Combinats,le regard d’un photographe sur les immenses usines de l’Oural

En URSS, le mot combinat signifie « unité industrielle regroupant plusieurs industries connexes ». Terre des plans quinquennaux et de la lutte pour la domination industrielle planétaire, la Russie est aujourd’hui le lieu de ces cimetières d’un rêve passé, rouillé. Le livre magnifique alliant les photos de Maurice Schobinger et le texte de l’écrivain et géographe Cédric Gras, prix Albert Londres 2020, avance dans les plaines insondables de l’Oural en montrant tout cela. 

Les photos de ces immenses usines, sciemment privées de toute légende, laisse le lecteur voyager dans ces cathédrales profanes et d’acier. Tantôt rayonnant de ces forges fabriquant l’or d’une renaissance, tantôt mausolées de rêves de grandeur, véritables bêtes endormies qui, semble-t-il, n’attendent qu’une étincelle pour se réveiller, ce livre propose à la fois une exploration du passé mais également une immersion dans le présent. Le lecteur se demande en permanence, aujourd’hui plus encore, si la puissance qui se dégage de ces immenses combinats, est celle d’un musée ou bien celle d’une force ressuscitée, à l’écoute de la « rumeur du monde » comme le rappelle Maurice Schobinger.

Sur ces terres de l’Oural, le lecteur croise également les ombres de ces esclaves des goulags qui ont contribué à l’édification de ce patrimoine maudit et du premier d’entre eux, Varlam Chalamov, affecté à la construction du combinat chimique de Berezniki. Leurs souvenirs peuplent ces paysages grandioses et défigurés où cohabitent mains de l’homme et de Dieu. Et dans la fumée de quelques hauts fourneaux qui se confond avec les brumes sibériennes, les photos de Maurice Schobinger et le texte de Cédric Gras nous entraînent dans un monde entre rêve et réalité, entre cauchemar et espoir.

Par Laurent Pfaadt

Maurice Schobinger, Cédric Gras, Combinats, le regard d’un photographe sur les immenses usines de l’Oural
Aux éditions Noir sur Blanc, 160 p.

Le Fantôme d’Odessa

Alors que les bombes continuent de pleuvoir sur la mythique ville d’Odessa, Camille de Toledo, auteur majeur de la scène littéraire française dont le livre Thésée, sa vie nouvelle (Verdier, 2020), s’est hissé jusqu’en finale du prix Goncourt, nous emmène en compagnie du dessinateur Alexander Pavlenko à la rencontre d’Isaac Babel, poète et écrivain russe exécuté par Staline en 1940.  

Après Theodor Herzl, le duo évoque une nouvelle figure luttant, cette fois-ci dans le système totalitaire soviétique, contre cet antisémitisme qui allait ravager l’Europe. Isaac Babel travaillait à l’adaptation de son livre sur Bénia Krik, le Robin des bois de la révolution bolchévique. Mais très vite, l’idéologie stalinienne l’obligea à remanier son œuvre. 

Conçu comme un véritable film, le scénario de ce très beau roman graphique ainsi que le dessin qui alterne noir et blanc et couleurs, tiennent immédiatement le lecteur en haleine. Avec ses allers-retours entre passé et présent, le livre expose parfaitement le piège dans lequel le régime enferma Babel. Il passe avec fluidité et rythme entre fiction et réalité, entre la vie de Bénia Krik et le destin de Babel. Un grand moment de lecture.

Par Laurent Pfaadt

Camille de Toledo, Alexander Pavlenko, Le Fantôme d’Odessa
Chez Denoël Graphic, 224 p.