Après avoir dû annuler les JCE:2020 à cause du Covid-19, les organisateurs lancent une deuxième tentative : du 2 au 16 mai 2021, des artistes venus d’Europe et d’ailleurs se pencheront sur le thème « L’Europe, une promesse ». La crise du coronavirus nous a montré de manière dramatique la fragilité de l’idée d’une Europe unie et ouverte en temps de crise. Il est plus important que jamais d’examiner avec un œil neuf les promesses de l’Europe – le sujet initial des JCE:2020 – et de chercher des inspirations pour une nouvelle Europe basée sur la solidarité et la coopération.
L’Europe, que représente-t-elle ? Quelles espérances portent encore notre continent ? En luttant contre la pandémie, l’Europe a-t-elle remis en question ses propres promesses ? L’Europe, est-elle prête à se battre pour faire respecter les droits fondamentaux et les droits de l’Homme ? Est-elle capable de les protéger contre les menaces permanentes ? Après 70 ans d’intégration économique, politique et surtout culturelle, l’Europe se divise-t-elle ? Nous voulons réfléchir ensemble sur ces questions et éclairer « L’Europe, une promesse » par le biais de l’art et de la culture.
Samstag 08. Mai – Sonntag 16. Mai | E-WERK Freiburg
Bildmarke NO Elefants Illu. Silvia Wagner
Mit NO ELEPHANTS entsteht in Freiburg ein neues Festival für aktuelle Zirkuskunst.
Die rasante Entwicklung des zeitgenössischen Zirkus in Deutschland ruft nach der Sichtbarmachung der Kunstform. Die Freiburger Zirkustage werden ein Schaufenster für die aktuelle künstlerische Entwicklung im Südwesten sein. NO ELEPHANTS wird vom Freiburger E-WERK produziert, Kurator ist Stefan Schönfeld. Das Festival soll biennal stattfinden und sowohl Programme aus der Region als auch Gastspiele präsentieren.
Pandemiebedingt können leider nur Live-Streams stattfinden, so dass nicht auf das ursprünglich geplante „große“ Programm zurückgegriffen werden kann. Gestreamt werden können jedoch die neue Produktion von momentlabor „HYRRÄ PARATIISI“, ein Abend mit Freiburger Kurzstücken „SHORTS“ sowie die Performance „O“ von und mit Sandra Hanschitz.
Aktuelle Informationen zu den Veranstaltungen und deren Formate erscheinen kurzfristig auf www.ewerk-freiburg.de
Livestreams über #infreiburgzuhause: Sa 08.05. | « hyrrä paratiisi“ | 20:00 Uhr Sa 15.05. | « Freiburger shorts » | 20:30 Uhr So 16.05. | « O » Sandra Hanschitz | 18:00 Uhr
Nous avions quitté Nicolas Ross en plein Paris de la fin des années 30, lorsque les agents du NKVD kidnappaient Yevgueni Miller, le chef de l’émigration russe blanche opposé à Staline que ce dernier fit d’ailleurs exécuté le 11 mai 1939. Moins de quatre mois plus tard, la Wehrmacht envahissait la Pologne, entraînant l’Europe et le monde dans la seconde guerre mondiale, et préparant moins de deux ans plus tard, l’invasion de l’URSS.
Le cours de l’histoire venait de basculer et les anciens partisans du tsar pensaient alors tenir leur revanche et chasser la peste bolchevique de leur Russie éternelle. Sauf que leurs stratégies divergaient : attendre la chute du régime soviétique ou le provoquer, quitte à collaborer avec l’occupant. Avec l’érudition et la fluidité qui caractérisent son récit, Nicolas Ross nous emmène ainsi au sein de la diaspora russe blanche, dans chaque cercle, chaque officine, de la Yougoslavie à la Pologne en passant par la France. Dans ce pays qui compta la plus forte concentration d’émigrés – près de 100 000 – les anciens partisans du tsar eurent malheureusement à subir l’amalgame d’une population voyant dans chaque russe, un espion potentiel de Staline.
