Sorbonne, celles de son université en 2017 examine ainsi l’évolution du système judiciaire au cours de la première période islamique, en mettant en lumière diverses questions cruciales, telles que le processus de dépôt des plaintes et des affaires, leur cheminement juridique et les personnes chargées de rendre les jugements définitifs. Voué à demeurer confidentiel avec un tirage limité, ce livre se voit aujourd’hui propulsé dans la lumière grâce au Sheikh Zayed Book Award.


Mathieu Tillier

Après l’écrivain franco-libanais, Amin Maalouf, Prix Goncourt 1993 pour Le Rocher de Tanios, membre de l’Académie française, et récompensé dans la catégorie Personnalité culturelle de l’année en 2016, Mathieu Tillier devient ainsi le second Français à obtenir le Sheikh Zayed Book Award, l’un des plus prestigieux prix littéraires du monde arabe et dont la principale mission est de promouvoir et de rendre hommage aux intellectuels, chercheurs, autrices et auteurs, traducteurs, éditeurs et institutions qui ont apporté une contribution significative à la littérature, aux sciences sociales, à la culture et aux savoirs modernes liés au monde arabe. A travers lui, c’est aussi la France, la langue française et les institutions culturelles françaises qui sont récompensées. « Je suis très touché par cette reconnaissance d’un travail de longue haleine, qui m’a occupé pendant près d’une décennie. C’est pour moi un honneur d’autant plus grand que cette reconnaissance vient d’un jury international composé d’éminents spécialistes de la culture arabe. Cette récompense honore aussi toutes les institutions, françaises et européennes, dont le soutien m’a permis d’aller au bout des recherches qui sont au cœur de cet ouvrage. Qu’un ouvrage en français soit ainsi primé me semble donner quelque espoir à la francophonie, en dépit de la domination de l’anglais dans les échanges scientifiques » poursuit-il.

Le Sheikh Zayed Book Award qui fêtera cette année sa 17e édition fait également coup double puisqu’en plus de couronner un historien français, il gagne en visibilité dans un pays, la France, où il est encore méconnu et parfois, à tort, caricaturé alors qu’il a couronné des écrivains de grand talent comme l’algérien Waciny Laredj, la palestino-américaine Ibtisam Barakat ou l’égyptiennne Iman Mersal en 2021 qui sera présente cette année lors de la remise des prix. Ce prix vient également renforcer un peu plus les Emirats Arabes Unis en tant qu’épicentre culturel du Moyen-Orient.

Mathieu Tillier complète ainsi un palmarès où figurent le poète, critique, professeur à l’université de Bagdad et à l’université Mustansiriyah et rédacteur en chef du magazine Al-Aqlam, Ali Ja’far al-Allaq (Irak), pour son ouvrage Ila Ayn Ayyathouha Al Kaseedah (« Whereto, O Poem? » Une Autobiographie), publié par Alan Publishers and Distributors en 2022 dans la catégorie reine, celle de la littérature, Said Khatibi (Algérie) pour Nehayat Al Sahra’a (La fin du désert), publié par Hachette Antoine / Nofal en 2022 (Jeune Auteur), et Chokri Al Saadi, pour sa traduction de l’anglais vers l’arabe de ‘Al-Ibara wa-al-Mi’na : Dirasat fi Nathariyat al-A’amal al-Lughawiya’ (Expression and Meaning : Studies in the Theory of Speech Acts) du philosophe et linguiste américain John R. Searle, publié par le ministère des Affaires culturelles – Institut tunisien de la traduction en 2021.

La France faillit réussir un doublé mais pour la deuxième année consécutive, les éditions Sindbad ratent le prix dans la catégorie Edition et technologie, au profit de la maison d’édition indépendante égyptienne, ElAin Publishing  (Égypte). Enfin, dans la catégorie critique littéraire et artistique, l’auteure tunisienne Dr. Jalila Al Tritar est couronnée pour son essai Mara’i an-Nisaa’: Dirasat fi Kitabat al-That an-Nisaa’iya al-Aarabiya (Le point de vue des femmes: Études sur les écrits personnels des femmes arabes) publié par La Maison Tunisienne Du Livre en 2021.

Par Laurent Pfaadt

La remise des prix aura lieu le 23 mai à l’occasion de l’Abu Dhabi Book Fair, la Foire internationale du livre d’Abu Dhabi qui se tiendra du 22 au 28 mai. Chaque gagnant se verra remettre une médaille d’or, un certificat de mérite et une somme de 186 337 euros.