Royal Requiem

Il était de tradition de rendre hommage aux souverains défunts par
le biais de Requiem, ces messes pour les âmes des défunts. Le coffret
édité par le label Alpha Classics et regroupant plusieurs
enregistrements passés, se présente ainsi comme un voyage sur ce
Styx musical courant à travers le continent européen.

Traversant les époques, du début de l’ère moderne avec la Messe
pour Anne de Bretagne d’Antoine de Févin à la Messe de la cérémonie
pour le retour de la dépouille de Louis XVI composée par Luigi
Cherubini et courant sur les gisants des souverains européens, ce
coffret expose ainsi le spectre des différentes traditions musicales à
travers le temps et l’histoire. Il permet surtout de découvrir
quelques œuvres oubliées et de rendre justice à leurs créateurs
comme par exemple, ce merveilleux Requiem de Niccolo Jommelli,
illustre représentant de la seconde école napolitaine qui fut en son
temps l’un des compositeurs les plus célèbres de la péninsule et
surtout admiré d’un Mozart qui puisa certainement son inspiration
dans ce Requiem dont les accents rappellent indubitablement celui
de son illustre cadet.

Sigismund Neukomm, compositeur autrichien, connut le même
destin que Jommelli. Adulé de son vivant, auteur de l’une des deux
versions complétées du Requiem de Mozart parmi les quelques 2000
œuvres qu’il composa, il est aujourd’hui retombé dans un anonymat
duquel l’a heureusement tiré La Grande écurie et chambre du Roy
de Jean-Claude Malgoire. Grâce à lui, il est possible d’entendre ce
Requiem à la mémoire de Louis XVI absolument divin où la dimension
funèbre est portée à son paroxysme. Ces disques sont en réalité les
requiem de ces compositeurs libérés de leur purgatoire, gravant non
dans le marbre mais sur la platine, une reconnaissance enfin méritée.

Les plus grands ensembles ont été bien évidemment convoqués à cet
effet. Le Concert Spirituel dirigé par Hervé Niquet délivre ainsi une
Messe des morts en ré mineur en l’honneur de Marie-Antoinette de
Charles-Henri Plantade, inédite et portée, une fois de plus, par sa
passion contagieuse. La Fenice de Jean Tubéry n’est pas en reste
avec le Requiem pour Marie de Médicis de Gilles Henri Hayne. Ils sont
accompagnés par une pléiade de voix magnifiques à commencer par
celles de Sandrine Piau, une nouvelle fois impériale dans Jommelli et
de Katherine Watson qui fait résonner avec éclat son magnifique
timbre dans Purcell.

Au final un voyage musical absolument fascinant conduisant
l’auditeur dans quelques grandes cathédrales sonores de l’histoire
de la musique, entre découvertes et merveilles.

Par Laurent Pfaadt

Royal Requiem
Alpha Classics, 5Cds

New York, Ukraine, guide d’une ville inattendue

Comment qualifier ce livre singulier ? Guide touristique ? Récit d’une
déchéance ? Lettre d’espoir ? Peut-être un peu des trois. Ainsi après
Looking for Lenin (Noir sur Blanc, 2017), le photographe Niels
Ackermann et le journaliste Sébastien Gobert repartent dans
l’exploration de l’ancienne URSS en nous emmenant à New York…
dans le Donbass, région ukrainienne en guerre qui oppose depuis
2014 l’Etat ukrainien et des séparatistes soutenus par la Russie
voisine.

Dans ce très beau livre fourmillant d’anecdotes et rythmé par les
superbes photographies de Niels Ackermann, le lecteur entre dans
un rêve, celui de toute une population, celui d’une ville, celui de cette
New York ukrainienne, ce « chaudron des ethnies » qui, malgré la crise
sociale et la guerre, veut croire en son destin à l’ombre de son
homonyme américain.