Mois après mois, année après année, leurs initiatives convergèrent vers « l’incontournable » Andreï Vlassov, héros soviétique de la défense de Moscou en décembre 1941 qui constitua, avec l’aide d’un Führer et d’un Himmler réticents, une armée de libération nationale (ROA). S’y retrouvèrent selon le vieil adage voulant que « les ennemis de mes ennemis sont mes amis », anciens partisans de Wrangel et de Trotski. Nicolas Ross brosse ainsi une fascinante galerie de portraits, entre ataman cosaque supplétif de la Wehrmacht et prince russe engagé dans la LVF. Cependant, rappelle-t-il, leurs espoirs demeurèrent finalement vains : « Vlassov ne fut qu’un nom et un emblème sans pouvoir réel autour duquel s’organisait la propagande allemande ». Entre désillusions – les Russes blancs restèrent cantonnés à la guerre contre les partisans russes ou yougoslaves – et répressions, ces diverses résistances s’achevèrent au goulag ou avec une balle dans la nuque dans les caves de la Loubianka. Le récit de Ross s’achève, lui, dans l’enceinte de la prison de Boutyrka, le 2 août 1946, lors de l’exécution de Vlassov et de ses compagnons avec cette même constatation : à la fin, c’est toujours Staline qui gagne.
Par Laurent Pfaadt
Nicolas Ross, Entre Hitler et Staline, Russes blancs et Soviétiques en Europe durant la Seconde Guerre mondiale Aux Editions des Syrtes, 397 p.
Les femmes écrivent le monde. Avec cette ambition, le décor de Dalva, nouvelle maison d’édition, est posé. Fondée par l’ancienne directrice éditoriale du domaine étranger chez Buchet-Chastel, Juliette Ponce, Dalva souhaite devenir le creuset de ces nouvelles plumes féminines qui racontent nos sociétés, notre monde. Rencontre
Pourquoi ce nom de Dalva ?
Je crois que certains personnages de fiction peuvent laisser une empreinte profonde chez leurs lecteurs, influer sur eux au moins autant que des personnes réelles. C’est un peu pour moi le cas de Dalva, l’héroïne du roman éponyme de Jim Harrison. J’ai lu ce roman quand j’étais adolescente. L’image que j’ai gardée de ce personnage ne s’est jamais effacée : une femme libre et émancipée, sensuelle, profondément connectée à la nature qui l’entoure et animée d’une quête intellectuelle et culturelle forte. Quand je me suis mise à réfléchir à ce nouveau projet éditorial, quand mes envies ont commencé à se mettre en place et que je cherchais un nom, Dalva m’a semblé une évidence.
Pourquoi choisir de ne publier que des femmes ?
Quand, dans d’autres maisons, j’ai publié des voix de femmes très fortes, comme les livres de Viv Albertine ou Miriam Toews, j’ai senti qu’il y avait une véritable adéquation entre mon envie de lectrice et d’éditrice de lire et de publier davantage de femmes et la réception très enthousiaste que le public réservait à ces récits de destins féminins. Pourtant, au sein d’une collection de littérature générale, je sentais aussi que le propos de ces livres perdait de son intensité. Je pense qu’il y a des lacunes dans l’édition française, où les autrices restent très minoritaires. Je ne dis pas que les éditeurs ont des réticences mais c’est un fait : nous publions davantage les hommes. La littérature, dans ce qu’elle a d’universel, en pâtit forcément. Parions que regrouper ces voix sera une force. Parce qu’il me semble que ces autrices ont des démarches qui sont cohérentes. Que les associer aurait un sens et permettrait d’invoquer la belle énergie qui se dégage de leurs écrits.
Concrètement, que va-t-on lire chez Dalva ?
Je suis convaincue qu’en France on pourrait mettre en lumière ce que les femmes ont à dire de manière plus joyeuse et positive. J’ai envie de porter des voix d’autrices fortes, de valoriser leur art, leur réussite. Celles que j’ai choisi de défendre ont en commun leur talent littéraire autant que des personnalités fascinantes. Elles sont pour moi des sources d’inspiration au quotidien. Peut-être par goût personnel, j’aime les histoires d’émancipation, d’avancée. Il y a des thématiques qui me passionnent comme les relations entre générations, la question de la liberté et, évidemment, du prix à payer pour cette liberté dans nos sociétés contemporaines. Je suis également très intéressée par les femmes qui parlent de la nature, disons par ce que l’on appelle le nature-writing au féminin. Si la maison fait ses premiers pas avec exclusivement de la littérature étrangère, j’espère bien ouvrir très vite le catalogue à la littérature française. J’adorerais publier des autrices dans la lignée de Violaine Huisman, Nastassja Martin ou Florence Aubenas…
Par Laurent Pfaadt
Premiers livres à paraître en mai 2021 avec L’Octopus et moi de la Tasmanienne Erin Hortle et Trinity, Trinity, Trinityd’Erika Kobayashi.
