#Rentrée littéraire

Nous, les Allemands

Arrivé au terme de sa vie, Meissner, un ancien combattant de la Wehrmacht entame, depuis sa maison de retraite, un dialogue avec son petit-fils vivant à Londres où il entreprend de lui raconter ses années passées sur le front de l’Est. Il y servit pendant près de quatre ans, passant de son université de chimie et de l’exaltation qui suivit l’invasion de l’URSS à la déroute de l’armée allemande et du régime nazi qu’il servit. Meissner y évoque souvent la violence et les crimes commis, y compris à l’égard d’autres Allemands dans cette guerre qui était « une pure affaire de haine et d’annihilation ».


Face à ces crimes contre les populations russe et polonaise, face à cette complicité d’un homme ordinaire qui reconnaît lui-même que « si l’on n’était pas un héros, on se rendait complice par défaut », Alexandre Staritt n’apporte aucun jugement, préférant laisser le lecteur élaborer son propre jugement à travers un processus littéraire parfaitement abouti. Jusqu’à être au côté de Meissner à la barre du tribunal de l’Histoire où ce dernier récuse l’accusation de culpabilité, préférant celle de honte. La différence ? La honte « n’admet pas la réparation » se borne à répliquer Meissner car la honte permet d’avancer.

Le livre aborde ainsi avec une intelligence rare, la question cruciale de la transmission, à la fois privée mais également à l’échelle d’une nation, d’une mémoire entachée de crimes sans équivalents, d’une mémoire rongée par la faute collective. Car la reconstruction identitaire apaisée de Meissner et de l’Allemagne qui doit permettre aux générations suivantes de s’inscrire dans un destin futur commun, impose d’abord être purgée de tous les non-dits. En décortiquant la psyché de Meissner, Alexander Starritt rend ainsi intelligible la complexité de ces hommes ballotés entre culpabilité et fatalité. Meissner nous apparaît alors moins comme un criminel, un nazi aveuglé par l’idéologie mais plus comme un homme ordinaire emporté dans la tourmente de la guerre par un régime criminel auquel il tenta malgré tout de lui opposer sa conscience.

Reste la question douloureuse de l’appropriation de la culpabilité par son petit-fils, Callum, dont la germanité n’est qu’une composante d’une identité hybride forgée dans l’Europe d’après 1945 et la mondialisation des années 2000. Est-on coupable des crimes de ses aïeuls du seul fait d’appartenir à une communauté nationale ? Partage-t-on des valeurs communes avec certains de ses membres qui ont commis l’innommable ? Si le lecteur, en entamant ce livre pouvait y souscrire, il le referme en étant convaincu du contraire. Chacun, même s’il n’est qu’un rouage, peut disposer de sa conscience. Alexander Starritt montre ainsi avec ce livre brillant qui réduit en miettes toute tentative d’enfermer un peuple dans un manichéisme caricatural que, même dans les ténèbres les plus obscurs, chacun dispose toujours de son libre-arbitre. Magnifique leçon littéraire et humaine.

Par Laurent Pfaadt

Alexander Starritt, Nous, les Allemands
Aux éditions Belfond, 208 p.