Située à une dizaine de kilomètres de Donetsk, la ville de New York
se développa au XIXe siècle sous l’impulsion d’aristocrates russes et
de mennonites allemands avant de devenir pendant 70 ans,
Novhorodske. Mais depuis le 1er juillet 2021, elle est redevenue
New York. Le buste de Lénine traîne dans les gravats, la guerre
frappe à sa porte et l’usine de Phénol nimbe la ville de la « fragrance
de New York » autrement dit d’une dangereuse pollution. Mais la
résistance s’organise. Et si les seules traces évoquant la Grande
Pomme sont un abribus peint aux couleurs des Simpson ou une
station-service qui rappelle celles des années 60, cette New York
avance sans complexe, bien décidée à jouer sa carte dans cette
mondialisation sauvage.

Les photos de Niels Ackermann montrent des bâtiments décrépis et
des trottoirs défoncés mais le lecteur, lui, est invité à saisir ces
visages animés de ce que le poète russe Evgueni Evtouchenko
appela « la nostalgie du futur » tandis que les mots de Sébastien
Gobert polissent ce fer qui, jadis, fit tourner des usines devenues des
décors à la Mad Max, et forge aujourd’hui la volonté d’habitants
prêts à se mobiliser, tels Oksana dans sa boulangerie-pizzeria
baptisée à juste titre New York ou Nadia Hardiouk qui, sur les
réseaux sociaux, construit la « marque » New York.

L’ouvrage apparaît ainsi comme la magnifique preuve de la résilience
de toute une ville décidée à demeurer libre. Faire vivre des
commerces, un night-club, maintenir le lien social entre les
générations, s’ouvrir au monde et se libérer des chaînes du
nationalisme constituent les défis colossaux qu’elle affronte au
quotidien. Alors qu’à quelques kilomètres, les balles sifflent, ses
armes s’appellent rire et décalage. Même si les maisons coûtent à
peine mille euros, elles tiennent encore debout. Finalement, on se
dit qu’il n’y a pas de hasard, la ville porte bien son nom. Car si la New
York américaine ne dort jamais, sa jumelle ukrainienne, elle, ne veut
pas s’endormir.

Par Laurent Paadt

Niels Ackermann & Sébastien Gobert, New York, Ukraine, guide d’une ville inattendue
Aux éditions Noir sur Blanc, 204 p.

A lire également :

Donbass (Les Arènes, 2020), le roman noir de Benoît Vitkine, prix Albert-Londres dont l’action se situe à Avdiïvka, à quelques kilomètres de New York.

Stabat Mater

Compositeur prolifique, Arvo Pärt a fait évoluer son œuvre vers plus
de religiosité depuis sa conversion à la religion orthodoxe au début
des années 1970 et qui culmina avec son Stabat Mater en 1985.
Regroupées dans cet enregistrement, ces quelques œuvres
permettent ainsi de s’imprégner de cette écriture musicale
emprunte d’un mysticisme et d’une spiritualité que seuls les grands
génies de la musique classique ont réussi à produire.

D’une beauté absolument stupéfiante, les pièces ainsi interprétées
donnent le sentiment d’une immense prière, d’un lien direct entre
l’auditeur et Dieu. Si son célèbre Fratres, toujours exprime encore
une forme de contemplation presque cinématographique, la Sindone
témoigne quant à elle d’une profonde douleur accentuant ainsi une
religiosité marquée de la violence du jugement dernier. Avec cette
interprétation absolument ciselée, le Münchner Rundfunkorchester,
déjà auteur d’un Miserere de toute beauté (BR Klassik, 2021) et placé
pour l’occasion sous la direction d’Ivan Repušić, se mue en véritable
coryphée de l’esprit d’un compositeur devenu d’ores et déjà un
classique. Il parvient ainsi à transposer avec clarté et subtilité
l’extrême dépouillement harmonique d’Arvo Pärt, notamment dans
ce Stabat Mater explosant de lumière et de mysticisme. Un chef
d’œuvre absolu.

Par Laurent Pfaadt

Arvo Pärt, Stabat Mater, Münchner Rundfunkorchester,
dir. Ivan Repušić,
BR Klassik