Covid-19 oblige, cette 28ème édition du Festival International du Film Fantastique de Gérardmer était numérique. Une demi déception pour les habitués du festival, qui s’y rendent à la fois pour son ambiance inimitable, débridée, et pour les films projetés. Mais le contexte sanitaire ne permettait pas d’organiser un festival «normal», aussi les organisateurs ont-ils tenus à proposer une expérience «parallèle» qui ne manquerait pas de lancer des petits clins d’œil savoureux à un public fidèle.
Première découverte, chaque film disponible en streaming est précédé de petites scènes mettant en scène le Monsieur Loyal du festival, David Rault. Une sympathique mise en bouche qui, bien que de qualité parfois inégale, plonge instantanément les spectateurs dans l’atmosphère du festival. Puis, juste après, le célèbre générique à base de monstres sacrés du bestiaire du Fantastique. Indispensable. Et pour finir, le «cri» de la Bête, qui retentit souvent à chaque début de projection. Les habitués du festival comprendront, les autres devraient sérieusement envisager de faire un petit tour dans la Perle des Vosges dans le futur, histoire d’y découvrir la folle ambiance qui règne dans les salles, hors confinement…
JOUR 1.
Première péloche, The Stylist, de Jill Gevargizian. On y fait la connaissance de Claire, une jeune femme travaillant dans un salon de coiffure. Claire est douce, ouverte aux autres, dont elle cherche continuellement la présence. Très vite, on constate qu’elle a du mal à comprendre ses semblables, même si elle semble le vouloir à tout prix. Elle va «déraper» et entraîner le spectateur dans son malaise. Claire vit dans une petite ville tranquille, mais elle traverse des hauts et des bas, laissant sur le carreau les malheureuses qu’elle croise ici ou là. The Stylist se distingue par trois éléments: son interprète principale (formidable Najarra Townsend), sa photographie (magnifique, avec un joli travail sur les couleurs) et enfin sa partition musicale (à base de piano). Pas inoubliable, mais plus que correct. Avec ce premier film, le festival commençait bien.
Seconde péloche, Host, moyen-métrage de Rob Savage basé sur les nouvelles technologies. Le film dure un petit peu moins d’une heure, et nous plonge au cœur d’une séance de spiritisme organisée sur ZOOM par cinq étudiantes confinées en Angleterre. Afin de s’affranchir du confinement qui lui est imposé le groupe a décidé de se retrouver par écrans interposés et de convoquer les esprits. Problème, celui qui s’invitera à la fête ne sera pas animé des meilleurs intentions. Sans être révolutionnaire, le moyen-métrage exploite les nouvelles technologies avec ingéniosité. Les ficelles ont beau être connues (le montage, l’obscurité et le hors champ permettent deux-trois scènes de frayeur), elles fonctionnent bien ici. Et pourtant, les dix premières minutes du film, tout en bavardage, ne laissaient rien augurer de bon…
Troisième projection, Boys From County Hell, petit film d’épouvante se déroulant en Irlande. On y découvre Six Mile Hill, un petit village tirant sa renommée du passage de Bram Stoker, qui y aurait séjourné une nuit. Aux abords du village serait enterré Abhartach, le premier suceur de sang connu, qui aurait inspiré au romancier son célèbre Dracula. La jeunesse désœuvrée passe son temps à boire des bières et à faire des blagues aux touristes, jusqu’au jour où la construction d’une route entraîne la destruction de la tombe du supposé monstre. Qui va bien évidemment se réveiller. Le film a beau être un peu léger, il se laisse regarder sans peine. La terreur y côtoie la comédie sans lourdeur, et les «héros» semblent bien souvent dépassés, ce qui les rend attachants.
Quatrième et dernier film de ce jour 1, le français Teddy de Ludovic et Zoran Boukherma. On ne pouvait décemment pas louper ce petit film bien de chez nous, avec pour personnage principal un des plus célèbres croque-mitaines du Septième-Art. Doublement récompensé lors du palmarès de ce 28ème Festival International du Film Fantastique de Gérardmer (Prix du Jury et Prix du Jury Jeunes de la Région Grand Est), Teddy prend pour décors un petit village des Pyrénées, dans lequel il installe une bête sanguinaire. Les premières minutes du film font peur, il s’annonce mal joué. Très vite cette impression s’estompe. On partage alors le destin d’un personnage touchant, le susnommé Teddy. Orphelin de 19 ans ayant quitté très tôt l’école, Teddy vit chez son oncle (Pépin Lebref!) et travaille dans un salon de massage. Épris d’une fille de bonne famille, Rebecca, il a plein de projet dans la tête. Jusqu’au jour où il se fait mordre par un mystérieux animal. On vous laisse deviner lequel. Très vite le film a bénéficié d’un capital sympathie grandissant, au fil des «projections». Probablement dû à son interprète principal (excellent Anthony Bajon), ainsi qu’à sa manière d’aborder le thème de la famille. Au final, un petit côté «à part» touchant. Une bonne manière de finir cette première journée de festival…
JOUR 2.
