Si loin et pourtant si proche

Staatsoper Berlin
TANNHÄUSER © Bernd Uhlig

Quand Wagner
rencontre Bausch.
Déroutant et
épatant

Le Staastoper de
Berlin reprenait son
Tannhäuser présenté
en avril 2014 sous la
direction de Daniel
Barenboïm. Dès
l’ouverture jouée avec mesure, l’étrange et l’originalité captent l’attention du public
dans ce Venusberg en forme de grand cône. Puis, des formes
apparaissent, entre créatures mythologiques et insectes. Une
chorégraphie se met alors en branle, accompagnée par une harpe et
des cordes. L’opéra  de Wagner peut débuter.

Il conte le concours de chant d’un homme lancé dans une quête de
l’amour et qui finalement trouvera cette dernière dans Dieu. La mise
en scène signée par la paire Sascha Waltz – Pia Maier Schriver est
parfois déroutante car elle n’obéit qu’à son propre univers assez
fascinant au demeurant. On navigue entre des références
composites associant ces nobles, ces aristocrates ancrés dans un
19e siècle bourgeois, des décors minimalistes qui font penser à un
monde futuriste et cette lumière qui rappelle l’univers d’Edward
Hopper.

Ainsi mis en scène, l’opéra se transpose du Moyen-Age à notre
époque voire à celle qui nous attend. Derrière une palissade de
bambous ou sur un parquet éclairé par une lumière orangée se
jouent les destins de ces personnages entrecoupés de
chorégraphies influencées par Pina Bausch. Avec cette mise en
scène épurée qui fonctionne très bien, la noblesse médiévale laisse
place à une modernité saisissante. Elisabeth n’est plus la nièce du
landgrave mais une simple femme abandonnée qui se meurt d’avoir
trop aimée. Tannhäuser n’est plus un pèlerin catholique mais un
homme blessé et perdu qui a cherché son salut dans une idéologie.

Evidemment, tout cela ne marche qu’avec des voix capables
d’incarner ces personnages immortels à commencer par le couple
Elisabeth/Tannhäuser qui nous offre une belle prestation
notamment dans la fameuse romance à l’étoile. Anna Schwanewilms
est fidèle à elle-même c’est à dire superbe. Elle irradie l’opéra de sa
présence. Assurance dans la voix, charisme sur scène, elle campe
une Elisabeth tellement humaine avec quelques moments de brio
comme sa prière dans le troisième acte. Oublier les seconds rôles
serait allé un peu vite en besogne. Marina Prudenskaya personnifie
à merveille Venus, sorte de Freyja échappée du Ring et son air au
premier acte est teinté d’une incroyable brillance. Et puis René Pape
bien entendu, toujours au sommet, ici dans un landgrave très réussi
qui complète, avec le baryton Wolfgang Koch, une distribution très
convaincante.

Restait à l’orchestre à s’insérer dans ce maelstrom parfaitement
organisé en adoptant une attitude mesurée. Sous la conduite de
Simone Young, il ne cherche pas à produire un Wagner monumental
mais plutôt à accompagner cette histoire démythifiée. L’ouverture
ou le chœur des pèlerins sont là, bien en place. Le hautbois et le cor
sonnent là où il le faut mais jamais, ils n’en font plus qu’il ne le faut.
Au final, l’orchestre ne délivre pas une démonstration et grâce à son
ton juste, il révèle l’incroyable modernité d’un opéra qui, depuis sa
composition, n’a eu de cesse de se réinventer pour séduire encore et
toujours de nouveaux publics.

Laurent Pfaadt