Avec The Other Side des Suédois Oskar Mellander et Tord Danielsson, on est vite dans le bain. Une femme sanglote, on la voit parcourir les pièces sombres d’une maison. Elle est à la recherche d’une certaine Kim. Le décors est planté, ne reste plus qu’à enchaîner: une famille va emménager dans une maison bi-famille. Le père (Fredrik), sa nouvelle compagne (Shirin) et le fils (Lucas). Dans ce nouvel environnement les trois vont devoir retrouver leurs marques. Le père va accepter de travailler de nuit, laissant Shirin et Lucas seuls dans leur nouvelle demeure. Les scènes sont datées à l’écran, le film étant inspiré de faits réels. Shirin est proche de Lucas, mais s’inquiète de le voir jouer avec un ami imaginaire. Là où le film se distingue d’autres productions basés sur la même trame, c’est que Shirin comprend vite qu’il y a bien une présence dans la maison d’à côté, pourtant inhabitée. Bienveillante, ou au contraire malveillante ? L’histoire n’est peut-être pas nouvelle, les deux réalisateurs parviennent toutefois à y ajouter leur petite touche personnelle. Efficace, sans scène superflue, The Other Side maintient le suspense jusqu’au bout, tout en rendant un hommage sincère au genre (voir sa conclusion, bienvenue).
Deuxième projection de ce deuxième jour, Anything for Jackson de Justin G . Dyck. Alors là, c’est un peu les montagnes russes, la maison hantée, en fait une ballade au cœur d’une fête foraine, tout simplement. Des petits moments de comédie, de l’horreur, du gore, du surnaturel. Le Fantastique dans son spectre le plus large. Mais pas indigeste. Les deux personnages principaux, Audrey et Henry (interprétés avec brio par Sheila McCarthy et Julian Richings) forment un gentil petit couple âgé. Très vite, ils dévoilent leurs intentions, qui ne cadrent pas du tout avec leur apparence totalement inoffensive. Audrey et Henry ont enlevé Shannon, une jeune femme enceinte sur le point d’accoucher. Leur intention est de faire revenir l’esprit de leur petit-fils décédé (le Jackson du titre) dans le corps du nouveau né à venir, à l’occasion d’une obscure cérémonie satanique. Mais bien sûr rien ne se passera exactement comme prévu, le couple sera vite dépassé par les forces maléfiques qu’ils ont libérées. Anything for Jackson était une bonne petite surprise, pleine d’énergie, bien écrite et avec une distribution irréprochable. Où comment l’amour inconditionnel de grands-parents peut mener aux pires dérives…
Pour la troisième et dernière projection de ce deuxième jour, rien de mieux qu’une petite ballade au cœur d’une Australie très photogénique. Dans Sweet River, le réalisateur Justin McMillan plante sa caméra dans une petite bourgade, Billins, et y développe avec sensibilité la quête de son personnage principal, Hanna. Au sortir d’une cure de désintoxication, celle-ci décide de revenir sur les lieux du drame : c’est à Billins que son fils de quatre ans, Joey, avait été tué par un tueur en série. Le corps n’ayant jamais été retrouvé, Hanna a donc décidé de reprendre les recherches. Ses questions vont perturber l’équilibre des habitants qui avaient eux aussi perdu leurs enfants. Dans cette histoire d’âmes perdues Justin McMillan nous fait partager le quotidien d’un village emprisonné dans le passé. De brèves apparitions de fantômes d’enfants disparus suffisent à hérisser le poil des spectateurs au cœur d’un récit prenant. Lisa Kay, qui interprète Hanna, est très convaincante dans le rôle de cette mère qui n’a jamais pu faire son deuil. Au milieu d’interminables champs de canne à sucre elle découvrira la vérité glaçante…
JOUR 3.
On commence cette journée par une incursion en Asie avec le film sud-coréen The Cursed Lesson de Jai-hong Juhn et Ji-hon Kim. Dans cette étrange histoire de jeunes femmes participant à un stage de yoga afin de retrouver une illusoire jeunesse, les réalisateurs s’emmêlent un peu les pieds. A tel point qu’on en vient assez vite à se désintéresser de l’issue du film. Et pourtant, les comédiennes sont parfaites, les décors et la musique également. Pour réussir, The Cursed Lesson aurait dû se construire sur une histoire un peu plus développée et ne pas se résumer à une suite de scènes se voulant «fantastiques», et qui n’ont finalement ni queue ni tête. Rien de bien nouveau sous le soleil, juste une entité maléfique de plus dont on ne saura rien, et c’est bien là le problème.
Seconde projection, Mosquito State, où les moustiques reflètent la psyché ô combien perturbée d’un brillant analyste financier de Wall Street, à l’aube du krach boursier de 2007. Là encore, on a parfois éprouvé des difficultés à distinguer le vrai du faux. Dans cette histoire qui compare le monde de la finance et de la spéculation à des hordes de moustique avides de sang, Filip Jan Rymsza se perd un peu, mais propose quelque chose de visuellement intéressant, essentiellement lors des scènes se déroulant dans le gigantesque appartement du héros (Richard Boca), situé dans les hauteurs d’un gratte-ciel new-yorkais. On y croise le comédien Olivier Martinez (dans le rôle du grand patron), qui fait tout pour mettre à l’aise sa poule aux œufs d’or, interprétée par Beau Knapp. Le comédien rend une copie parfaite, un savant mélange de génie à la fois autiste, asocial et devin, prêt à aller jusqu’au bout, dans une forme d’expiation (sa prestation nous remémore celle de Michael Shannon dans le Bug de William Friedkin). Face à lui, Charlotte Vega incarne Lena, une magnifique jeune femme semblant le comprendre, contrairement à tous ses pairs. Richard Boca verra ses algorithmes, jusqu’ici infaillibles, vaciller au gré des turbulences qui traversent les marchés, et se rapprochera un peu plus des insectes qu’il a accueilli chez lui. Une drôle de rêverie dont l’issue, prévisible, ne gâche pas l’ambiance générale.
Troisième et dernière projection de ce jour 3, Possessor de Brandon Cronenberg. En digne fils de son père, le réalisateur s’est plongé dans une horreur organique laissant la part belle aux trucages en «réel». Tasya Vos (Andrea Riseborough) est employée par une organisation secrète qui commet des assassinats à la demande de ses clients. La technologie utilisée permet de prendre possession de l’esprit et du corps d’innocentes personnes afin de leur faire commettre les meurtres «commandés». Exécutante chevronnée, Tanya Vos va se retrouver coincée dans le corps d’une personne encore plus attirée par la violence qu’elle (excellent Christopher Abbott). Très bien mis en scène et photographié, Possessor n’est pas avare de grandes trouvailles et de petits plaisirs. On y croise les gueules bien connues de Jenifer Jason Leigh (qui était en quelque sorte à la place d’Andrea Riseborough il y a 22 ans dans le eXistenZ de Davis Cronenberg !) et de Sean Bean, avant de heurter de plein fouet un final pour le moins percutant. Possessor est reparti du festival avec le Grand Prix, ainsi que celui de la meilleure musique originale. Était-ce réellement une surprise, dans la mesure ou la réputation du film l’avait précédé, avec notamment les prix du meilleur film et du meilleur réalisateur au 53ème festival international du film de Catalogne en octobre 2020 ?
Cette 28ème édition a beau avoir été virtuelle, elle a permis de satisfaire en partie une passion partagée par les cinéphiles qui se retrouvent année après année à Gérardmer à la fin du mois de janvier. Entre les films proposés, les petites scènes avec David Rault ou encore une master-class avec le mythique John Landis, les spectateurs ont eu de quoi rassasier leur appétit de genre.
Mais gare, il leur faudra du concret l’année prochaine……
Après tant de romans, on pourrait la voir venir, se dire « Bon, d’accord mais quoi de neuf ? » Et puis, à chaque fois, cela nous fait le même effet, celui de nous surprendre comme un tueur entrant dans notre cuisine, celui de nous attraper, de nous kidnapper comme ici Lew, le mari blessé, au moment où on s’y attend le moins. De vous projeter sous un bus et de vous laisser pendant plusieurs jours, semaines et mois, avec des séquelles littéraires irréversibles, si bien qu’il est impossible de lire plusieurs Oates d’affilée tant les chocs sont profonds.
Avec Poursuite, roman court, violent, abrupt, l’auteure américaine nous pousse ainsi sous ce bus qui renverse Abby, jeune bénévole d’un centre pour aveugles et fraîchement mariée. Des taches de rousseur sur sa peau devenues taches de sang sur le cerveau engendrées par celles des fantômes de ses parents disparus et qui ont marqué à jamais son âme.
Dans une narration en miroirs qui fait la grande force des romans de Joyce Carol Oates et qu’elle a porté à la perfection dans Un livre de martyrs américains (Philippe Rey, 2019), l’auteur nous emmène dans les cauchemars et les tréfonds de l’âme brisée de la petite Abby qui s’appelle en réalité Miriam, Mir-mie. Pourquoi a-t-elle changé de prénom ? C’est ce que va tenter de découvrir son mari. La destruction des liens familiaux ainsi que la violence irriguent ce roman puissant, sorte d’opéra macabre culminant jusqu’à cette scène finale mémorable d’une violence psychologique inouïe. Oates renoue ici avec des thèmes préalablement abordés comme les traumatismes de l’enfance (Mudwoman, Philippe Rey, 2015) ou la difficile réintégration des vétérans de guerre au sein de la société (Carthage, Philippe Rey, 2018). Ici, point de spécificité américaine comme le fanatisme religieux – le mari d’Abby est un chrétien évangélique bienveillant qui se détourne progressivement du dogme qui l’emprisonne – ou le racisme. Plutôt la lente désagrégation d’une famille vivant au sein d’une société violente avec au milieu, un enfant qui réagit comme des millions d’autres, en se disant que la séparation de ses parents est de sa faute.
Cette violence qui se transmet dans l’inconscient des générations, celle qui construit la culpabilité des enfants, et surtout infuse ce fatalisme dans l’esprit de ceux qui la subissent et qui grandissent avec, se persuadant à tort, que le bonheur n’est pas pour eux. Il faudra toute la catharsis d’Abby et de son mari Willem, pour espérer guérir et se reconstruire. Quant à nous, on tente encore de s’en remettre.
A noter également la publication en poche de J’ai réussi à rester en vie (Philippe Rey figures, 480 p.) de Joyce Carol Oates, émouvant témoignage de son deuil, du sentiment d’absence et du chagrin qu’elle éprouva après le décès de son mari, Raymond Smith, avec qui elle partagea près d’un demi-siècle de vie commune en 2008. Le lecteur y découvrira la femme derrière la romancière même si, comme le lirez, elle n’est jamais bien loin…
Ce livre publié une première fois en 2011 reparaît au lendemain de son second veuvage en 2019. Et avec Oates, on ne peut que se demander : y a-t-il une fatalité à ce que les choses se reproduisent ? Réponse dans son œuvre incroyable.
Par Laurent Pfaadt
Joyce Carol Oates, Poursuite, Philippe Rey, 224 p.
Yuri Andrukhovych est l’un des intellectuels les plus célèbres d’Ukraine. Titulaire du prestigieux prix Herder récompensant un artiste d’Europe de l’Est, comme avant lui Kundera, Kertesz ou Alexievitch, son œuvre reste inclassable car elle chevauche de nombreuses disciplines – comme cette géopoétique qui se veut trait d’union entre l’homme et la terre – tout en demeurant loufoque, intrépide, courageuse et, il faut bien le dire, provocatrice.
Mais cet écrivain engagé qui a lutté sur la place Maïdan lors de cette énième révolution ukrainienne en 2013-2014 est avant tout un amoureux de l’alphabet et des cartes. Cela donne ce joyeux Lexique de mes villes intimes où s’entremêlent souvenirs cocasses et réflexions identitaires dans un maelström qu’il se plaît à agiter allégrement.
Alors comment faire pour lire Andrukhovych ? Le mieux, c’est de lui appliquer sa méthode, c’est-à-dire celle de ne pas en avoir malgré ses propositions de grilles de lecture exposées dans cet avant- propos en guise de mode d’emploi. Déconstruire pour mieux reconstruire. OK alors allons-y ! P253 au hasard, l’aigle et le coq de Prague. D’abord la langue, la rivière puis le pont Charles et l’Orloj, la fameuse horloge astronomique médiévale de la ville.
Tout est là en une page. L’alphabet et les mots qui servent à décrire, à être. La construction identitaire de la ville à travers son paysage (comme les Carpates à Bucarest ou le Rhin à Bâle). Et son architecture et les fantasmes qu’on lui prête (Detroit, Kharkov et leurs déclins post-industriels par exemple). A travers ses ballades littéraires retentissent dans ces pages les échos du passé, soviétique ou non, terribles et nostalgiques à la fois (contaminé par les mots de l’auteur, on dirait que le délire et la mémoire sont logés au même endroit !).
Si bien que la lecture devient avec lui vite addictive et on passe d’une ville à l’autre aussi rapidement qu’un train à grande vitesse. On s’arrête pour s’imprégner de l’effervescence d’une Kiev survoltée, avec les révolutionnaires de la place Maïdan avant de poursuivre dans les hôtels de Minsk, entouré de putes à la solde du KGB et sentant le Moscou rouge, puis évidemment dans cette Lvov « de toujours », ville qu’il chérit plus que tout. On lit Schulz ou Chevtchenko (le grand écrivain ukrainien pas le footballeur !) durant les trajets. Bien évidemment, passage obligé par Strasbourg en 2004 lorsqu’il vint plaider au Parlement européen la cause de la révolution orange. Et là, on s’arrête devant le drapeau européen. Il est bleu comme celui de l’Ukraine. Car, en dépit de ce kaléidoscope infernal, derrière tout cela se cache finalement le profond attachement d’un écrivain ukrainien à une certaine idée de l’Europe, d’une Ukraine « cousue par toutes ces artères et capillaires précisément à l’Europe ». Et en parcourant ces autres artères, on ne peut que humer le vent d’une liberté qui tourne sans s’arrêter les pages de ce livre lumineux.
Par Laurent Pfaadt
Yuri Andrukhovych, Lexique de mes villes intimes, Guide de géopoétique et de cosmopolitique, Aux éditions Noir sur Blanc, 368 p.
Assez rare pour être souligné, ce disque s’attache à mettre en valeur les racines musicales des grandes œuvres du répertoire et les influences folkloriques des grands compositeurs du 19e siècle et du début du 20e siècle. Ainsi, l’ensemble Cythera, dirigé par le chef Mihály Zeke, remarqué pour sa Naissance de Vénus, une sélection de musiques chorales profanes françaises avec l’ensemble Arsys, nous emmène cette fois-ci dans la Mitteleuropa, sur les traces de Béla Bartók, de Zoltán Kodály, d’Antonin Dvořák, d’Arnold Schoenberg ou de Johannes Brahms.
Bartók et Kodály arpentèrent les campagnes hongroises pour collecter les chants paysans et les intégrer à la musique dite savante. Leurs interprétations polyphoniques par l’ensemble Cythera accompagné merveilleusement par la pianiste Marie Vermulin laissent entrevoir cette dimension ancestrale, tellurique qui devait d’ailleurs conduire Zoltan Kodaly à élaborer sa fameuse méthode d’apprentissage du chant pour les enfants. Les duos moraves de Dvořák sont emplis d’une affection touchante tandis qu’un certain mysticisme plane au-dessus des chants populaires de Schoenberg. Un premier volume déjà salué par la critique d’une série dont on a hâte de découvrir les prochains opus.
Par Laurent Pfaadt
Homelands, vol. 1, ensemble Cythera, dir. Mihály Zeke, Paraty
Prenez le personnage de The Mask tirant avec une énorme sulfateuse. Voilà à peu près à quoi ressemble cette « semi autobiographie » de Jim Carrey. L’acteur canadien, mondialement connu pour ses rôles dans Ace Ventura, The Truman Show ou Man on the moon, nous livre, aidé par la journaliste Dana Vachon, un peu de son subconscient déjanté mais surtout une critique à l’acide d’Hollywood.
D’emblée, on se demande si tout est véridique tellement c’est énorme. Car Jim Carrey se livre à un véritable jeu de massacre. Personne n’est épargné. Les mythes sont fracassés. Adepte de gourous-charlatans ou en quête d’une jeunesse perdue tel Anthony Hopkins, la société du divertissement dont on se demande qui divertit qui, est dévoilée dans sa plus complète et obscène nudité. Les stars de cinéma se succèdent sur ce tapis rouge préalablement savonné par Jim Carrey, lui-même victime de ces « peurs atroces d’abandon » qui le conduisent à se droguer à Netflix. Ces soi- disantes stars, on les paie pour nous amuser mais au final, on ne les aime pas. Alors Charlie Kaufman, Nicolas Cage, Gwyneth Paltrow et Laser Jack alias Tom Cruise nous apparaissent soudainement ridicules.
Dans cet opéra loufoque, Jim Carrey excelle une fois de plus en clown triste, pris au piège de sa propre image. Il y a quelque chose à la fois de pathétique et de profondément attachant dans ces starlettes de série B courant après le succès pour éviter les hôtels miteux, passant violemment du crédit refusé pour payer leur voiture à l’acquisition d’un Frida Kahlo à plusieurs millions de dollars. Quelque chose de touchant dans l’ascension de ce jeune gars du Canada issu d’une famille où la pauvreté a brisé les rêves et les corps. Avec ses délires, l’acteur nous renvoie notre propre image civilisationnelle, celle d’un monde qui marche sur la tête et dont le cours ressemble à un mauvais film. Mais plus encore, devant cet argent dépensé dans ce Monopoly géant, Jim Carrey poursuit la quête d’un bonheur qu’il n’obtient jamais et qui ne s’achète pas. Et face à cette seule chose qui lui résiste, il tient une fois de plus, son plus beau rôle.
Par Laurent Pfaadt
Jim Carrey et Dana Vachon, Mémoires flous, Chez Seuil, 304 p.
L’Histoire est écrite par les vainqueurs d’autant plus fermement qu’elle se doit de documenter leur puissance et leur rayonnement tout en dissimulant leurs fragilités. L’auteur détricote ce récit fondateur des Empires aussi partiel que partial et que nos États modernes perpétuent volontiers authentifiant ainsi leur mythe du progrès de l’humanité dont ils seraient l’aboutissement. La réalité est bien plus complexe et le livre offre une belle synthèse (24 pages de bibliographie) de cet « âge d’or des Barbares » dont le destin était intimement intriqué aux premiers États.
Si cette interprétation biaisée a pu se pérenniser, c’est que les Empires produisaient une mémoire « en dur » avec leurs monuments et leurs écrits qui affirmaient leur haute idée de la civilisation et rejetaient dans l’ombre toutes les autres qui construisaient en matériaux périssables, écrivaient sur des supports corruptibles ne laissant aux archéologues que des témoignages ténus.
Ces barbares – chasseurs, cueilleurs, itinérants plutôt que nomades – avaient pourtant élaboré un véritable écosystème avec des implantations agricoles saisonnières (cultures sur brûlis), des nasses pour piéger les troupeaux lors des transhumances, etc. Cette organisation collective leur permettait de ne travailler que deux à trois heures par jour et la diversité de leurs activités d’être plus athlétiques et en meilleure santé que les sédentaires.
L’auteur décrit avec une certaine gourmandise les prémices de civilisation forgées par ces barbares. Un terreau qui, joint à des conditions favorables à la culture extensive des céréales (vastes zones fertilisées par les alluvions comme en Mésopotamie ou le long du Nil), a permis aux Empires d’émerger en imposant la sédentarisation des populations (très souvent au prix de la servitude : « dans la plupart des milieux naturels, seules la pression démographique ou une forme quelconque de coercition peuvent expliquer qu’une population de chasseurs-cueilleurs soit passée à l’agriculture. » p. 54). Des céréales ? Car c’est un produit saisonnier récolté à périodes fixes, facile à stocker et à transporter, donc à imposer ! La civilisation est avant tout logique comptable ! « Avec le recul, on peut percevoir les relations entre les barbares et l’État comme une compétition pour le droit de s’approprier l’excèdent du module sédentaire « céréales/main- d’œuvre ». Ce module était en effet le fondement essentiel tant de la construction de l’État que du mode d’accumulation barbare. » (p. 271)
Sauf que les fragilités sont nombreuses : monoculture (risques accrus de famine), impôts, servitudes (esclavage souvent) et impact sur la santé (travail harassant et maladies induites par la concentration de population : « Il semble presque acquis que nombre de ces États se sont effondrés sous le coup d’épidémies », p. 55). Il est d’ailleurs troublant que les conditions à l’origine des zoonoses et des épidémies d’il y a 5 000 ans renvoient à celles de la pandémie actuelle (p. 134 à 135).
Mais toute histoire a une fin : « En reconstituant systématiquement les réserves de main-d’œuvre de l’État grâce aux esclaves qu’ils lui livraient, ou bien en mettant leur savoir-faire militaire au service de sa protection et de son expansion, les barbares ont délibérément creusé leur propre tombe. » (p. 283) Comme si le ver était dans le fruit et que seule l’échelle avait changé : l’humanité serait ainsi passée du village au village global. Sauf qu’aujourd’hui, il n’y a plus d’échappatoire (à l’époque, l’écosystème permettait le retour au nomadisme pastoralisme).
par Luc Maechel
Une histoire profonde des premiers États chez La Découverte poche, jan. 2021, 323 p., 13 € (Yale University, 2017 – traduit de l’américain par Marc Saint-Upéry, La Découverte 2019)